American Sniper tire à blanc

Une vision froidement nationaliste de la guerre d’Irak à travers les yeux d’un sniper moralement simplet.

American Sniper
Patriotique. L’adjectif colle à la peau de Chris Kyle. Plus le sniper progresse, gagne en reconnaissance dans la guerre, plus cette veine se creuse en lui. Comme un sillon malsain. Difficile de ne pas voir dans cet homme une machine à tuer progressant au fur et à mesure d’un conflit. Début de l’histoire : Chris Kyle est un cow boy du sud des États-Unis, du genre à mettre un sticker « Don’t mess with Texas » (Cherche pas la m**** avec le Texas) sur son frigo. Fort accent terreux, il vit son épiphanie devant les images télévisées de l’attaque de l’ambassade américaine à Nairobi, une bière à la main.

1998, il s’engage dans l’armée. 11 septembre, Georges W. Bush, Irak : l’histoire l’embarque, le prend, le retourne, exacerbe sa gâchette de moraliste. Clint Eastwood adore les contes. Dans celui-ci, il adapte l’autobiographie de Chris Kyle, tué aux USA en 2013 par un vétéran d’Irak.
Dans ses habits de réalisateur, le cowboy de la caméra a toujours préféré les morales tissées de bienveillance à la complexité d’un monde devenu trop ambigu pour lui. Il se complaît dans les batailles mythiques de la Seconde Guerre mondiale (Lettres d’Iwo Jima et Mémoires de nos pères), la fable urbaine (le très bon Mystic River), le western classique (Pale Rider). Bradley Cooper, qui campe le fameux Chris Kyle et produit le film, lance sa grosse carcasse façonnée par l’Actor’s Studio sur la même voie qu’Eastwood.

Sauf que traiter la guerre d’Irak de cette manière provoque une vision insupportable à tous ceux qui exècrent le patriotisme envahissant et propagandiste. Traiter ce conflit, qui a refaçonné les relations internationales du XXIe siècle, sous l’angle d’une simple bataille de rue entre valeureux combattants américains et terroristes barbares, est, en 2015, un manque total de réflexion et de lucidité sur l’état du monde. En se concentrant sur Chris Kyle et son syndrome de chien de berger, Clint Eastwood passe à côté d’un sujet qui le dépasse. C’est que le conflit en Irak n’a rien à voir avec la Seconde Guerre mondiale, mais plus avec celle d’Algérie ou du Vietnam. Si, à certains moments, ces soldats deviennent des robots exécutant les ordres d’une géo-politique colonialiste, comme déshumanisés, American Sniper replace toujours au centre de l’image Chris Kyle.
Symbole d’une Amérique maîtresse du monde, éduquée à coup de National Anthem et de drapeaux étoilés. La caméra, souvent à l’épaule, de Clint Eastwood se rapproche sans cesse de l’action, ne prend que rarement du recul. Les cadrages serrés empêchent de voir d’autres visages que celui d’un sniper lobotomisé, anesthésié par l’enjeu : tuer un maximum de méchants rebelles. Tristement glaçant.

Drame de Clint Eastwood. USA, durée : 2 h 14. Avec Bradley Cooper, Sienna Miller…

NOTE : X

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NOTATION :
**** CULTEissime
*** TOPissime
** PASMALissime
* BOFissime
X NULissime

American Bluff : ambitieux

Plongée loufoque dans un scandale des seventies. Un film brillant, drôle, mais très alambiqué…

Bradley Cooper et un Christian Bale méconnaissable (Photo DR)
Bradley Cooper et un Christian Bale méconnaissable (Photo DR)

Une scène d’ouverture déjà culte : un grassouillet kitsch à souhait réajuste sa moumoute horrible devant un miroir. Absurde au possible et les secondes qui passent. Mais c’est inévitable : on pouffe de rire. Bienvenue dans American Bluff (American Hustle en version originale, cherchez l’erreur…), la dernière réalisation de David O. Russell, estampillée, en début de film, d’un « Some of this actually happened »… Comprenez un mélange entre fiction et réalité.

Réalité, car American Bluff raconte un scandale qui avait secoué le pays de l’Oncle Sam (l’affaire Abscam, si vous voulez briller en société) dans les années 70. L’histoire d’un escroc et sa femme, prospères arnaqueurs s’enrichissant sur le dos de pigeons, mais contraints un beau jour par le FBI de coincer un maire véreux et corrompu.
Fiction, car Russell livre un mélange jubilatoire de comédie-thriller-drame, à la croisée de Scorsese et des Frères Cohen, pour un résultat carrément foldingue.

On comprend dès lors pourquoi le film a tout écrasé sur son passage outre-Atlantique et a rafflé les Golden Globes : nappé d’une bande-originale géniale (jazzy au début, rock sur la fin), American Bluff est une critique acerbe des institutions US. FBI, politique, mafieux minables, services de police… Tout y passe, mais David O. Russell parvient à distiller son message dans une tornade visuelle et filmique : esthétique léchée des seventies (décors, coiffures, photographie, tout est bluffant !), caméra parfois virevoltante, dialogues débités à vitesse folle…

Dans ce joyeux bazar — parfois très ou trop tordu — naît une alchimie qu’on n’avait pas vue depuis longtemps. La triplette Christian Bale (méconnaissable avec sa bedaine et sa barbe), Amy Adams (délicieuse en femme fatale) et Bradley Cooper (en agent du FBI permanenté, toujours aussi impeccable) nous tire de la torpeur quand le film s’enfonce dans des bavardages interminables.
Idem pour Jennifer Lawrence, miss Hunger Games, qui confirme une nouvelle fois son statut d’actrice extraordinaire irradiant l’écran…

Mais American Bluff désarçonne : thriller pachydermique mâtiné de comédie (certaines scènes sont tordantes), points de vue multiples et digressions rendent la lecture très difficile.
Plus embêtant, il laisse parfois place à la lassitude. Discussions tunnel (n’est pas Tarantino qui veut) et passages à vide inutiles (l’apparition furtive d’un Robert de Niro s’autoparodiant est incompréhensible) minent un film déjà compliqué à appréhender. Avec, pour résultat, un premier et dernier acte intelligents et réussis, mais faisant du surplace pendant 45 longues minutes. Dommage, car pour le reste, c’est glamour, drôle, efficace et ambitieux. Trop ?
Aurélien Germain
NOTE : ***

Thriller/Comédie, de David O. Russell. Américain. Durée : 2 h 18. Avec : Christian Bale, Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Amy Adams, Jeremy Renner…
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TOUJOURS EN SALLE
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THE RYAN INITIATIVE *
Jack Ryan, ancien Marine, a tout du héros : intelligent, courageux et patriotique. C’est donc tout naturellement que la CIA lui propose de devenir agent secret, sous couvert d’un boulot pépère d’analyste financier à Wall Street. Tout se complique le jour où des méchants russes veulent faire chuter l’économie mondiale. Un film d’action sans originalité, ni dans le jeu des acteurs, ni dans le scénario, pas travaillé pour deux sous. C.P.
THE SPECTACULAR NOW
On se disait qu’avec deux acteurs récompensés au Sundance 2013, cette comédie romantique pouvait apporter un petit souffle nouveau sur le genre. Niet. Absence totale de surprises, de rebondissements, d’originalité. Tant que ça en devient drôle. Tous les clichés de la romance adolescente niaiseuse à l’américaine sont réunis dans un seul et même film. On pourrait même croire que c’est fait exprès. Mais non. Subtilité est définitivement un mot rare pour ce genre vu et revu. J.L.P.
LES BRASIERS DE LA COLÈRE **
Drame sombre et sinistre, à l’image de la ville qu’il filme, le dernier film de Scott Cooper trace le quotidien de deux frères (un sorti de prison, l’autre revenu d’Irak) dans une Amérique rurale terne et minée par le chômage. Le pitch est classique, la mise en scène simpliste, mais Les Brasiers de la colère méritent d’être vus de par son incroyable direction d’acteurs : Christian Bale est magnétique, Woody Harrelson est grandiose… Pas révolutionnaire, mais une chronique sociale terrible. A.G.
NOTATION :
 **** CULTEissime 
*** TOPissime
** PASMALissime 
* BOFissime
X NULissime