Chroniques culture : Villa Royale, une tonne de BD et la Touraine à l’honneur

Il y a de quoi lire, cette semaine, entre Villa Royale (ayant concouru au Prix du roman tmv), des livres 100 % tourangeaux et le plein de bandes-dessinées.

LES LIVRES

VILLA ROYALE

L’ouvrage était arrivé sur la seconde marche du podium, lors de la délibération du Prix du roman tmv cette année : il fallait donc bien toucher un mot sur ce sublime « Villa Royale » (éditions Gallimard) ! Signé Emmanuelle Fournier-Lorentz, ce premier roman très cinématographique suit les errances d’une fratrie, une famille soudée et fusionnelle, mais décapitée depuis la disparition de la figure paternelle.

Le papa s’est donné la mort ; le deuil impossible imprègne chaque page et prend aux tripes. L’autrice tourangelle écrit avec un style fluide, de beaux mots, sait rendre ses personnages attachants (la sœur cynique qu’on adore, un frère rebelle, un autre surdoué bizarroïde, une maman fatiguée et paumée). Il y a de l’amour, de la tristesse, de l’osmose, dans « Villa Royale ». Mélancolique, mais magnifique.

Aurélien Germain

JE NE DIRAI PAS LE MOT

En juin dernier, Madeleine Assas recevait le Prix du roman tmv, édition 2021, pour « The Doorman ». Un an après, voilà que l’autrice nous revient par surprise avec « Je ne dirai pas le mot » (éditions Actes sud junior), première incursion en littérature jeunesse. On y découvre, à travers un texte très court mais percutant, le monologue intérieur et les interrogations d’une jeune ado amoureuse pour la première fois. Des frissons, des désirs, des émois, un corps et un cœur chamboulés.

Ça se lit d’une traite, d’un souffle, voire à voix haute. Les jeunes lecteurs devraient s’y retrouver (et les plus âgés, se rappeler).

A.G.

La Touraine à l’honneur…

Deux publications, ce mois-ci, issues directement de Touraine ! D’abord, « Baraque à frites » (éd. In8), signé du (très) prolifique Jérémy Bouquin. Le Tourangeau y raconte l’histoire de Julien, un trentenaire autiste, tenant une baraque à frites avec Maman, et de Mike, un ami de la famille, jusqu’à ce que Maman, un beau matin, ne se lève pas…

Autre sortie, celle de « Meurtre en Touraine : l’assassin est un flic » (Geste éditions) de Gilles Martin qui retrouve son personnage fétiche, Josselin Maroni, dans un polar mêlant commissariat de Tours, coronavirus et meurtre du fils d’un industriel de la région…. l A. G.

L’ESPACE BD

La sélection de la semaine

Le must de la semaine, c’est bien sur le final de « L’Espoir malgré tout » tome 4 (éd. Dupuis), où Émile Bravo offre une conclusion magistrale à son Spirou sous l’Occupation. Un monument de narration, plein de nuance et de subtilité : à lire… de toute urgence !
Autre conclusion, celle de la saga « Aquarica » (Rue de Sèvres) : ce T2 voit la reprise de l’aventure par François Schuiten suite au décès de son ami Benoît Sokal. Là encore, un récit fantasmagorique comme les aimaient ces deux géants du 9e Art… La reprise des aventures du Scorpion par Luigi Critone, avec toujours Stéphane Desberg au scénario, confirme via ce T14 « La Tombe d’un Dieu » (Dargaud) que le choix était judicieux pour succéder à Marini. Des séquences époustouflantes, des femmes fatales et des destins brisés : le cocktail est détonant.

Avec « Au nom de la République » (Soleil), Bartoll et Guzman démarrent une série policière dont le T1 « Mission Bosphore » narre l’élimination des ennemis de la France par une mystérieuse cellule, dans le contexte post-attentats de 2015. Un récit âpre et glaçant sur une des faces cachées de la lutte contre le terrorisme.
On terminera avec une note plus légère, le T15 de « Donjon Monsters » (Delcourt), où Sfar, Trondheim et Juanungo s’en donnent une fois de plus à coeur joie avec cet esprit toujours déjanté. Une série devenue mythique !

Hervé Bourit

UNE FAMILLE ÉPATANTE

Deux parents heureux, oui… mais débordés ! Rajoutez trois enfants dans l’équation, ainsi qu’un gros matou débonnaire, et voilà « Une famille épatante », chronique familiale tendre et drôle (tome 1 aux éditions Soleil) que d’aucuns avaient déjà pu découvrir dans Femme Actuelle. Sophie Ruffieux, avec un trait réaliste et beaucoup de couleurs, croque tous les petits travers et les situations d’un couple et de leurs marmots, avec ce qu’il faut d’humour et de douceur.

Ça ne révolutionne en rien un thème déjà traité de nombreuses fois, mais c’est suffisamment divertissant pour passer un bon moment.

A.G.

Madeleine Assas, lauréate du Prix du roman tmv : « New York est une ville inspirante et aspirante »

Madeleine Assas a remporté l’édition 2021 du Prix du roman tmv ! On en a donc profité pour passer un petit coup de fil à l’autrice qui, en direct d’Arles, nous a parlé de son premier roman Le Doorman et de sa plongée dans New York. Le tout, avec le sens des jolies phrases.

Pour nos lectrices et lecteurs qui ne connaissent pas encore votre roman Le Doorman, comment le résumeriez-vous en quelques phrases ?

Question difficile ! (rires) C’est une tranche de vie sur une quarantaine d’années, du début des années 60 à 2003, c’est la vie d’une ville, la vie d’un immigré algérien d’origine juive qui part sans attache à New York. Il exerce le métier de « doorman », portier d’immeuble, ce qui est typique dans cette ville. Il est présent et, en même temps, invisible par sa discrétion. Il y a la verticalité de l’immeuble où il travaille et l’horizontalité des promenades et de ses pérégrinations. On le suit arpenter cette ville en perpétuelle mutation. C’est un voyage, une ville et une vie.

Le Doorman, c’est une belle plongée dans un New York hétéroclite. Pourquoi avoir choisi cette ville comme terrain de jeu pour votre roman ?

Au départ, je voulais écrire sur une ville qui me fascine, que j’adore et qui me révulse. J’ai donc choisi New York. La première fois qu’on va là-bas, on croit la connaître, en raison de notre culture littéraire, cinématographique… J’en avais déjà une image ; j’ai été touchée par ce qui fait de cette ville une vieille ville, les fantômes d’une vieille Europe. Ce n’est pas une ville historique, mais il y a des millions d’histoires. C’est la ville des exilés par excellence. Un endroit de chaos mais, au milieu, on peut y faire sa vie.

Dans une présentation sur Youtube, vous parlez de « roman géographique ». Quelle a été votre approche ? Vous avez pris des notes durant vos voyages ?

Je n’ai pas fait un travail de journaliste ! (rires) Je n’ai pas pris de notes là-bas, car New York s’est incorporée en moi. J’y suis allée plusieurs fois et voulais écrire dessus. Adopter le regard d’un homme dans la géographie d’une ville qui change sans cesse. Je voulais évoquer certains lieux. Je n’ai pas fait de structure de départ, cela est venu par la suite. Petit à petit, j’ai fait évoluer Ray, le personnage, car les lieux suscitent chez chacun une cartographie intime. J’ai fini par faire un plan chronologique et géographique par la suite. Les lieux m’ont inspirée quand j’y étais. New York est inspirante et aspirante.

Ray est un portier européen, il marche, il vit dans la ville qui ne dort jamais. Mais finalement, n’est-ce pas avant tout un roman sur la solitude ?

Oui, bien sûr. C’est la solitude au milieu de la multitude. Car il y a une multitude de solitudes, à New York ! C’est une course à la vie là-bas. Ray est seul. Mais quand on est seul, on reçoit les choses plus intensément. Pourquoi un portier, justement, comme personnage principal ? Je voulais quelqu’un venant d’un milieu social modeste. Il fallait un observateur et quelque chose d’intemporel et de « désuet ». Cela permet une traversée dans le temps. Tous les gens qui exercent ce genre de métiers sont les petites fourmis qui font marcher la ville.

Vous êtes comédienne (télé, cinéma, courts-métrages…). Comment on en vient à l’écriture d’un roman ?

Je suis dans les textes et j’ai toujours aimé écrire. Je faisais des petites histoires qui restaient dans mes tiroirs. Mon passé dans le théâtre fait que j’aime raconter. Je n’ai pas l’impression d’un hiatus entre les deux activités. En étant comédien, on est toujours entourés… Dans l’écriture, on est dans la solitude réjouissante, la liberté. La phrase de Barthes me parle : « J’écris parce que j’ai lu. »

C’est votre premier roman. Quelles ont été les difficultés pour l’écriture ?

Le temps de maturation a été très long, j’ai eu les premières idées il y a 10-12 ans. J’imagine que chaque livre a sa propre fabrication et sa vie. Mais l’écriture s’est passée harmonieusement. J’étais confiante, car je voulais raconter cette histoire ! Même si le manuscrit était resté dans les tiroirs, tant pis, il fallait que j’écrive. Là, j’essaye de préparer mon second roman, ce n’est plus pareil.

Je trouve que c’est un roman d’atmosphère, contemplatif, plutôt qu’un roman d’intrigue. Comment abordez-vous vos descriptions très fouillées ?

C’est vrai, c’est de l’observation, de la sensation. J’ai fermé les yeux, j’avais comme une caméra en moi, je revoyais les images. C’était très visuel pour moi ; je voyais les choses que j’ai gardées visuellement. Je me prenais par la main et me laissais aller. La maturation a aidé cela. Visuellement, j’étais comme dans un état d’improvisation et me laissais guider. New York est une ville qui vous marque. À chaque fois. Elle est toujours en transformation.

Selon vous, à qui s’adresserait votre roman ?

C’est dur de répondre ! (rires) Écoutez, c’est sûr que si l’on aime New York, c’est un livre sympa à offrir ! (rires) Attention, ce n’est pas un guide de voyage, bien sûr ! Mais j’aimerais que les gens l’apprécient pour l’écriture. Je souhaite que le roman vous touche…

> Le Doorman, de Madeleine Assas. Paru aux éditions Actes Sud


Propos recueillis par Aurélien Germain
Photo ouverture : crédit Carole Parodi
Retrouvez les romans qui étaient en compétition en retrouvant notre article du 20 mai 2021 ICI