Claire Diterzi de retour à Tours

Après des années de vagabondage et aussi des années parisiennes, Claire Diterzi est de retour à Tours. C’est là qu’elle a décidé de vivre et d’installer sa compagnie. Double rencontre avec l’artiste et Benjamin Pionnier, directeur de l’Opéra de Tours, qui l’a accueillie en résidence : une évidence dans la politique d’ouverture du lieu à d’autres répertoires et d’autres publics.

Claire Diterzi travaille avec la cheffe de chœur, Sandrine Abello, de L’Arbre en Poche.
Claire Diterzi travaille avec la cheffe de chœur, Sandrine Abello, de L’Arbre en Poche.

Trois questions à… Claire Diterzi

Alors, ça y est, Claire, vous êtes de retour à Tours ?
Oui, je voulais implanter ma compagnie ici. C’est un retour dans ma ville, que j’adore et que je suis vraiment heureuse de retrouver. Je me sens comme Scarlett O’Hara qui crie « Tara, Tara ! » à la fin de Autant en emporte le vent. Moi, c’est « Tours, Tours ! », mais c’est pareil ! Ce qui compte chez elle, c’est la Terre d’où elle vient. Je me rends compte que je n’avais pas d’ancre, je suis allée au Japon avec Decouflé, j’ai voyagé partout avec mes spectacles, j’ai vécu à Paris. Et là, je comprends l’importance d’un territoire. L’autre jour, je suis allée voir la création de Thomas Lebrun au CCNT. Quelques jours plus tard, j’étais au Théâtre Olympia pour la dernière création de Vincey…

Et puis, il y a cette résidence au Grand Théâtre, qui va se prolonger avec le projet symphonique au mois d’avril…
C’est une commande de Benjamin Pionnier, c’est très important de le préciser. On s’est vus il y a deux ans, à Paris, au bar de l’Opéra Garnier. Il m’a dit « Écoute Claire, je m’occupe de l’orchestre symphonique et j’aimerais bien jouer ton répertoire ». J’ai cru avoir mal compris ! J’ai passé des mois à sélectionner des chansons qui se prêtaient à ça. Certaines, je les avais composées pour Découflé, d’autres pour le cinéma, d’autres pour un album…
J’ai engagé un arrangeur pour orchestre, Sylvain Griotto qui a écrit les partitions pour orchestre de cette quinzaine de chansons. Il y aura donc les 45 musiciens, deux choristes et moi au chant.

Conserverez-vous cette notion de théâtre musical ?
Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas les chansons de Diterzi avec douze couches de violons dessus. On va jouer avec les codes. Il y aura sans doute des choses que je fais dans le spectacle Je garde le chien, où je divulgue des bribes de mon journal de création et où j’illustre ce texte d’images projetées et de chansons simplement lues. Tout ça va avec le désir de revenir au sens propre et profond de la chanson, au sens du texte.
Et puis le plaisir de chanter a cappella. En ce moment, je découvre les arrangements de Sylvain et, parfois, il y a juste un solo de harpe ou de flûte, un minimalisme qui me va bien. Et après, ça repart en vague… J’ai hâte de jouer ce spectacle !

>>Je garde le chien… Et l’orchestre // Avec l’orchestre de la Région Centre Val-de-Loire, sous la direction de Benjamin Pionnier. À Thélème, le 17 avril

DITERZI_PAGE 4

Trois questions à… Benjamin Pionnier, directeur de l’Opéra de Tours

Claire Diterzi est en résidence au Grand Théâtre, pour deux projets. Un choix qui peut surprendre a priori…
Claire Diterzi, elle est rock, elle est proche de la chanson contemporaine. Elle est, en fait, assez difficile à classer. Mais, surtout, elle a un univers qui n’est pas très éloigné de ce que l’on appelle les musiques savantes. Moi, mon univers, c’est l’orchestre, l’opéra et elle n’en n’est pas très éloignée dans la mesure où elle parle de théâtre musical. Le théâtre musical, c’est une forme d’opéra, ce n’est pas très loin de la comédie musicale ou de l’opéra comique. C’est une forme de concert avec du texte et de la musique. Dans l’Arbre en poche, par exemple, il y a un contre-ténor. C’est un mix entre des formes classiques et du rock. Claire est vraiment une artiste complète qui n’a pas de limites. De même que nous, nous essayons de pousser un peu nos limites et de brasser les publics. En plus, elle n’est pas anodine comme artiste : c’est quand même la seule chanteuse rock qui a fait la Villa Médicis.

Comment est venue l’idée d’un spectacle avec des versions symphoniques des chansons de Claire Diterzi ?
Moi, quand j’écoute les chansons de Claire, j’entends une version plus orchestrée, plus large. Elle, elle a un répertoire de chansons qui par toutes les couleurs qu’on y trouve, par sa science musicale et sa recherche d’écriture se prête complètement à l’orchestration. Et l’orchestre apporte une dimension supplémentaire. Donc moi, je le vois vraiment comme un échange artistique, au niveau des équipes et des musiciens. Et cela veut dire aussi que tous les publics peuvent se retrouver dans la démarche. Il y a un vrai travail de fond, dans la création, c’est le principe de la résidence que d’arriver à bouger les murs, comme elle le dit elle-même.

En plus, elle est Tourangelle !
Eh oui, c’est la petite gamine des quartiers nord qui est passée par le Conservatoire qui a découvert le monde sur la scène du Grand Théâtre quand elle était gamine. Maintenant qu’elle a cette reconnaissance nationale et internationale, elle boucle la boucle en revenant vivre et travailler dans sa ville. C’est une très bonne nouvelle pour Tours !

Interview Xavier Greffe : "Un tournant culturel"

Xavier Greffe, professeur de sciences économiques à la Sorbonne, est l’auteur de La Politique culturelle en France (2009).

Xavier Greffe
Xavier Greffe est l’auteur de La Politique culturelle en France (2009).

On parle souvent de politique culturelle en France. Mais est-elle encore un modèle, voire d’actualité ?  
Oui et non. Par rapport à d’autres pays, la part de l’Etat et des collectivités locales est très forte. C’est incontestable. Encore aujourd’hui, le système de la culture en France est un système « drivé » par les pouvoirs publics. Mais il y a un autre aspect, plus surprenant : la France devrait faire attention à des pays comme le Japon ou l’Angleterre, qui ont autant d’actions culturelles, même s’il y a moins de gratuité.  Depuis 2008 et 2012, en France, il y a une inversion sensible des tendances budgétaires. Pour les collectivités locales (surtout les communes), c’est 80 % des dépenses culturelles, contrairement au département ou à la région qui dépense beaucoup moins en matière de culture. Les communes dépensent autant que l’Etat.  Pour l’Etat, justement, ça a baissé. La présentation budgétaire a changé. Ce qui continue d’augmenter, ce sont les taxes (par exemple, sur l’audiovisuel). Est-ce à cause des tendances conjoncturelles ? C’est probable… L’autre débat, c’est l’efficacité de ces dépenses !  La consommation culturelle reste une consommation sélective. En France, c’est traditionnel, on s’occupe peu des industries créatives. Comme si la culture était sanctuarisée. Plus elle est pure, mieux c’est…

On parle aussi d’exception culturelle…
Oui, mais c’est de plus en plus partagé, y compris dans d’autres pays. Dans les sommets, on cite de moins en moins la France. D’autres s’y intéressent aussi !

Pensez-vous que l’on soit dans une impasse, au niveau des subventions culturelles ?
Il y a une grosse difficulté dans la collectivité : on se dit, « c’est le musée ou l’hôpital ? » Et ça ne peut être que l’hôpital. Pour l’Etat, c’est différent. Il peut dire « je dois protéger les collections ». L’Etat a un peu de marge. Il y a aussi deux aspects à retenir : d’abord, la possibilité de faire financer les autres, par exemple le crowdfunding. Cela peut marcher dans le patrimoine, même si je ne pense pas que ce soit durable. Et ensuite, les apports privés, mais c’est ambigu et le gouvernement n’ose pas aller trop loin.  Mais il y a une baisse des subventions, c’est clair ! Même pour le Louvre qui voit ses subventions baisser et les prix d’entrée augmenter. Ceci dit, je suis inquiet pour les collectivités locales. Ce serait un drame. Par exemple, pour les subventions aux Centres dramatiques nationaux : elles sont plafonnées. On est déjà de l’autre côté de la montagne…

C’est un tableau peu reluisant…
Disons que c’est un tableau plus compliqué qu’il n’en a l’air.

Est-ce que l’on ne devrait pas, à l’échelle nationale, renouveler notre politique culturelle ?
Je pense, oui. On doit sortir la culture de son ghetto. Les effets potentiels de la culture sur le développement sont considérables. Il y a un domaine où c’est trop raté : le lien culture/éducation. On dit toujours qu’on doit amener les enfants au musée. Mais si les enfants font des ateliers réguliers dans les musées, ça va développer ses capacités créatives. Par exemple, au Louvre Lens : il ne s’agit pas que d’un musée pour que les touristes s’y arrêtent ! Il faut créer des ateliers design, profiter de l’occasion, ou pour reprendre l’expression anglo-saxonne « out reaching » (sortir des murs, NDLR). Le problème, c’est qu’on ne voit pas le musée comme une source de création pour le territoire. Le débat financier pourrait changer de nature. Si la population sent que c’est un chantre de vie, on va voir le musée ou le théâtre sous un angle différent. Les milieux culturels et les artistes sont très conservateurs… Attention à ne pas déculturaliser la culture. En France, il y a un décalage entre art et culture. On dit culture, mais on ne fait que de l’art. C’est l’art qui doit irriguer la culture.

Les choses changent ?  
La France est à un tournant culturel. Elle a fait quelque chose d’exceptionnel, mais aujourd’hui, c’est très fragile. Mais les villes y sont sensibles : Nantes, Bordeaux, Nancy… Il faut sortir de la dimension purement artistique.

Vous avez une vision plutôt pessimiste, non ?  
Non, ouverte ! (rires) C’est vrai qu’il y a une exception française, mais l’erreur est de croire que les autres pays ne sont rien à côté de nous.

À votre avis, quel était selon vous le « meilleur » ministre de la Culture ?  
(longue hésitation) Difficile de répondre… Je dirais Lang et Malraux, ou d’autres comme Duhamel, car il a résolu des problèmes. Je n’ai pas beaucoup d’admiration pour les derniers, à part Filippetti. Maintenant, ce ne sont plus des ministres, mais des directeurs d’administration centrale liés à un président. Ils n’ont pas de projet. Lang a ouvert des portes extraordinaires, Malraux aussi. D’ailleurs, il n’existait aucun ministère de la Culture avant lui ailleurs. Mais il avait aussi beaucoup d’argent dans son budget…

Propos recueillis par Aurélien Germain

L’ouvrage de Xavier Greffe à découvrir ICI

Agglo de Tours : quelles politiques culturelles ?

Nous avons rencontré des programmateurs, des artistes, des politiques pour qu’ils nous parlent de leur vision de la culture.

Politique culturelle
Cet été, le Temps Machine organisait avec l’association Vivre ensemble un atelier Human beatbox pour des enfants des Rives du Cher. (Photo Temps Machine)

Dans la petite salle du Temps Machine, à Joué-lès-Tours, Frédéric Landier fait le compte des personnes qui profitent de la salle de musiques actuelles. Il est programmateur : « Le Temps Machine ne se résume pas aux 10 000 personnes qui viennent assister aux concerts chaque année. » Olivier Claveau, le directeur technique, ajoute : « Depuis le début, nous avons eu 765 musiciens qui se sont inscrits pour bénéficier des locaux de répétitions, chacun représentant un groupe de musique de plusieurs personnes. »
Claire Heymans et Lucie Beignet, elles, s’occupent de l’action culturelle : « En 2013, 2 000 personnes sont venues visiter la salle. Plusieurs centaines ont bénéficié d’ateliers et de concerts en dehors du Temps Machine. » « Une de nos missions, c’est de rendre compte de la richesse locale, explique Frédéric Landier. Est-ce que le Temps Machine a contribué à redonner une fierté d’appartenir à la scène tourangelle ? Sûrement en partie. »
Publics, subventions, coût
À quelques kilomètres de la salle de musiques actuelles, Marie Hindy est depuis quelques mois programmatrice de l’Espace Malraux : « C’est une cuisine compliquée, la programmation. Je viens du social avant d’être rentrée dans le monde de la culture : peu importe leur envergure, j’attache une grande importance au discours de l’artiste. » Pour Marie Hindy, la culture est stratégique dans une ville comme Joué-lès-Tours : « Le développement du spectacle vivant est une réponse intéressante au manque de patrimoine historique. »
Qu’en est-il des subventions ? « Je vais vous faire un petit calcul simple : en 2015, nous allons recevoir la nouvelle pièce de Jacques Weber. Le spectacle coûte 20 000 euros. Il faut compter deux jours pour installer les décors, recevoir les artistes, préparer la technique : ce sont 6 000 euros en plus. Ajoutez 5 000 euros de fonctionnement et la note totale affiche 30 000 euros. Si on divisait par le nombre de spectateurs, nous avons 1 000 places, les billets coûteraient 300 euros. S’il n’y avait pas de subventions, on reviendrait à une culture réservée aux élites. »
Alors, culture pour tous ? Chaque art a bien sûr ses adeptes, ses connaisseurs. Un fan de rock ne va pas forcément aller à un concert de dub step. Quoi que : Thomas Lebrun, le directeur du Centre Chorégraphique National de Tours a une autre idée du public. « Tout le monde en fait un pataquès de la danse contemporaine, s’amuse le chorégraphe. Pour moi, elle n’est pas si hermétique. Elle peut être populaire. C’est possible d’être un artiste innovant dans sa danse et proche du public. Chaque spectateur a son propre regard. Prenez la soirée What You Want que nous avions organisée à la Guinguette de Tours. Certains voyaient de la danse contemporaine pour la première fois. D’autres ont apprécié le niveau technique d’improvisation. »
Politique culturelle
Les soirées What you want du Centre Chorégraphique National de Tours permettent selon Thomas Lebrun, d’intéresser un autre public à la danse contemporaine. (Photo CCNT/Frédéric Iovino)

Populaire ?
Au coeur de Tours, une petite salle offre un autre modèle de structure culturelle. Arcades Institute existe depuis 2010, ce lieu a été créé par la fratrie Jauzenque. Cécile et ses frères ont eu envie de se faire plaisir. Passés par le ministère de la Culture de Renaud Donnedieu de Vabres, Cécile et Dominique Jauzenque ont voulu faire d’Arcades Institute un endroit de décloisonnement des arts. Ils se sont entourés de plusieurs programmateurs, en musiques actuelles, anciennes, jazz, peinture, photographie…
« Nous avons ouvert un lieu de création exigeant, explique Cécile Jauzenque. Nous sommes très flexibles. Pendant trois ans, nous avons fonctionné sans subvention. Aujourd’hui, nous en recevons certaines du conseil général et de la ville de Tours mais pour des projets bien précis. Nous voulons être autonomes, nous nous finançons avec la billetterie, grâce à la location des lieux pour des événements privés et au mécénat d’entreprise. Mais le coeur d’Arcades Institute, c’est la culture. Le grand risque, pour un lieu comme le nôtre, c’est de privilégier ce qui rapporte au détriment de la qualité. Nous sommes plutôt partis du principe que la culture était créatrice de richesse et qu’une création pouvait attirer du monde tout en étant très pro. Il faut redonner du sens à la culture populaire qui vient avant tout du mot peuple. »
Dans son bureau près des Halles, Julien Lavergne porte un autre regard sur la culture. Il dirige AZ Prod, une société privée de production de spectacles. « La culture et le business ne sont pas incompatibles pour moi. Et puis, nous attirons des personnes de tout le département qui vont venir manger au restaurant, passer par Ikea avant d’aller à un concert au Vinci. » Julien Lavergne fonctionne avant tout en logique de marché : « Je ne suis pas du tout opposé à ce qui se fait dans les salles subventionnées puisqu’elles programment des artistes qui ne seraient pas rentables pour moi. En revanche, quand une structure associative touche des aides publiques et programme un groupe très connu, c’est pour moi de la concurrence déloyale. Je suis incapable de m’aligner sur leurs tarifs. »
Côté villes
En se plaçant au niveau de l’agglomération, chaque ville possède sa propre politique culturelle. Pourquoi subventionner des compagnies ou payer des spectacles quand la Région ou la Drac le fait déjà ? Gérard Paumier, le  maire de Saint-Avertin avance une première réponse, consensuelle : « C’est ce qui fait partie du vivre ensemble. » En 10 ans, la ville s’est imposée dans le paysage tourangeau notamment grâce à sa politique culturelle. « Une des premières décisions que j’ai prises en arrivant à la tête de Saint-Avertin a été de ne plus déléguer la culture, mais d’avoir un service culturel fort. Aujourd’hui, nous avons le Nouvel Atrium qui cartonne, une guinguette, une médiathèque à la pointe, une galerie d’exposition… » Même si, en termes d’habitants, Saint-Avertin n’est pas la plus grande ville de l’agglomération tourangelle, sa politique culturelle lui a permis de trouver une visibilité et une influence importante.
Pour Christine Beuzelin, l’adjointe à la culture et à la communication de la ville de Tours, la culture permettrait de faire rayonner Tours au-delà de ses frontières. « Nous pâtissons de la proximité avec les châteaux de la Loire. Nous avons, par exemple, plusieurs ensembles de musiques anciennes qui sont connus à l’international mais qui n’ont pas beaucoup de visibilité à Tours. Nous devons les faire connaître en local et les accompagner pour ensuite faire rayonner la ville. » Pour Christine Beuzelin, la place de l’agglomération dans la culture devrait être plus importante. « Je sais que Tour(s)plus ne gère que les équipements, mais pourquoi ne pas monter une grande commission qui permettrait de se mettre d’accord sur les grands dossiers culturels ? L’agglomération finance des lieux comme le Temps Machine et le Point Haut à Saint-Pierre-des- Corps, mais ensuite, ce sont les villes qui prennent le relais. C’est parfois lourd à gérer. »
>> POUR ALLER PLUS LOIN : l’interview de Xavier Greffe