L’amour par les (gros) mots !

Manon Moncoq, jeune étudiante en anthropologie à Tours, est aussi éditrice. C’est elle qui a réédité l’excellent Dico des gros mots cachés dans les mots, de sa maman Edith. Au-delà d’un parcours étonnant, une belle histoire d’amour entre une fille et sa mère.

Manon Moncoq, avec les livres réédités (Photo tmv)
Manon Moncoq, avec les livres réédités (Photo tmv)

C’est l’histoire d’un livre. Coquin mais malin, insolent mais savant. C’est l’histoire d’une fille et de sa mère. C’est une histoire de mots, d’amour, de vie. Manon Moncoq a 21 ans. Elle est étudiante en anthropologie à Tours. Mais elle aussi et déjà éditrice. Elle édite Edith. Sa maman. Auteure, par ailleurs, du jubilatoire Dico des gros mots cachés dans les mots.
Pour tout comprendre, il faut remonter dans le temps. Direction les 4 ans de Manon. À cette époque, elle est « en mode pipi caca zizi », comme elle le dit. Sa mère l’habille d’une salopette et lui dit qu’il y a deux gros mots cachés dans son pantalon. Si elle les trouve, elle peut lui dire dans le creux de l’oreille. « Il y a salope et pet ? », ose Manon. « Vite, cache-les dans tes poches, car les gros mots, ce n’est vraiment pas beau. Et si tu veux en dire, tu n’as qu’à dire ceux qui sont cachés dans les mots normaux », lui répond sa maman Edith. L’idée de son fameux dico était née. L’ouvrage paraîtra en 2008, en auto-édition. Un petit trésor, fondé sur des bases étymologiques et des définitions très personnelles et qui dévoilent « la fesse cachée des homonymes », comme l’écrit Edith. Canne à pet, corps nichons, ou encore con joint et précis pisse… Autre exemple ? « Chie ouah ouah : de l’argot chier “ emmerder ’’ et de ouah ouah “ aboyer ’’. Petit chien de merde. »

(Dessin David Gouzil)
(Dessin David Gouzil)

Le petit ouvrage cartonne. Dévoilant même sa grivoiserie sur Canal +, encensé par l’animatrice Daphné Bürki. Edith, ancienne directrice de création dans la pub « qui rêvait d’être écrivain », dixit sa fille Manon, voit son oeuvre devenir collector. Et puis arrive 2011 . La voix de Manon devient plus sourde quand elle raconte. Écrit en son propre nom après une cessation d’activité 8 ans auparavant, la justice décide qu’Edith n’a plus le droit de commercialiser son livre. Retiré de la vente. Un coup de massue terrible. « J’avais 16 ans. Pour moi, ce n’était pas possible. C’était une injustice. J’ai attendu d’être majeure pour l’éditer. Je l’ai fait pour elle, pour notre histoire », se souvient Manon.

En 2014, boulimique de lecture, amoureuse des mots, la toute jeune Manon se retrouve donc propulsée à la tête de Tache d’encre, sa maison d’édition rien qu’à elle. Un monde qu’elle ne connaît pas du tout. Chronophage, alors qu’elle doit aussi jongler avec ses (longues) études. Après un passage par Poitiers, Manon est aujourd’hui en master d’anthropologie à Tours. Son objectif ? Décrocher le doctorat.
Alors concilier l’édition et les cours, « c’est difficile certes, mais ma mère m’a toujours tiré vers le haut ». De toute façon, Manon, qui partage sa vie avec Châtellerault (normal, sa maman y est), s’est donnée à 200 % dans cette aventure. « Le monde éditorial est dur. En 2016, c’est laborieux. Mais c’est une richesse », dit-elle. Avant de rappeler de nouveau que derrière tout ça, il y a aussi « mon amour pour ma mère ». « C’est l’un des plus beaux cadeaux que je lui aie fait », souffle-t-elle. Fin 2014, Manon permet donc à sa mère de rééditer son célèbre dico. Une sorte de best-of, cette fois agrémenté d’illustrations. « Interdit aux personnes majeures sans esprit », comme le dit Manon dans un sourire. Une sortie qui sera assombrie par le drame de Charlie Hebdo quelques jours plus tard. La date de sortie du deuxième opus, en novembre 2015, tombera pendant l’horreur du Bataclan. Double peine.

DES MAUX AUX MOTS

(Dessin Laurence Bastard)
(Dessin Laurence Bastard)

Manon est toujours aussi fière de sa mère. De « ce projet fou ». Parvenir à éditer ce Dico des gros mots cachés dans les mots. Deux cent trente pages cachottières à souhait. Enquillant les coquineries, les drôleries et l’amour de l’étymologie. Vingt dessinateurs, recrutés sur Facebook, illustrent la chose. Zéro censure. Manon déteste ça de toute façon. « On défend la cause de l’artiste qui est aujourd’hui bafouée », ose-t-elle. Alors ici, le subversif côtoie le salace, le caustique s’acoquine avec la gauloiserie. « Totale liberté. C’est leur premier jet ! »

Finalement, Manon Moncoq, 21 ans, étudiante et éditrice, c’est qui, c’est quoi ? Le symbole de l’amour d’une fille pour sa mère ? Oui. Parce que Manon a voulu faire de cette aventure un projet commun par tous les moyens. Effacer les sales années et montrer à tout le monde à quel point celle qu’elle considère comme sa « meilleure professeure » réussit à « faire parler les mots ». « Elle m’a ouvert les yeux sur la littérature. Elle aime la poésie qu’il y a dans une phrase. Mais au-delà de ça, je suis très proche de ma maman. L’édition du Dico a concrétisé nos relations. Nos parents sont très importants. Je me demande parfois comment certain(e)s peuvent les rejeter », ajoute Manon, visiblement touchée, les yeux qui brillent.

Le futur, les projets ? Manon hésite. Ne sait pas trop. « On en discute beaucoup », tient-elle tout de même à souligner. En attendant, avec cette saga du Dico, c’est une jolie page qui s’est tournée. La claque de 2011 et de la première version retirée du commerce est passée. Pensant à sa mère, la fille susurre : « On a eu notre revanche… »

> Le dico des gros mots cachés dans les mots, d’Edith (Tache d’encre éditions). 22 €.
> Ledicodesgrosmotscaches.com

(Dessin Christian Creseveur)
(Dessin Christian Creseveur)

Fête des mères : génération maman(s)

Nous avons posé des questions identiques à des mamans et à leurs filles. Elles ont répondu séparément sans savoir ce que l’autre disait. À vous de comparer les réponses.

KIKI, LA GRAND-MÈRE, NADÈGE, LA MAMAN, ELEA, LA PETITE-FILLE

Quel est le meilleur moment vécu ensemble ?
Kiki « La naissance de ma fille. Elle m’a apporté une grande satisfaction. »
Nadège « Un week-end au mont Saint-Michel, il y a trois ans, avec ma mère et mes deux filles. Pour maman, c’était un rêve d’y retourner. Elle ne l’avait pas revu depuis son certificat d’études. »
Eléa « La première fois où nous sommes parties en vacances ensemble. C’était au mont Saint-Michel. C’était un week-end génial. »

Image29Un souvenir de votre fille bébé ?
Kiki « C’était mon rayon de soleil. Elle est née 8 ans après son frère et mon mari était très heureux d’avoir une fille. »
Nadège « Le jour où Eléa s’est fait mordre par un chien au restaurant. Ça m’a marquée. Il y avait un médecin juste en face, chez qui on a frappé en urgence. »

Votre pire souvenir partagé ?
Kiki « La mort de mon mari. Il a laissé un grand vide qui nous a rapproché Nadège et moi. »
Nadège « À la mort de mon père, Eléa n’était pas avec nous. J’ai dû lui apprendre par téléphone. »
Eléa « Je n’étais pas présente lors de la mort de mon grand-père mais c’est la période qui a suivi qui a été très dure pour moi. »

Votre mère est-elle votre modèle ?
Nadège « J’ai autorisé plus de sorties à mes filles mais mon éducation est calquée sur celle de ma mère. Il n’y a jamais eu de tabou entre nous et je n’en ai pas non plus avec mes filles. J’ai la chance d’avoir encore ma mère avec moi et je me sens protectrice envers elle. »
Eléa « Nous avons eu des rapports très conflictuels ; maintenant, ça va mieux. J’ai tendance à protéger ma mère. Je lui suis redevable de beaucoup de choses et je me rends compte de la chance que j’ai eue. »

Sa plus grande qualité ?
Kiki « Nadège a bon cœur. Elle fait tout à la maison. Eléa est gentille, parfois trop et ça peut lui porter préjudice. Elle se soucie beaucoup des autres. »
Nadège « Maman est aimante et attachante. Elle a le sens de la famille et elle est très responsable. Eléa est à l’écoute, généreuse. »
Eléa « Ma grand-mère est moderne, on parle sur Skype, on s’envoie des textos. Elle est protectrice et confiante. Pour ma mère je dirais travailleuse et altruiste. »

Son pire défaut ?
Kiki « Je regrette les choix de vie qu’elle a fait. Qu’elle n’ait pas continué ses études. Mais elle est heureuse aujourd’hui et c’est le principal. »
Nadège « Ma fille a tendance à se laisser vivre. Comme elle n’aime pas cuisiner, elle aime bien se mettre les pieds sous la table (rires). Parfois, elle se laisse bouffer par les autres. Kiki monte vite en pression. Elle est du signe du scorpion et elle sait piquer où il faut. Comme elle ne dort pas et elle est survoltée. »
Eléa « Ma mère est têtue. Quand elle a une idée, elle ne la lâche pas. Kiki est trop spontanée et peut être blessante. Elle est trop entière. Et puis elle est maniaque, on pourrait manger par terre chez elle. »

Une petite manie ?
Réponse unanime « On s’appelle tout le temps ! »
Nadège « On se touche tout le temps les cheveux aussi. »
Eléa « Elles sont maniaques tout court. »

Un mot pour qualifier votre relation ?
Kiki « Sincère. »
Nadège « Fusionnelle. »
Eléa « Complicité. »

CHRISTELLE, LA MAMAN, MARINE, UNE DES FILLES

Quelle fille est-elle pour vous ? Quelle fille êtes-vous pour elle ?
Christelle « Elle est douce, aimante, attachante même si elle déteste ce mot (rires). Elle dit qu’elle est la préférée. Elle est serviable et à l’écoute s’il y a le moindre souci. »
Marine « Je suis la chiante, celle qui ne fait pas ce qu’on lui dit. Je suis différente des deux autres autres enfants, j’ai le caractère de mon père. Mais je suis la préférée ! »

A-t-elle des petits secrets pour vous ? Image28
Christelle « Elle a son jardin secret et elle a raison ! Elle a sa vie d’adulte et comme je suis un peu trop mamanpoule, elle ne me dit pas tout parce que je risquerait de critiquer. »
Marine « Je ne pense pas qu’elle ait des secrets, à part d’ordre intime mais ça je ne veux pas savoir. Nous sommes très ouvertes, on discute beaucoup. »

Vous souvenez-vous de la période d’adolescence ?
Christelle « Elle nous a tout fait : jogging, casquette sur le côté, cigarette ! Ce n’était pas facile. C’est l’enfant du milieu avec une grande soeur et un petit frère. Je pense qu’elle a eu du mal à trouver sa place. C’était tendu avec son père alors j’essayais de temporiser. C’est à cette période que nous nous sommes rapprochées. »
Marine « J’étais atroce ! Ça a dû être très dur pour eux. J’ai fait une crise d’ado pour trois. Ce n’est pas que je ne les aimais pas mais j’étais dans le conflit. »

Vous diriez qu’elle est une femme … ?
Christelle « Bien dans sa peau. Elle mord la vie et ne se prends pas la tête. Ma plus grande fille est plus stressée, comme moi, mais Marine jamais. Elle aime se débrouiller seule. »
Marine « Ma mère est généreuse, pleine d’amour, droite, sérieuse. »

Un souvenir ensemble ?
Christelle « Que toutes les deux ?! Elle est toujours avec sa soeur. On fait tout en famille. Peut-être que nous l’avons un peu plus épaulée dans ses choix professionnels et dans ses études. »
Marine « Nous sommes rarement toutes les deux, à part pour les courses (rires). Je suis esthéticienne alors nos de complicité, c’est quand je lui fais des soins. »

Niveau sentimental ?
Christelle « Je surveillais un peu. On aime que les amoureux nous plaisent mais je ne les ai pas tous connus. Elle ne nous a pas tout de suite présenté l’actuel mais j’étais au courant. »
Marine « Elle est commère ! Si elle peut choper une bride de conversation elle tend l’oreille. Mais elle n’a jamais jugé mes copains. »

Vous vous téléphonez souvent ?
Christelle « Deux fois par semaine. Elle est comme son père : elle n’appelle pas pour ne rien dire. Et quand elle ne veut pas répondre, je le sais. Le mercredi par exemple, c’est « Grey’s Anatomy », pas la peine de l’appeler. »
Marine « Au bout de trois jours de silence, je l’appelle en lui disant “ Tu ne m’as pas appelée ! ” et elle me répond toujours “ Toi tu pourrais m’appeler aussi ”. »

Que représente la famille pour vous ?
Christelle « C’est les bases. Nous avons vécu une vie militaire alors nous étions recentrés sur un noyau familial : des parents et trois enfants. J’aime savoir que mes filles sont près de moi. Je vais essayer de garder le dernier plus longtemps. »
Marine « C’est la chose la plus importante pour moi. Ce sont des personnes qui seront toujours présentes. C’est de l’amour et c’est vital. »

VALÉRIE, LA MAMAN, LUCINE, LA FILLE

Qu’est-ce qui vous fait rire chez elle ?
Lucine « Elle est complètement sourde, c’est génial. On a beau crier du salon, elle n’entend rien dans la cuisine. C’est assez pratique parfois ! »
Valérie « Elle a une tendance à utiliser des mots complètement hors contexte. Je trouve ça très drôle. J’ai l’habitude de dire qu’elle fait partie des contrariés de la méthode globale. »

Sa plus grande qualité ?
Lucine « Son perfectionnisme, elle travaille d’arrache- pied et ne lâche rien. Elle est metteure en scène, je l’admire, elle est consciencieuse. »
Valérie « Elle est ouverte aux autres, elle a une grande facilité à nouer des liens. Elle possède une qualité que je trouve fondamentale : elle est est curieuse. »

DOSS_PORTRAIT CROISE2_PAGE3Le plus beau cadeau de fête des mères ?
Lucine « C’est quand je lui ai offert une broderie. J’étais chez mes grands-parents et ma grand-mère venait de m’apprendre à broder. Il y avait marqué “ Maman je t’aime ” avec plein de petits coeurs et une flèche qui transperçait un gros coeur rouge. Qu’est ce que c’était cliché ! »
Valérie « Je suis une grande fan du groupe Scorpions. Une année, elle a réussi à se procurer deux places pour leur concert, en douce. Et elle a fabriqué un livre avec des rébus et les entrées à la fin. Je l’ai encore ! »

Un moment partagé important ?
Lucine « Les vacances chez mes grands-parents. On a une famille éparpillée et ce sont ces moments que j’aime. »
Valérie « Elle avait quatre ans et je l’ai emmenée avec moi au Burkina Faso où je faisais un stage de contes africains. Je l’ai trouvé incroyable. Elle était toute menue et en même temps, elle s’est adaptée très vite. »

Un surnom qui fait rager ?
Lucine « En fait, c ’est surtout un surnom que les autres me donnent qu’elle déteste : Lulu. Moi sinon, quand je veux l’enerver, je l’appelle Valoche, elle n’aime pas du tout. »
Valérie « Je me suis pris la tête à lui trouver un joli nom, Lucine, qu’est-ce-que ça m’énerve quand ses amis l’appellent Lulu ! »

Comment est-ce qu’elle vous aide ?
Lucine « Quand ça ne va pas bien, elle est toujours là pour me soutenir, m’aider. »
Valérie « Concrètement, je suis une maman solo et elle prend souvent en charge son petit frère (pause)… Elle m’aide à tenir. Elle est tellement… Forte. »

>> Aller plus loin

INSOLITE
La maman de Ralf Bouffioux, un Belge de 27 ans, a dû être bien heureuse. Après avoir disparu pendant un an et laissé une lettre d’adieu, le jeune homme est réapparu le jour de la Fête des mères en Belgique. Il avait fait le tour d’Europe en vélo.

POURBOIRE
Le week-end dernier, un client d’un restaurant en Caroline du Sud a laissé 9 000 dollars en pourboire. Après avoir pris un petit déjeuner avec des amis, l’homme a annoncé qu’il voulait être généreux pour la Fête des mères.

FOOTBALL
Aux Pays-Bas, les joueurs de l’Ajax Amsterdam ont voulu rendre hommage aux mamans. Lors de la traditionnelle arrivée sur le terrain, tous les footballleurs sont rentrés dans le stade avec leur mères.

Viens bébé, on va au bar !

Sa Majesté des Couches accueille les parents avec leurs poussettes et bambins. Les adultes retrouvent alors un lien social dans un quotidien chargé.

dosbébésite
Derrière un vieux comptoir en bois, des tasses et des théières. Dépareillées et soigneusement rangées. Du classique pour un salon de thé. Au centre de la pièce, une grande table, avec au milieu des cookies pépites de chocolat, cranberry ou flocons d’avoine, posés sur un présentoir. La musique folk imprime une ambiance feutrée. Jusqu’au cri d’Albertine, 21 mois, qui déambule vers Élise, sa mère. « Ah, non, tu n’auras pas de cookies », lui lance cette dernière, avant de la laisser retourner vers le cheval à bascule et le carré aménagé pour les petits, rempli de dominos, coussins, hochets sur le sol. Et où les murs sont des ardoises que les bambins peuvent gribouiller.
Sa Majesté des Couches n’est pas un salon de thé traditionnel. « C’est un bar à bébé », explique avec le sourire Aurélie Loiseau-Nez, trente ans et deux enfants (4 ans et demi et deux ans). Elle a créé un endroit où les parents peuvent sortir tranquillement. Avec leurs petits. Derrière le concept se cache le besoin pour les pères et les mères de sortir de la solitude postnatale. « C’est un statut qui nous isole », poursuit la jeune femme, libraire à Paris, avant de venir s’installer en Indre-et- Loire avec son mari, il y a deux ans.
« Beaucoup renoncent à leur vie de femme »
Premiers mois rythmés par les réveils du nourrisson en pleine nuit, heures passées à langer, allaiter pour certaines DOS_PAP1bébémères. « On est dépendant du rythme de l’enfant. Il y a un tourbillon dans lequel on est pris et on n’a pas le temps de se poser », analyse Leslie Colombat, accompagnante à la parentalité basée à Tours et praticienne en haptonomie (méthode de préparation à l’accouchement par le toucher). Le train de vie modifié, les sorties personnelles passent à la trappe. « Sur les mamans que je rencontre, beaucoup renoncent au début à leur vie de femme », continue- t-elle.
Posée en terrasse donnant rue Colbert, Gwendoline, 25 ans, est venue avec ses deux filles, Lahina et Haédy. Elle ne travaille plus depuis la naissance de la première, il y a quatre ans. Elle raconte son isolement. Les amis qui n’appellent plus pour aller boire un coup. « Cela m’aurait fait plaisir qu’on me propose de sortir. Même si certaines fois j’aurais dit non, j’aurais aimé être invitée… », confie-t-elle, de sa voix timide, en prenant Lahina sur ses genoux. Elle concède aussi un décalage grandissant avec son ancien cercle, qu’elle a définitivement quitté en s’installant à Tours. « À 21 ans, je n’avais pas beaucoup d’amis qui avaient des enfants. Avec un petit, on n’a plus les mêmes sujets de conversation. Des fois, je ne savais pas trop quoi leur dire », dit-elle. Il existe une solution de facilité pour entretenir une vie sociale : faire venir ses amis chez soi. Aurélie s’en est vite lassée. « À un moment, j’ai eu besoin de retrouver mes amis en dehors de chez moi », ajoute-t-elle.
La peur de déranger
Photo 009Problème : quand on ne peut pas faire garder ses enfants (pour des raisons financières ou pratiques), trouver un endroit accueillant pour les plus petits est une gageure. « Rien que la semaine dernière, avec mon mari et mes enfants, on a dû faire trois ou quatre restaurants pour en trouver un qui possédait une chaise bébé… », s’agace la gérante de Sa majesté des Couches. Dans l’autre sens, le bruit et l’agitation d’un enfant brident les parents qui souhaitent ou sont contraints de sortir avec leurs rejetons. Élise se souvient. « Pendant les vacances, on s’est posés pour manger une glace. Dix minutes, ça va. Mais au bout de 50 minutes, forcément, ma fille commence à bouger. Et on ne veut pas déranger les autres ». Sa belle-mère ajoute : « Et puis, il y a des personnes qui sont agacées par les enfants, il faut le respecter ».
Au bar à bébé, les clients ont un oeil sur le thé. Un autre sur les enfants. « Pratique », dit Élise. Gwendoline, se sent, elle, « détendue ». Les discussions s’animent. Les parents échangent sur leurs petits. À quel âge commence-t-il à marcher ? Quelle technique de portage adopter ? Discuter est aussi le moyen de se sentir moins seul sur un autre plan : celui de la manière de s’occuper de ses enfants. « On a envie de partager, de poser des questions », précise Gwendoline.
« Les parents se rendent compte qu’ils sont pareils »
Des ateliers, animés par des spécialistes, sont organisés régulièrement par Sa Majesté des Couches : massages bébé, langage des signes. Un soutien. Une manière d’apprendre collectivement. « En plus de conserver un lien social, ce concept de bar à poussette permet aux parents de se rendre compte qu’ils sont tous un peu pareils », explique Leslie Colombat, partisane de cette ouverture vers « l’extérieur ». Une démarche que la gérante avait envie de conjuguer avec une certaine éthique. « On va par exemple promouvoir les couches lavables. Et pour manger et boire un coup, ici, tout est bio ou issu du commerce équitable », explique Aurélie.
Grâce à ces atouts, elle a trouvé une « petite clientèle fidèle ». Composée à « 85 % de femmes », évaluet- elle, à la louche. Les papas viennent rarement. Plutôt le samedi, avec leur conjointe. Un constat qui reflète une répartition des tâches encore inégalitaire au sein des couples. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de mai 2013, les mères consacrent deux fois plus de temps que les pères aux activités parentales. Avec un enfant de moins de trois ans, l’écart s’accentue. Voir affluer les hommes à Sa Majesté des Couches n’est pas encore pour cette rentrée.
Guillaume Vénétitay
Sa Majesté des Couches, 104, rue Colbert. Ouvert du mardi au dimanche.  10h-18h. 02 47 32 90 25