Journalisme : ces médias qui bousculent l’actu locale

Parce qu’ils sentaient une certaine défiance des citoyens vis-à-vis de la presse, ces journalistes ont voulu innover et bousculer les choses. À l’occasion des Assises du journalisme*, zoom sur certains médias qui ont décidé de traiter l’actu locale différemment, à Tours et ailleurs.

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LE RAVI (PACA)

Leur dernière Une annonce la couleur. Le titre ? « Quand le FN prend le pouvoir ». L’illustration ? Un dessin fendard où un cafetier demande « Un p’tit noir ? Un gros rouge ? Un jaune ? » devant un élu FN surexcité qui hurle « Un grand blanc sec !! » Le Ravi, c’est ça : ça pique et ça arrache. « Une presse poil à gratter et irrévérencieuse, où on se tient à distance des pouvoirs économique, politique et spirituel », présente Michel Gairaud, le rédacteur en chef. Ce mensuel aux 13 années d’existence tirant à 5 000 exemplaires fonctionne sur les enquêtes et la satire. « Si la porte est fermée, on passe par la fenêtre », théorise-t-il. Leurs dessins de presse agissent comme un pansement qu’on arrache d’une zone poilue. Leurs reportages font grincer des dents (notamment sur les conseils municipaux). « On nous compare à un amour incestueux entre Mediapart et le Canard enchaîné », dit Michel Gairaud. Avant de lancer : « Le Ravi, c’est le canard qui ne baisse jamais les bras. »
> leravi.org

37° (TOURS)

« Aucun média tourangeau n’avait pris le pari du 100 % web et aucun n’avait tenté le côté “ journalisme simple ” comme on parle à son voisin », explique Mathieu Giua, la tête pensante du pure-player 37°. Le constat est toujours le même : « Il y a une défiance face à la presse. » Alors l’aventure 37° est lancée. Immanquable dans le paysage de l’info locale, le site se veut être « un magazine socioculturel. On fait beaucoup de politique, de faits sociétaux et culturels. Il y a des sujets de fond et parfois de la légèreté. On ne s’interdit rien, mais on est pédagogues : on donne des clés au lecteur », précise Mathieu Giua. Lui qui pense « qu’il n’y a jamais trop de presse », regrette tout de même qu’il n’y ait « pas assez de pluralité dans la façon de faire ». 37°, après avoir rempli son objectif de devenir un média crédible, souhaite voir plus loin. Il va donc lancer une web TV « pour servir les acteurs locaux » et ressusciter un gros délire, en relançant Le sujet décalé (LSD). De quoi satisfaire les 50 000 visiteurs uniques par mois de 37°.
> 37degres-mag.fr

MARSACTU (MARSEILLE ET ENVIRONS)

Le conseil général des Bouches-du-Rhône l’a souvent dans le collimateur. Et pour cause : MarsActu s’est intéressé au clientélisme qui y règne et aux affaires touchant son président Jean-Noël Guérini. Lequel a d’ailleurs qualifié les journalistes de « connards », après quelques questions gênantes. MarsActu est comme ça : il grattouille là où ça picote. Créé en 2010, ce pure-player s’intéresse à Marseille et sa région, à coup d’enquêtes et reportages, du scandale des diplômes bidons à Science Po aux petites affaires bizarroïdes du monde de la culture. À l’automne 2015, ses journalistes ont relancé la publication en rachetant la société éditrice qui venait de faire faillite. Épaulé par Mediapart, MarsActu n’a donc pas fini de se proclamer fièrement « journal indépendant de Marseille ». Ce sont les politiques qui vont être contents.
> marsactu.fr
NB : la semaine dernière, le journal a été cambriolé à deux reprises en à peine sept jours.

LE MAP (NANTES) 

Son petit nom, c’est le Magazine des autres possibles. Le Map. Projet courageux d’une journaliste de 28 ans, Jeanne La Prairie. Entourée de Marie Bertin (une ancienne de l’EPJT, l’Ecole de journalisme de Tours) et de jeunes Nantais qui ont la gnaque comme elle, cette ex de tmv (eh ouais !) a créé ce mensuel qui veut traiter « des sujets de société à travers le prisme des nouvelles solutions, de l’innovation sociale locale : économie sociale et solidaire, développement durable, numérique social… ». Nantes verra ce nouveau journal débarquer début avril pour son numéro zéro, avant le n°1 en septembre. Le Map aura beau tenir dans la poche (format carte routière dépliable en huit), il proposera enquête au long, articles, grand portrait, le tout sur un thème choisi. « On va chercher les interlocuteurs qui prennent peu la parole. Il faut donner envie d’agir en expliquant ce qu’il se passe à côté de chez nous. » Le journal laissera aussi la place aux artistes locaux. En ciblant les 25-45 ans, Le Map souhaite avoir sa place sur Nantes : « Il y a quelque chose à faire, car les gens veulent retrouver la transparence dans la presse. Il leur faut une info utile et optimiste, sans être moralisateur ou chiant. » Fonctionnant sans pub, à 2 € le numéro, on leur souhaite que le meilleur.
> facebook.com/lemapnantes

LA ROTATIVE (TOURS & ENVIRONS)

Pas d’annonceurs, pas d’abonnements, pas de subventions. À la Rotative, « tout est assuré complètement bénévolement. Ce qui nous garantit une complète indépendance », tient à préciser ce site collaboratif d’informations locales qui ne passe pas inaperçu à Tours. « La Rota » n’est pas franchement fan des médias de la ville. « En vrai, il y a surtout un énorme conformisme de tous les acteurs médiatiques tourangeaux qui dépendent, pour vivre, des annonceurs et des bonnes relations avec les institutions. Et on est très critiques de la manière dont ces médias traitent des luttes sociales. » Régulièrement, une petite équipe de contributeurs-trices – individus ou collectifs – assure le traitement de l’info tourangelle et des environs. N’hésite pas à dégainer contre les médias du coin (la NR, info-tours et nous y compris), défendre les égalités hommes-femmes, interpeller sur les travers de la politique et surtout « offrir un espace d’expression à celles et ceux qui sont de l’autre côté du manche ». En résumé ? « On oscille entre luttes sociales et critique des médias. »
> larotative.info

DAILYNORD (NORD PAS DE CALAIS)

L’information pas ou peu exploitée ailleurs, c’est le credo de Dailynord. « L’autre information du Nord », comme on dit là-haut. Pour Nicolas Montard, le cofondateur de ce magazine en ligne, le média ch’ti « propose un regard honnête sur l’info locale : ni brûlot, ni consensuel, ni franc-tireur, ni partisan. » Lancé en 2009 par des journalistes indépendants pensant qu’il y avait « un créneau pour renouveler le ton de l’information en région », Dailynord enquille maintenant les reportages au format long – son gros plaisir – mais aussi de l’analyse et des « rebonds décalés sur l’actu ». Récemment, les Nordistes ont choisi de passer au format payant. Dans ce contexte plus que compliqué, « seule solution à notre sens pour nous financer », comme le rappelle Nicolas Montard…
> dailynord.fr

MAIS AUSSI
On aurait pu parler de Fakir (Amiens), journal local jusqu’en 2009, « lancé en réaction au Journal des Amiénois, l’hebdo municipal, qui titrait sur le carnaval alors que les fermetures d’usine se multipliaient », comme le rappelle Baptiste Lefevre, du journal désormais porté par des bénévoles. Il y aurait aussi Polenta !, le journal « qui ne rend pas i-diot », comme le souligne son site (polenta.lautre.net) et traitant l’actu de Chambéry et des alentours, avec enquêtes, poésie, reportage et théâtre. Ainsi que La Voix des allobroges, même si son équipe avoue être « en quasi sommeil », « n’arrivant pas bien vivre ». Ce « canard savoyard qui ouvre son bec » a squatté les kiosques pendant 4 ans, avant de tenter l’aventure web. Mais les temps sont durs…

* Les Assises du journalisme se dérouleront du 9 au 11 mars, au Vinci. Infos et inscriptions sur journalisme.com. Direct à suivre sur : assises.journalisme.epjt.fr

BONUS
3 (+1) bonnes raisons d’être journaliste et dépressif

Personne ne vous aime…
On le voit chaque année lors du classement des pires métiers et des professions les plus détestées des Français : le métier de journaliste est constamment sur le podium. Le plus haï (aux côtés de politique) et le pire à exercer (ex aequo avec bûcheron).

Google aussi se fiche de vous…
En tapant le début de phrase « pourquoi les journalistes » dans la barre de recherche Google, voilà les résultats automatiques qui sont proposés : « Pourquoi les journalistes sont-ils de gauche / parlent comme ça / mentent ». Méchant moteur de recherche.

… et même Mélenchon.
Ses échanges houleux avec les journalistes font le bonheur du Petit journal sur Canal. Jean-Luc Mélenchon adooore insulter et secouer les journalistes. Mais les exècre tant, qu’il adooore aussi passer à la télé et apparaître régulièrement dans les médias.

… Mais pas vos parents !
Consolation : papa maman vous aiment. Et sont fiers que vous soyez journaliste. Sans comprendre pourquoi vous stagnez en CDD depuis des lustres, et n’êtes ni au JT de TF1, ni sur le terrain en Syrie. Vous direz que c’est la faute de Mélenchon et de Google. Na !

Le pari d'une école différente

En pleine réforme de l’Éducation nationale, en particulier sur les rythmes scolaires en primaire, certaines écoles ont déjà choisi les pédagogies Steiner, Freinet ou Montessori.

L’humidité de l’automne, en cette matinée de septembre, ne pénètre pas à l’intérieur de la yourte. Installée dans le parc du château de Taillé, dans la campagne de Fondettes, cet étrange édifice accueille une école différente des autres. Sur les étagères sont rangés des peluches, des casseroles, du papier de toutes les couleurs, des jouets en bois, des foulards et de la ficelle. Au milieu d’un joyeux bazar, trois enfants se racontent des histoires, jouent au docteur, se fabriquent un toboggan à l’aide d’une table et d’un banc en bois. Assise à la petite table, Akiko Hitaï, la maîtresse, les regarde d’un oeil bienveillant et confectionne des couronnes de feuilles et de branches.
L’école du Petit Pommier fonctionne selon la pédagogie Steiner, du nom d’un philosophe allemand qui l’a inventée. Les PHOTO_UNE_3élèves dans cette yourte paraissent très heureux d’être à l’école. C’est par le jeu qu’ils apprennent, jamais par la contrainte. Chants, histoires, siestes, poèmes, balades dans la forêt, les activités ressemblent à une maternelle classique, le côté un peu « rigide » en moins. L’école du Petit Pommier a longtemps été installée à Joué-lès-Tours. Elle s’appelait alors le Petit Porteau. Mais avec le départ à la retraite de l’enseignante, plusieurs parents se sont mobilisés pour garder cette pédagogie et l’ont réouverte à Fondettes. Akiko Hitaï, d’origine japonaise, s’est formée avant de prendre le relais.
« Etancher leur soif de savoir »
« Chaque jeu ou activité est entrecoupé de rondes et de chants, décrit Élise Charbey, la directrice de l’école et maman d’un des enfants. Les jours de la semaine ont des couleurs. Tout est mis en oeuvre pour qu’ils se repèrent dans le temps. Il s’agit pour eux d’expérimenter, de toucher, de jouer, d’être sensible aux saisons. Pour eux, le futur n’est pas angoissant. » Mettre son enfant dans cette école a un coût. Il faut compter 250 euros par mois. Il existe un tarif solidaire de 125 euros pour les parents qui ont moins les moyens. « Nous sommes une association et l’école est hors cadre, elle ne bénéficie donc pas des subventions des collectivités », explique Élise Charbey. Autre exigence de ce type de structure : il faut y adhérer et s’investir. Les parents sont avant tout là pour faciliter la vie de l’enseignante, apporter à manger, trouver du matériel quand il faut.
À plusieurs kilomètres du Petit Pommier, en plein coeur du quartier Velpeau, à Tours, s’est ouverte une autre école d’un genre différent. La Maison des enfants s’inscrit dans la pédagogie de Maria Montessori. Elle accueille une vingtaine de petits élèves âgés de 3 à 12 ans. « Ici, on se met au service de l’enfant, sourit Cécile Lawniczak, la directrice de l’école, mais aussi une des animatrices. Ils traversent des périodes dites sensibles où, d’un seul coup, ils s’intéressent à un sujet en particulier, une matière. Nous sommes là pour observer ces moments et leur donner le maximum de connaissances. Que ce soient les volcans, les planètes, l’envie de sentir un maximum d’odeurs, de faire des calculs, nous leur apportons tout ce dont ils ont besoin pour étancher leur soif de savoir. »
Pas de cartables ou devoirs
PHOTO_UNE_2La Maison des enfants s’est installée en septembre dernier au rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue de la Fuye. À l’intérieur, il règne un calme presque absolu. Tout le monde chuchote. Une petite fille est en train de colorier un chat, une autre joue avec des perles de couleurs représentant des chiffres. Un groupe s’est formé pour fabriquer un puzzle en trois dimensions. Cécile Lawniczak passe de table en table pour apporter une aide éventuelle, proposer des activités. Pas de tableau noir ni de rangées bien alignées. Certains des enfants font des maths sur un tapis, par terre. « Il n’y a ni punition, ni récompense, ni d’instit qui soit là pour donner ce qu’il sait dans l’école Montessori, continue Cécile Lawniczak. Les enfants n’ont pas de cartables et de devoirs à la maison. Ils avancent à leur rythme. »
Et quand ils reviennent dans un système scolaire plus classique ? « Ils sont souvent en avance par rapport aux autres, affirme la directrice de la Maison des enfants. Même si nous sommes hors contrat, un inspecteur académique va venir nous voir une fois par an. Je ne suis pas inquiète quant au niveau scolaire. » Pour Élise Charbey, c’est le même constat : « Mon fils est sorti du Petit Pommier pour intégrer le CP dans une primaire classique. En quelques semaines, il était premier de sa classe et s’est très vite adapté. Il était en revanche assez étonné du fonctionnement de la classe et de sa rigidité. Un jour, il est revenu en me demandant pourquoi il ne pouvait pas aller se servir un verre d’eau tout seul, quand il le voulait, avec un gobelet en verre. Il ne comprenait pas ; au Petit Pommier, il était déjà très autonome. »

"Des pédagogies qui développent l'autonomie de l'enfant"

Enseignant-chercheur au département des Sciences de l’Éducation et de la Formation à l’Université de Tours, Samuel Renier analyse l’histoire et les évolutions des pédagogies alternatives.

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À quel courant appartiennent ces pédagogies dites alternatives ?
Le terme est vaste et fourre-tout. Freinet, Montessori et Steiner appartiennent au courant de l’Éducation nouvelle. Le terme « alternatif » peut aussi se prêter au courant traditionaliste, fondé sur la rigueur, ou au courant libertaire. Mais ce n’est pas le propos ici.
Qu’apportent ces pédagogies à l’enfant ?
Il est difficile d’apporter une réponse globale. Mais ces écoles ont tendance à développer l’autonomie de l’enfant, peut-être plus fortement qu’ailleurs.
Comment les écoles Freinet, Montessori et Steiner ont évolué depuis un siècle ?
On a pu noter un développement très fort, à partir des années 30 et jusque dans les années 70. Puis une baisse dans les années 80-90. Mais c’est un champ en constante reconfiguration. L’éducation a pour objet ce qui est mouvant, ce qui évolue. On apprend, on se transforme. De nouvelles pratiques pédagogiques se développent. Par exemple, à Langouet (en Bretagne), une école centrée sur l’écologie et le développement durable s’est ouverte.
Les personnes extérieures à ces classes sont surprises du calme des élèves…
L’une des grandes forces de ces pédagogies nouvelles, c’est que la discipline n’est pas imposée de l’extérieur. L’enfant fait, de son propre chef, un effort pour se discipliner et répondre à son intérêt. Il en est plus facilement capable.
Les enfants qui viennent de ces pédagogies alternatives et qui intègrent au cours de leur vie un circuit plus classique, comment se comportent- ils ?
Généralement, les élèves obtiennent de bons résultats. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces écoles sont meilleures que les autres.
Ces écoles ne sont-elles pas réservées à des parents militants et initiés ?
Elles sont assez peu répandues. Il y a donc la nécessité d’un engagement des parents, souvent lié à une réflexion éducative. Cela peut aussi venir d’un état de fait, quand l’enfant ne se retrouve pas dans le système classique. Enfin, il ne faut pas négliger l’effet de proximité et le bouche à oreilles !
Ont-elles influencé l’éducation dite classique ?
Les frontières sont poreuses. Certaines de ces pédagogies sont menées au sein d’établissements sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale. D’autres sont même reconnues en tant qu’écoles expérimentales, en lien avec la recherche en Sciences de l’éducation. Historiquement, le courant de l’Éducation nouvelle a eu un impact fort notamment sur la pratique en classe. Si aujourd’hui, il existe des Travaux personnels encadrés (TPE) ou des travaux pratiques en sciences, c’est aussi grâce à ce mouvement. Plus globalement, la place accordée à l’enfant a évolué grâce à l’Éducation nouvelle.
Pourraient-elles un jour, devenir la norme ?
Elles n’ont pas vocation à être généralisées à grande échelle. Tout d’abord parce qu’elles devraient se soumettre à un impératif d’évaluation et d’uniformisation, ce qui ne cadre pas avec leurs fondements. En outre, ces pratiques sont intéressantes par leur singularité. C’est ce qui fait leur force.
Propos recueillis par Guillaume Vénétitay