Les journalistes ? Tous pourris !

Oui, on sait : les journalistes, tous pareils, tous pourris, tous corrompus, à la botte du système, menteurs, partisans et peu crédibles. À l’occasion des Assises du journalisme cette semaine, Tmv a repris certaines critiques adressées aux médias pour tenter d’y répondre le plus honnêtement possible. Niche fiscale, traitement de l’info, salaires, on vous dit tout.

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Pourquoi les journalistes ne payent pas d’impôts avec leur niche fiscale ?

Ce n’est pas tout à fait ça. En revanche, les journalistes qui peuvent prouver que la majorité de leurs revenus provient du journalisme bénéficient d’un abattement forfaitaire de 7 650 €, carte de presse ou non. En gros, si le revenu imposable communiqué par l’employeur est 37 650 €, on ne mentionne que 30 000 € sur sa déclaration.

Cet abattement fiscal était justifié lors de sa mise en place en 1934, puisqu’il était censé financer les frais professionnels importants de cette profession. Mais la situation a changé et l’argument des frais est difficile à concevoir désormais. Dur dur, donc, de justifier cette « niche fiscale » aujourd’hui. De nos jours, cet avantage fiscal coûte entre 40 et 70 millions d’euros par an aux caisses de l’État.

Fin 2018, les députés ont décidé de le plafonner : cet abattement a été interdit pour les journalistes qui touchent plus de 6 000 € nets par mois (autant dire les privilégiés et ceux-dont-on-ne-doit-prononcer-le-nom comme dans Harry Potter).

journalisme.Il y a un vrai manque de diversité dans les rédactions !

Malheureusement, c’est vrai. Dans la plupart des médias, la diversité sociale et ethnique est faible. Les rédactions sont un univers très « blanc ». La seule étude statistique sur la diversité ethnique et sociale des journalistes remonte à 2009. Et ce fut un échec : seules 40 entreprises sur 117 ont répondu.
Ce manque de diversité avait été pointé du doigt par la journaliste et écrivaine Rokhaya Diallo. Elle soulignait aussi la proportion trop importante de journalistes « issus de classes moyennes et supérieures ». Les étudiant(e)s en journalisme issus de classes sociales modestes sont moins nombreux. On peut donc effectivement dire que les médias ne sont pas vraiment le reflet de la société française.

De toute façon, nous sommes informés par des milliardaires, puisque les médias sont détenus par les riches patrons…

C’est un fait : excepté quelques rares indépendants (le Canard enchaîné), les médias, dans leur immense majorité, appartiennent à des actionnaires privés (grands groupes, milliardaires, industriels…) ou à l’État (pour France Télévisions, Radio France, etc.). Comme le disait Le Monde, « si certains [industriels] assurent investir dans les médias par pur désintéressement, la plupart le font pour gagner de l’influence. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils contrôlent le contenu publié ».
Guillaume Erner, dans Charlie Hebdo, écrivait : « Quant aux oligarques qui la renflouent, ils soutiennent la presse comme la corde soutient le pendu. Parce qu’une entreprise lambda peut redevenir rentable ; un titre de presse est condamné, pour sa part, à se maintenir à flot tant bien que mal. Voilà pourquoi le sort de nombreux confrères dépend désormais du bon plaisir de Drahi, Bolloré et consorts. »

Les journalistes sont heureusement souvent protégés par une charte d’indépendance. Mais cela n’évite pas les dérapages. On se souvient de l’intervention de Vincent Bolloré, du groupe Canal, qui avait empêché un documentaire d’investigation sur le Crédit mutuel en 2015. L’autre risque important est celui que les journalistes s’auto- censurent sur certains sujets sensibles, dans un contexte où la presse est économiquement fragile.

Pour précision, quant à nous, tmv appartient au groupe La Nouvelle République du Centre Ouest.

Berk, les journalistes sont tous de gauche…

En 2012, une consultation émanant de l’Institut Harris est demandée par la revue Médias, alors dirigée par Robert Ménard (désormais maire de Béziers). Résultat : 74 % des journalistes voteraient à gauche. Sauf que… seuls 105 journalistes professionnels ont répondu (et qui plus est sur Twitter). Depuis, quasiment pas de statistiques pour cette question aussi ancienne que la profession.
Certains vous diront que tous les journalistes sont de gauche ; les autres penseront qu’ils sont tous vendus au grand capital. Le journaliste est de droite pour les gens de gauche ; il est de gauche pour les gens de droite.

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Je parie que vous gagnez 10 000 € par mois.

On aimerait bien ! Mais… non. La réalité est moins reluisante. Beaucoup ont tendance à croire cela, puisque les présentateurs-stars de JT, eux il est vrai, ont des salaires très élevés. Aujourd’hui, Jean-Pierre Pernaut encaisserait environ 50 000 € par mois (d’après Le Dauphiné).
Le service public paye moins : 15 000 € par mois pour Laurent Delahousse. Dans les années 2000, Patrick Poivre d’Arvor touchait 71 000 € par mois.

Mais en vrai, le revenu médian brut mensuel d’un journaliste en 2016 était de 3 549 € (sur du net, cela fait environ 2 760 €) s’il était en CDI. En CDD, cela tombe à 1 896 €. Mais il y a également près de 20 % de journalistes pigistes. Et qui dit pige, dit salaire au lance-pierre, au compte-gouttes et irrégulier puisque votre paie dépend de la régularité des commandes.

Avec cela, il faut également faire la différence entre salaires à la télé, en radio ou encore en presse écrite (et encore différencier presse quotidienne nationale – 2 162 € brut en sortie d’école – et presse quotidienne régionale – 1 832 € – etc.) Journalistes sur le terrain, directeurs de rédaction, présentateurs, JRI (journaliste reporter d’images), salariés parisiens et en province… Tous sont payés différemment.

Le journalisme est un métier de plus en plus précaire, certains étant même obligés d’avoir d’autres activités à côté pour pouvoir vivre. En 2013, une étude auprès de 3 400 journalistes et présentée aux Assises du journalisme a par ailleurs montré que 12 % gagnaient moins que le Smic.

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Les médias sont gavés de subventions !

Oui, l’État soutient les journaux par des aides à la presse (les gratuits en sont exclus). Des subventions instaurées en 1796 qui devaient, à la base, garantir un pluralisme médiatique. Aujourd’hui, elles font surtout (sur)vivre une presse écrite moribonde. Les journaux Aujourd’hui en France et Libération sont les deux titres qui ont le plus été aidés en 2017.

Les chiffres, en centaines de millions d’euros, paraissent effectivement énormes et renforcent ce sentiment de manipulation des médias par les gouvernements. D’autant que les journaux semblent plutôt discrets au sujet de ces aides.
En mai 2018, dans un article intitulé « Comment aider vraiment la presse ? », les Échos écrivaient : « Plutôt que de distribuer de coûteuses aides aux journaux, l’État ferait mieux d’autoriser les lecteurs à déduire leurs abonnements aux médias de leurs revenus imposables. » Pas faux.

→RETROUVEZ LA  SUITE DE NOTRE DOSSIER ET D’AUTRES RÉPONSES AUX CRITIQUES ET REPROCHES DANS LE NUMÉRO 326 DE TMV. A TÉLÉCHARGER JUSTE ICI !

A Tours, des écoliers font leur propre JT !

À l’école Jules-Verne de Tours-Nord, des élèves réalisent journaux télévisés et flashs spéciaux de A à Z. Tmv est allé les rencontrer un jour de tournage.

Manel et Issam, les deux présentateurs du JT, sont prêts pour le tournage.
Manel et Issam, les deux présentateurs du JT, sont prêts pour le tournage.

Nous voilà, chers téléspectateurs, pour le JT de JV9 ! » C’est ainsi que Manel et Issam lancent le 9e journal télévisé de l’école élémentaire Jules-Verne, à Tours-Nord. Face à eux, Adem est planté derrière la caméra. Quant à Ayoube, en bon rédacteur en chef, il supervise le tout. Les quatre élèves de CM1- CM2 ont installé leur plateau télévisé dans la salle de classe de Pierre Deseuf, enseignant en CM2 dans l’établissement. Rien de spécial à préparer pour les décors, la classe est déjà bien pourvue. Sur les murs s’étalent du papier argenté et des affiches multicolores qui présentent les Aliens, les romans d’anticipation ou le genre post-apocalyptique. Il y a même un vaisseau Star wars accroché au plafond. « On travaille sur les auteurs de science-fiction pour enfants, précise l’enseignant. On est en train d’écrire un livre de SF dont vous êtes le héros. » Finalement, à tmv, on aurait bien envie de retourner en CM2 ! Pour filmer, pas besoin non plus de grands moyens matériels et financiers : une petite caméra numérique et un pied suffisent. Ce qu’il faut surtout : du temps. Et l’investissement de Pierre Deseuf dépasse largement le cadre scolaire.

Tout a commencé il y a trois ans. Alors que l’école s’était auparavant dotée d’une caméra pour un voyage en Angleterre, des élèves de CE2 ont souhaité l’utiliser pour filmer une séance à la patinoire. Ils décident de monter un journal télévisé et sa diffusion, dans toute l’école, rencontre beaucoup de succès. La première édition fait des émules. « Au début, nous programmions des reportages uniquement dans l’enceinte de l’école. Puis nous avons commencé à sortir. Comme cette fois où nous sommes allés aux Remparts de Tours, un samedi de 9 h à minuit. Nous avons assisté à l’entraînement et au match, visité les vestiaires, interviewé le président du club… Une sacrée journée ! », se remémore le professeur.

Ayoube, le rédacteur en chef, regarde avec attention les images tournées par Adem.
Ayoube, le rédacteur en chef, regarde avec attention les images tournées par Adem.

Ce jeudi-là, les élèves ne disposent que d’une heure pour tourner leur JT. Tous les reportages sont prêts. L’objectif ? Enregistrer la présentation du journal et les lancements de chaque séquence filmée. Les deux présentateurs répètent rapidement leur texte, inscrit sur une feuille de papier. Ici, il faut se débrouiller sans prompteur. Puis, c’est parti pour la première prise, en mouvement, à l’entrée de l’école. Pas facile de stabiliser manuellement la caméra en marche arrière ! Ayoube garde l’oeil sur chaque prise. Son avis sur la première ? « La caméra bouge trop. Il faut la refaire. » La deuxième fois, c’est le cadrage qui semble mauvais. Au bout de quatre tentatives, Pierre Deseuf intervient : il est temps de passer à la suite. « Ayoube est très attentif au résultat final, remarque-t-il. Nos objectifs ne sont pas les mêmes. Pour moi, peu importe si le journal est raté. Ce qui compte, ce sont leurs progrès en diction, en français, en concentration… »
Car l’intérêt pédagogique de ce projet est indéniable. Avant chaque reportage, les élèves rédigent une fiche de préparation. Ils travaillent ainsi l’expression écrite, la manière de poser des questions ou l’organisation dans le temps. Après le tournage, ils se chargent de visionner les vidéos, sélectionner les séquences, les monter puis écrire et enregistrer les commentaires. De multiples tâches qui leur permettent de développer des compétences scolaires. Aussi, le comité de rédaction se réunit chaque semaine sous la direction d’Ayoube.

D’ailleurs, comment appréhende-t-il sa fonction ? « Je donne des rôles aux gens, je suis le chef ! » Ce qu’il aime aussi : écrire et organiser le calendrier. « Plusieurs élèves en difficulté accèdent à ce projet, ajoute Pierre Deseuf. Un ancien présentateur, par exemple, avait de grosses difficultés d’élocution. Il passait des heures à s’entraîner. » En effet, les apprentis journalistes sont très motivés. Avec l’expérience, ils prennent confiance et commencent même à se lâcher sur la présentation. Bientôt Le petit journal bis ? « C’est bien, mais c’est plus compliqué à filmer », note leur enseignant. « Mais c’est plus génial ! », répond Manel du tac au tac. Hyper à l’aise face à la caméra, la jeune fille est aussi pleine d’enthousiasme : « Depuis que je regardais le JT de l’école, j’avais trop envie d’y participer. J’ai eu une grande chance qu’Ayoube me choisisse pour la présentation. »

Pas facile de filmer en mouvement.
Pas facile de filmer en mouvement.

L’équipe redouble d’inventivité pour lancer ses sujets. En témoignent leurs différentes mises en scène : munis d’un sabre laser et d’un pistolet, ils se prennent pour des chevaliers Jedi. Puis, pour annoncer un reportage sur des correspondants anglais, ils boivent le thé dans une tasse à l’effigie de la reine d’Angleterre : « Hum, delicious ! ». Avec l’accent, bien sûr. Cette envie de bien faire, cet investissement, Pierre Deseuf y est particulièrement attentif. Pour autant, ce n’est pas tous les jours facile. Comme cette fois où Ayoube a piqué une grosse colère à cause d’un reportage commandé qui n’avait pas été réalisé. Aussi, les enfants s’investissent personnellement et s’exposent au regard des autres. Ce projet, ils le mènent avec une grande autonomie. Ils apprennent en faisant. Et en se trompant. « C’est aussi par la pratique qu’ils appréhendent les dessous du journalisme, ajoute le professeur. Comment sélectionner les images ? Que choisit-on de montrer aux gens ? » Parfois, lorsqu’ils décident de montrer un événement qui se passe mal, leurs camarades ne sont pas contents… Pour l’instant, ce n’est pas le souci d’Issam, le second présentateur, qui a hâte que le prochain JT soit diffusé : « On va passer devant toute l’école, on va être célèbre ! C’est mon rêve ! », s’exclame-t-il. Les parents peuvent également visionner le journal sur une page privée Facebook.

Il a fallu répéter plusieurs fois la séquence Star wars.
Il a fallu répéter plusieurs fois la séquence Star wars.

Parfois, les enfants ont même le privilège de réaliser un reportage secret. « Seuls ceux qui travaillent sur le sujet sont au courant. Il doivent garder le secret jusqu’à la diffusion. Il se sentent investis d’un rôle, et ça les met en confiance », estime Pierre Deseuf. Par exemple, lorsque deux classes ont déménagé récemment au rez-de-chaussée, des élèves ont enquêté sur les raisons de ce changement. Lorsque le flash spécial a été diffusé dans toute l’école, c’était un vrai scoop. Chaque fin d’année, les enfants réalisent même une fiction. La cerise sur le gâteau.

Reportage et photos : Nathalie Picard

Gods of Egypt : la 11e plaie d’Egypte

Dézingué par la critique outre-Atlantique, critiqué pour son « whitewashing », Gods of Egypt sort enfin sur les écrans français. Futur flop ?

Aux États-Unis, tout est allé mal dès le départ pour Gods of Egypt. Avant même sa sortie en salles, il s’est noyé dans la polémique « whitewashing », accusé pour son casting plus que blanc pour une histoire censée se dérouler en… Égypte Antique. Et puis une fois sur les écrans, ça a été le flop. Monumental. Des critiques assassines. En réponse, la tribune du réalisateur, Alex Proyas, en colère contre ces « conna… de journalistes responsables de l’échec » de son film. Et la guillotine : 14 millions de recettes pour 140 millions de dollars alignés. Outch.

Alors ? La faute à qui, à quoi ? Parce que oui : Gods of Egypt est fondamentalement mauvais. Il est vrai qu’on attendait mieux du long-métrage de Proyas, cinéaste mésestimé d’Hollywood : librement inspiré de la mythologie égyptienne, le film se déroule dans un univers fantasmé, où dieux et vivants cohabitent. Seth, Dieu du désert, assassine le roi, condamnant Horus à l’exil et entraînant alors le chaos. Mais le chaos, c’est surtout Gods of Egypt, foutoir gigantesque naviguant entre fantastique, action, super-pouvoirs, mythologie, love-story et touches d’humour.

Plombé par des effets spéciaux épouvantables, ce spectacle lénifiant de plus de 2 h, dans lequel avant et arrière-plan se dévorent constamment dans une bouillie visuelle, est une aberration tant il est kitsch et totalement ringard. Pourtant, on sent bien qu’Alex Proyas tente des choses. Et c’est tout à son honneur. Il y a de vraies bonnes idées, un souffle épique pas désagréable.
Mais entre une distribution inintéressante au possible et son design indigne, voire franchement ridicule, Gods of Egypt n’est qu’un produit d’une platitude absolue, coulé par un script d’une vacuité abyssale. Un véritable gâchis.

Aurélien Germain

Aventure, action, fantastique (États-Unis) d’Axel Proyas. Durée : 2 h 07. Avec Gerald Butler, Breton Thwaites, Courtney Eaton, Elodie Yung…

NOTE : 1,5/5

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=IJBnK2wNQSo[/youtube]

Journalisme : ces médias qui bousculent l’actu locale

Parce qu’ils sentaient une certaine défiance des citoyens vis-à-vis de la presse, ces journalistes ont voulu innover et bousculer les choses. À l’occasion des Assises du journalisme*, zoom sur certains médias qui ont décidé de traiter l’actu locale différemment, à Tours et ailleurs.

Cliquez sur la photo pour l’agrandir.

LE RAVI (PACA)

Leur dernière Une annonce la couleur. Le titre ? « Quand le FN prend le pouvoir ». L’illustration ? Un dessin fendard où un cafetier demande « Un p’tit noir ? Un gros rouge ? Un jaune ? » devant un élu FN surexcité qui hurle « Un grand blanc sec !! » Le Ravi, c’est ça : ça pique et ça arrache. « Une presse poil à gratter et irrévérencieuse, où on se tient à distance des pouvoirs économique, politique et spirituel », présente Michel Gairaud, le rédacteur en chef. Ce mensuel aux 13 années d’existence tirant à 5 000 exemplaires fonctionne sur les enquêtes et la satire. « Si la porte est fermée, on passe par la fenêtre », théorise-t-il. Leurs dessins de presse agissent comme un pansement qu’on arrache d’une zone poilue. Leurs reportages font grincer des dents (notamment sur les conseils municipaux). « On nous compare à un amour incestueux entre Mediapart et le Canard enchaîné », dit Michel Gairaud. Avant de lancer : « Le Ravi, c’est le canard qui ne baisse jamais les bras. »
> leravi.org

37° (TOURS)

« Aucun média tourangeau n’avait pris le pari du 100 % web et aucun n’avait tenté le côté “ journalisme simple ” comme on parle à son voisin », explique Mathieu Giua, la tête pensante du pure-player 37°. Le constat est toujours le même : « Il y a une défiance face à la presse. » Alors l’aventure 37° est lancée. Immanquable dans le paysage de l’info locale, le site se veut être « un magazine socioculturel. On fait beaucoup de politique, de faits sociétaux et culturels. Il y a des sujets de fond et parfois de la légèreté. On ne s’interdit rien, mais on est pédagogues : on donne des clés au lecteur », précise Mathieu Giua. Lui qui pense « qu’il n’y a jamais trop de presse », regrette tout de même qu’il n’y ait « pas assez de pluralité dans la façon de faire ». 37°, après avoir rempli son objectif de devenir un média crédible, souhaite voir plus loin. Il va donc lancer une web TV « pour servir les acteurs locaux » et ressusciter un gros délire, en relançant Le sujet décalé (LSD). De quoi satisfaire les 50 000 visiteurs uniques par mois de 37°.
> 37degres-mag.fr

MARSACTU (MARSEILLE ET ENVIRONS)

Le conseil général des Bouches-du-Rhône l’a souvent dans le collimateur. Et pour cause : MarsActu s’est intéressé au clientélisme qui y règne et aux affaires touchant son président Jean-Noël Guérini. Lequel a d’ailleurs qualifié les journalistes de « connards », après quelques questions gênantes. MarsActu est comme ça : il grattouille là où ça picote. Créé en 2010, ce pure-player s’intéresse à Marseille et sa région, à coup d’enquêtes et reportages, du scandale des diplômes bidons à Science Po aux petites affaires bizarroïdes du monde de la culture. À l’automne 2015, ses journalistes ont relancé la publication en rachetant la société éditrice qui venait de faire faillite. Épaulé par Mediapart, MarsActu n’a donc pas fini de se proclamer fièrement « journal indépendant de Marseille ». Ce sont les politiques qui vont être contents.
> marsactu.fr
NB : la semaine dernière, le journal a été cambriolé à deux reprises en à peine sept jours.

LE MAP (NANTES) 

Son petit nom, c’est le Magazine des autres possibles. Le Map. Projet courageux d’une journaliste de 28 ans, Jeanne La Prairie. Entourée de Marie Bertin (une ancienne de l’EPJT, l’Ecole de journalisme de Tours) et de jeunes Nantais qui ont la gnaque comme elle, cette ex de tmv (eh ouais !) a créé ce mensuel qui veut traiter « des sujets de société à travers le prisme des nouvelles solutions, de l’innovation sociale locale : économie sociale et solidaire, développement durable, numérique social… ». Nantes verra ce nouveau journal débarquer début avril pour son numéro zéro, avant le n°1 en septembre. Le Map aura beau tenir dans la poche (format carte routière dépliable en huit), il proposera enquête au long, articles, grand portrait, le tout sur un thème choisi. « On va chercher les interlocuteurs qui prennent peu la parole. Il faut donner envie d’agir en expliquant ce qu’il se passe à côté de chez nous. » Le journal laissera aussi la place aux artistes locaux. En ciblant les 25-45 ans, Le Map souhaite avoir sa place sur Nantes : « Il y a quelque chose à faire, car les gens veulent retrouver la transparence dans la presse. Il leur faut une info utile et optimiste, sans être moralisateur ou chiant. » Fonctionnant sans pub, à 2 € le numéro, on leur souhaite que le meilleur.
> facebook.com/lemapnantes

LA ROTATIVE (TOURS & ENVIRONS)

Pas d’annonceurs, pas d’abonnements, pas de subventions. À la Rotative, « tout est assuré complètement bénévolement. Ce qui nous garantit une complète indépendance », tient à préciser ce site collaboratif d’informations locales qui ne passe pas inaperçu à Tours. « La Rota » n’est pas franchement fan des médias de la ville. « En vrai, il y a surtout un énorme conformisme de tous les acteurs médiatiques tourangeaux qui dépendent, pour vivre, des annonceurs et des bonnes relations avec les institutions. Et on est très critiques de la manière dont ces médias traitent des luttes sociales. » Régulièrement, une petite équipe de contributeurs-trices – individus ou collectifs – assure le traitement de l’info tourangelle et des environs. N’hésite pas à dégainer contre les médias du coin (la NR, info-tours et nous y compris), défendre les égalités hommes-femmes, interpeller sur les travers de la politique et surtout « offrir un espace d’expression à celles et ceux qui sont de l’autre côté du manche ». En résumé ? « On oscille entre luttes sociales et critique des médias. »
> larotative.info

DAILYNORD (NORD PAS DE CALAIS)

L’information pas ou peu exploitée ailleurs, c’est le credo de Dailynord. « L’autre information du Nord », comme on dit là-haut. Pour Nicolas Montard, le cofondateur de ce magazine en ligne, le média ch’ti « propose un regard honnête sur l’info locale : ni brûlot, ni consensuel, ni franc-tireur, ni partisan. » Lancé en 2009 par des journalistes indépendants pensant qu’il y avait « un créneau pour renouveler le ton de l’information en région », Dailynord enquille maintenant les reportages au format long – son gros plaisir – mais aussi de l’analyse et des « rebonds décalés sur l’actu ». Récemment, les Nordistes ont choisi de passer au format payant. Dans ce contexte plus que compliqué, « seule solution à notre sens pour nous financer », comme le rappelle Nicolas Montard…
> dailynord.fr

MAIS AUSSI
On aurait pu parler de Fakir (Amiens), journal local jusqu’en 2009, « lancé en réaction au Journal des Amiénois, l’hebdo municipal, qui titrait sur le carnaval alors que les fermetures d’usine se multipliaient », comme le rappelle Baptiste Lefevre, du journal désormais porté par des bénévoles. Il y aurait aussi Polenta !, le journal « qui ne rend pas i-diot », comme le souligne son site (polenta.lautre.net) et traitant l’actu de Chambéry et des alentours, avec enquêtes, poésie, reportage et théâtre. Ainsi que La Voix des allobroges, même si son équipe avoue être « en quasi sommeil », « n’arrivant pas bien vivre ». Ce « canard savoyard qui ouvre son bec » a squatté les kiosques pendant 4 ans, avant de tenter l’aventure web. Mais les temps sont durs…

* Les Assises du journalisme se dérouleront du 9 au 11 mars, au Vinci. Infos et inscriptions sur journalisme.com. Direct à suivre sur : assises.journalisme.epjt.fr

BONUS
3 (+1) bonnes raisons d’être journaliste et dépressif

Personne ne vous aime…
On le voit chaque année lors du classement des pires métiers et des professions les plus détestées des Français : le métier de journaliste est constamment sur le podium. Le plus haï (aux côtés de politique) et le pire à exercer (ex aequo avec bûcheron).

Google aussi se fiche de vous…
En tapant le début de phrase « pourquoi les journalistes » dans la barre de recherche Google, voilà les résultats automatiques qui sont proposés : « Pourquoi les journalistes sont-ils de gauche / parlent comme ça / mentent ». Méchant moteur de recherche.

… et même Mélenchon.
Ses échanges houleux avec les journalistes font le bonheur du Petit journal sur Canal. Jean-Luc Mélenchon adooore insulter et secouer les journalistes. Mais les exècre tant, qu’il adooore aussi passer à la télé et apparaître régulièrement dans les médias.

… Mais pas vos parents !
Consolation : papa maman vous aiment. Et sont fiers que vous soyez journaliste. Sans comprendre pourquoi vous stagnez en CDD depuis des lustres, et n’êtes ni au JT de TF1, ni sur le terrain en Syrie. Vous direz que c’est la faute de Mélenchon et de Google. Na !

Spotlight : Eglise, scandale et leçon de journalisme

Spotlight, le film du mois ? Assurément ! Le film retrace l’enquête menée par des journalistes américains qui ont révélé le scandale des prêtres pédophiles dans le diocèse et de l’étouffement de l’affaire par certains politiques et hommes de pouvoir. Glaçant.

Spotlight

C’était en 2002. The Boston Globe éclaboussait le monde de ses révélations : le journal sortait une enquête qui faisait froid dans le dos, dénonçant le scandale des prêtres pédophiles du diocèse de Boston… en prouvant aussi que police, politiques et hommes de pouvoir avaient tenté d’étouffer l’affaire.
C’est ce que raconte Spotlight (du nom du groupe de journalistes qui ont écrit sur le sujet), une histoire vraie, glaçante, mettant sous le feu des projecteurs des hommes dévoués corps et âmes à dénoncer l’impensable. Une virée dans l’envers du décor du journalisme d’investigation.

Loin d’être ennuyeux, Tom Mc Carthy (scénariste de Là-haut !) accouche là d’un film sobre et intelligent. Ici, le spectateur devient le bloc-notes des journalistes. Assiste, au fur et à mesure, aux terrifiantes révélations. Il est seul au milieu des cliquetis des claviers, des téléphones qui chauffent et des montées de stress. Dans Spotlight, la narration est conventionnelle, mais l’interprétation est magistrale : de Mark Ruffalo (remarquable !) à Michael Keaton, en passant par Stanley Tucci… Seule Rachel Mc Adams semble, pour une fois, un peu trop transparente.
Tout en retenue (la parole des victimes se fait sans pathos), Spotlight bénéficie d’un montage précis et d’une mise en scène discrète. Poussant le spectateur vers une question : qu’est-ce qui est pire ? Les abus sexuels en toute impunité des prêtres ? Ou l’Église qui ferme les yeux et protège ses membres en les faisant par exemple déménager ?

Au final, le film de Mc Carthy est un portrait glaçant de Boston, un thriller aux allures de documentaire, une plongée et surtout une ode au vrai journalisme, au 4e pouvoir. À l’époque, la rédaction du Boston Globe avait obtenu un Prix Pullitzer pour son enquête. Spotlight aura-t-il droit à son Oscar, le 28 février ?

>Drame (USA) de Tom Mc Carthy. Durée : 2 h 08. Avec Mark Ruffalo, Liev Schreiber…
NOTE : 4/5

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=uzLs_2hgv0k[/youtube]