Un matin, dans 10 ans, sans info

Les Assises du journalisme se tiennent à Tours du 15 au 17 mars sur un thème abyssal : comment nous informerons-nous dans 10 ans ? Et si, justement, on ne s’informait plus…

Image20

Le cauchemar a commencé quand j’ai appuyé sur le bouton. Il faut vous dire que j’ai conservé un de ces vieux postes de radio qu’il faut allumer à la main pour entendre quelque chose. Les machins qui se déclenchent à la détection de mouvement quand vous entrez dans la pièce et qui adaptent la fréquence à l’humeur qui se dessine sur vos traits froissés au réveil, franchement, très peu pour moi. Moi, je suis du genre à faire moi-même mon café. Alors, comme tous les jours depuis que je suis doté de deux oreilles en état de marche, j’ai allumé la radio. Toujours la même, la fréquence publique, celle qu’écoutaient déjà mes parents, à l’heure glorieuse de Philippe Caloni et de Roland Dhordain.

Juste une fraction de seconde et, normalement, une voix connue aurait dû venir gentiment caresser mon cervelet encore embrumé de sommeil. Et, d’un coup, le timbre connu aurait dû commencer, tout doucettement, à me délivrer ma première dose d’info de la journée. Je savais déjà qui allait surgir de mon vieux poste. À cette heure-là, j’étais sûr de tomber sur la voix chaude et savante de mon analyste international attitré, juste fait pour mes tartines et mon café à moi. Et après, j’aurais glissé, tranquillou vers le journal de 8 h. Un politique que l’on passe au grill, la presse du jour que l’on compile, un petit fait divers, une pincée de culture, j’avais des certitudes en pressant le petit bouton.

Sauf que là, non. À la place, j’ai eu un genre d’imposteur à guitare qui me chantait un truc pas drôle avec une voix traînante. Trop de notes, ou pas assez, trop de rimes, trop de mots. Comme je suis un garçon gentil, je me suis dit bon, ok, c’est jour de grève. Ils ont le droit, après tout. Même eux… Vas-y, balance-moi ton post-Cabrel neurasthénique. Juste pour aujourd’hui.

Et, pour me consoler, je suis allé cueillir mon quotidien dans ma boîte-aux-lettres. Mon journal, je le mange bien frais, comme les croissants que faisait le boulanger du quartier, quand il y avait encore des boulangers dans les quartiers. Quand il y avait encore des quartiers.

Image19

Mais dans la boîte, pas de journal. Des factures, des prospectus, une pub cradingue pour un gars pas clair qui voulait me repeindre la façade, mais pas de journal. Alors, j’ai tout laissé tomber dans l’entrée et je ne suis refait un café. Je ne vais quand même pas allumer la télé ? L’idée m’a frappé l’occiput comme une roquette qui tombe sur un marché à Kaboul. Pas la télé ! Pas le matin ! Mon troisième café en main, évidemment, j’ai allumé la télé. Et là : la mire. Enfin, pas la mire, mais des clips américains avec des filles en maillots de bain alors qu’il n’y a même pas de piscine. Une sorte de mire qui bouge, en somme. Et ça, sur mes 546 chaînes, replay et VOD compris. Pas un gramme d’info. Pas une miette d’analyse. Pas le commencement du début d’un reportage. Même pas un porte micro devant l’entrée bouclée d’un ministère norvégien. Rien.

Autant vous dire qu’en sortant de chez moi, j’étais assez énervé. Et pas seulement à cause des trois cafés. Les gens que je croisais semblaient ne rien avoir remarqué. Il allaient et venaient le plus normalement du monde, flottant sur leur overboard les yeux perdus dans leur casque de RVA (Real Virtual Activity). Un matin parfaitement comme les autres. Je me retenais de les arrêter « Oh, les gars, chez vous aussi ? Vous avez de l’info, vous ? Vous savez ce qui se passe ? » On m’aurait pris pour un fou.

Et le cauchemar a continué. Pas de petit gratuit à la station de tram. Pas de chaîne d’info en continu chez Starbucks. Pas d’affichettes racoleuses en vitrine des bars-tabac. Fébrile, j’ai allumé mon portable. Stupéfaction : pas une notification, pas une seule sur les 54 sites d’infos auxquels je suis abonné. Je devais me rendre à l’évidence : il n’y avait plus la moindre information autour de moi. En dehors de mon champs de vision personnel, impossible de savoir ce qu’il pouvait bien se passer. Le TVB a-t-il réussi à se qualifier pour la finale de la Coupe intercontinentale face aux Suédois du Jököping-Volley-Club ? Je dois passer au Palais des sports pour en avoir le cœur net. Et ces sirènes que j’ai entendues cette nuit, c’était quoi ? Il faut que j’aille voir au commissariat. Et la grande expo pour les 10 ans du CCC OD, c’est quoi le programme, alors ? Il faut que j’y fasse un tour aussi. Il va falloir que je prenne ma journée, moi, si ça continue.

Mais oui, mais le sommet de l’Europe des 33, je peux pas y aller, quand même… Et pour la guerre de sécession entre les Golden States américains et l’état fédéral, comment je fais pour savoir ?

Image18

Quand je suis arrivé au bureau, j’ai tapoté comme un dément pour faire le tour de tous mes petits sites habituels. Je n’ai même pas été surpris de collectionner les Erreur 404 et les re-routages aléatoires vers des impasses foireuses. Pareil sur les réseaux. Que des demandes d’amis, des anniversaires à souhaiter et des offres super-spéciales pour des trucs dont je ne savais pas que j’avais besoin.

En rentrant chez moi, le soir, j’étais sonné. Étourdis par l’impression de ne plus être connecté au monde. Si la Terre tourne sans que je sache comment elle tourne et comment les autres vivent et sans que les autres, non plus, ne sachent plus rien de moi, à quoi bon continuer ? Être informé, c’est être relié aux autres, sans notion de distance ou de civilisation. L’eau qui coule à mon robinet, elle est précieuse même si elle est parfois polluée et les peuples qui en sont privés sont ceux qui souffrent le plus au monde… Vous savez quoi ? Nous vivons d’info aussi. Tout autant.

Texte : Matthieu Pays / Dessins : Pierre Frampas

→LES ASSISES DU JOURNALISME 2017

>> S’INFORMER DANS 10 ANS C’est le thème des 10es Assises du journalisme et de l’information qui se déroulent cette semaine, mercredi, jeudi et vendredi, au Centre des congrès Vinci. Le programme riche et passionnant est à retrouver sur www.journalisme.com Tous les événements (conférences, salon du livre, rencontres…) sont en accès libre et gratuit.

POUR ALLER PLUS LOIN

Les Français et l’info : à lire juste ici !

Les Français et l’information

Télé, presse écrite, internet, radio, et maintenant réseaux sociaux, nous sommes entourés de médias. Mais comment s’informe-t-on en France, aujourd’hui ? Revue de détails avec quelques chiffres-clés.

CaptureLa télévision, grâce aux JT et ses chaînes d’info, reste la première source d’information pour 50 % des Français.

9 %

La part des Français qui prennent les réseaux sociaux comme première source d’information. C’est deux fois plus qu’en 2015. Mais paradoxalement, les trois quarts des répondants disent ne pas avoir confiance dans les infos qui y circulent.

Je t’aime, moi non plus
4 % des Français seulement placent les journaux papier comme première source d’information. L’un des taux les plus faibles… au monde.

130 000

Le nombre d’abonnés à Mediapart. Il affiche ainsi un bénéfice net record de 1,9 million d’euros, pour 2016, contre 716 000 € l’année précédente. 

Dans une récente enquête, 67 % des sondés ont exprimé une défiance envers les journalistes français. Ils estiment qu’ils ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir en place (Institut Kantar pour La Croix).

Facebook surpuissant Capture
45 % des clics vers les grands sites d’actu sont effectués à l’origine sur les réseaux sociaux, Facebook en tête.

300 000

Le nombre d’abonnés qu’a gagné le New York Times en 3 mois. Un bond de 19 % par rapport à septembre 2016, de quoi faire rêver certains médias français. Le journal américain a osé se tourner résolument vers le numérique et ses supports dématérialisés.

Qui fait quoi ?
>Cadres et diplômés plébiscitent Internet, sites et applications mobiles issus de la presse écrite.
>Les 18-24 ans et les employés favoriseraient, eux, les réseaux sociaux.

NEWS_INFOGRAPHIE_AFP« Est-ce qu’on capte bien ce qu’il se passe ? Est-ce qu’on sait entendre et se faire entendre ? »

(Michèle Léridon, directrice de l’information de l’AFP, dans les colonnes du Monde.)

Fracture générationnelle
Ils sont 38 % des 18-24 ans à s’informer d’abord sur leur smartphone, contre 1 % des plus de 65 ans.

SMARTPHONE
Oubliez l’ordinateur ! Les smartphones sont devenus le premier support des news pour les internautes français.

> En France, la radio reste le premier média avec lequel les gens entrent en contact avec l’info dès le matin.
Capture

€ To pay or not to pay ? € 
Seuls 10 % des Français sont d’accord pour payer pour l’info sur Internet. Et ils sont 30 % à utiliser des logiciels bloqueurs de pub.

Presse jeunesse
Plus de 9,6 millions de jeunes (entre 1 et 19 ans) ont lu un numéro de presse jeunesse. Les titres les plus « lus » sont Popi (pour les 1-6 ans) ; J’aime Lire (pour les 7-12 ans) et Jeux Vidéo Magazine (pour les 13-19 ans).
Capture

(Sources : Médiamétrie, CB News, La Croix, cabinet Parse.ly)

TEDx Tours : la hype des idées

La TEDx revient à Tours pour la deuxième fois. Un véritable succès,

Et hop : la deuxième édition du TEDxTours se déroulera ce vendredi 3 juin à guichet fermé ! Véritable phénomène de société, gros carton et symbole de la hype numérique, cet événement invitera huit intervenants locaux, « tous très différents qui expliqueront chacun en moins de 18 minutes comment il est possible de changer le monde », indique l’organisation.
Parce que c’est ça les TED (pour Technology, entertainment & design) : des conférences pour faire avancer les idées. Un concept lancé dans les années 80 par les Américains Richard Saul Wurman et Harry Marques. Et un slogan : des idées qui valent la peine d’être diffusées. Du coup, les TED ont fait des bébés. Et vu le succès de l’an dernier à Tours, il était impossible pour l’équipe de ne pas revenir dans nos contrées.

Cette fois, TEDxTours se tiendra à Mame, sous la bénédiction de Tour(s)plus. Les places s’étant arrachées en quelques jours chrono, plusieurs lieux-relais diffuseront, en direct, cette deuxième édition. Ouf.

> à retrouver sur tedxtours. com/lieux-relais

La résurrection du P’tit rouge de Touraine

#EPJTMV Ancien mensuel d’information sociale et culturelle disparu en 1979, Le P’tit rouge de Touraine est de retour pour fêter les quarante ans de sa création. Jusqu’au 19 décembre, une exposition à la médiathèque de La Riche retrace l’existence de ce canard local. A l’issue de cette rétrospective, un numéro spécial de 16 pages en version papier paraîtra à la mi-décembre.

« Si votre journal ne vous plaît plus… » Encouragement implicite à abandonner la presse traditionnelle au profit des journaux « alternatifs », cette phrase a été le slogan du P’tit rouge de Touraine. De 1975 à 1979, 35 numéros de cette nouvelle presse d’information sociale et culturelle, découlant directement du Libération de Jean-Paul Sartre, sont parus. Chaque nouveau numéro est l’occasion de dénoncer la montée des partis d’extrême-droite, l’indifférence avec laquelle sont traités les cyclistes (les seuls qui daignent laisser leur voiture pour un moyen de transport propre et écologique) ou la politique de la ville (à l’époque à droite sous l’égide de Jean Royer). Le ton se veut satirique, voire insolent. Le politiquement correct est mis au placard et la franchise est de mise. Les caricatures et bandes dessinées qui parsèment les 4 pages du mensuel rappellent un autre symbole de la presse alternative de l’époque : Charlie Hebdo.

D'anciens numéros du P'tit rouge de Touraine sont mis à disposition du public. Photo : Aubin Laratte.
D’anciens numéros du P’tit rouge de Touraine sont mis à disposition du public. Photo : Aubin Laratte.

Au fil des étagères de livres, on découvre, accrochées sur un mur ou une fenêtre, des affiches relatant l’histoire du P’tit rouge de Touraine mais aussi celle de la presse alternative des décennies 70 et 80. A divers endroits de la médiathèque, des anciens journaux, mis à disposition par l’ancienne rédaction du canard, sont disponibles en libre lecture. Chacun peut se replonger dans l’actualité des années 1975 à 1979 et (re)découvrir Le P’tit rouge de Touraine.

Comités de rédaction publics

Pour faire revivre le journal, les anciens rédacteurs se réunissent tous les vendredis à la médiathèque de 17h à 20h. L’occasion de débattre des sujets à traiter dans le numéro spécial qui paraîtra à la mi-décembre. Tous les tourangeaux qui se sentent l’âme d’un journaliste peuvent participer à ces conférences de rédaction. Toutes les propositions de sujets sont étudiées. Les meilleures se retrouveront dans le numéro spécial. D’autres encore, iront aussi sur le site web temporaire spécialement créé par La Rotative, un autre média d’information alternative uniquement disponible sur internet.

Mais avant la parution de ce numéro papier du P’tit rouge de Touraine, les anciens rédacteurs et acteurs de la presse alternative tourangelle vous invite à passer la soirée avec eux ce soir, au château du Plessis. L’occasion de rencontrer les rédacteurs du P’tit rouge de Touraine après avoir découvert le journal à la médiathèque. L’occasion aussi de rendre un dernier hommage à Dominique Mureau, le fondateur du journal, décédé en juillet 2014.

Wilfried Redonnet

J’ai survécu à l’école de Xavier Niel !

Plonger dans le code informatique 7 jours sur 7, pendant un mois : bienvenue aux sélections de l’École 42, la pouponnière des développeurs de Xavier Niel, alias Mister Free. Une colonie de « vacances » geek racontée par Cédric Renouleau, un Tourangeau qui y a passé un mois complet.

J’ai fait l’école de Monsieur Free, mais j’ai pas tout compris.

Vous l’avez sans doute croisé, dans une autre vie, à l’accueil de la Carterie place Jean-Jaurès. Ou chaque été, en train de servir des bières à la Guinguette. Il s’appelle Cédric Renouleau et comme ses grands yeux bleus et ses longs cheveux soigneusement attachés ne l’indiquent pas, ce jeune homme de 24 ans est apprenti codeur. Pas le genre Néo de Matrix. Non, son cerveau n’est pas relié à un disque dur. Plutôt du genre à avoir fait ses études dans le domaine du commerce, à enchaîner les saisons : l’été à Tours, l’hiver en Suisse.
Et puis un jour, une révélation. « J’étais au chômage, je cherchais une nouvelle orientation professionnelle, j’ai commencé à m’intéresser au développement, à internet, à la programmation et on m’a parlé d’une école gratuite et accessible à tous avec le bac », dit-il. L’École 42. Ça ne vous dit rien ? La fameuse pouponnière de Xavier Niel. Oui, le PDG de Free, symbole de la success story entrepreneuriale à la française, grand gourou de tous les start-upers du numérique. Celui-là même qui a observé et décrété — ou l’inverse — que la France manquait de développeurs. Et s’est donc mis en tête de former les futures stars du code.

TROIS SALLES DE 300 MAC

L’École 42, c’est 3 ans de formation à Paris XVII. Mais avant d’y poser ses neurones, les heureux élus doivent passer une batterie de tests. Durant 26 jours en tout, sans pause. Cédric a sauté dans le grand bain en août dernier. « Ça s’appelle la piscine, car on plonge dans le code 24 heures sur 24. Il y en a qui nagent, d’autres qui se noient, il y en a qui ont juste la tête qui dépasse ». 900 jeunes âgés, grosso modo, de 18 à 30 ans débarquent. Ils sont répartis dans trois salles, les « clusters » où s’alignent 300 Mac. « Le bâtiment est impressionnant de technologie », décrit Cédric.

Les compétiteurs et élèves badgent, une machine salue chacun d’eux par leur prénom et leur demande, au passage, comment ça va. Pour manger ? Le food-truck reçoit les commandes par mail et informe chaque élève lorsque sa pitance est prête. Ambiance geek oblige, les salles de classe sont très branchées Star Wars : la cantine a été baptisée La Cantina, référence au bar de Jabba le Hutt. Côté hôtellerie, c’est un peu spartiate. « Sur place, il y a des douches, des toilettes, de quoi vivre. Moi, j’ai vécu là-bas durant 26 jours sans quasiment jamais sortir, se souvient Cédric. L’école met à disposition deux salles où l’on peut amener son matelas gonflable, ainsi qu’un sac de couchage pour dormir. Au début, les lits étaient collés les uns aux autres tellement il y avait de monde. Mais au bout de deux semaines, on avait beaucoup plus de place, car beaucoup ont abandonné. »

450 ABANDONS

Car il faut tenir le rythme fou de ces phases de sélection. « À 8 h 42, du lundi au vendredi, on reçoit les exercices à faire et on a jusqu’au lendemain 23 h 42 pour les rendre. Tous les vendredis, on passe un examen de 17 h à 21 h qui évalue ce que l’on a appris durant la semaine. Après cela, on doit se lancer dans un projet de groupe de 2 à 4 personnes qui va durer tout le week-end. Il n’y a pas de pause, on ne s’arrête jamais. »
De quoi en décourager plus d’un. Entre le début et la fin des phases de sélection, près de 450 élèves se sont fait la malle. « On t’impose un rythme énorme et une pression difficile à supporter, raconte Cédric. On n’a pas de prof, pas d’horaires, on travaille tout seul ou avec d’autres élèves. On n’a pas l’habitude de cela dans le système scolaire traditionnel. » L’apprenti codeur se dit pourtant prêt à retenter l’aventure si l’occasion lui en est donnée.

Car las, Cédric a reçu un mail du BDP (pour bureau des pleurs), lui signifiant que son nom ne faisait pas partie de la short list des grands gagnants. « C’est une super expérience, on vit un truc exceptionnel dans une bonne ambiance, c’est comme une grosse colonie de vacances. Et puis, c’est une méthode de travail qui me convient. J’ai appris 10 fois plus que n’importe où ailleurs. En un mois, j’ai carrément appris à programmer ! »

Portrait par Flore Mabilleau