La folie greeters : voir sa ville autrement

Découvrir une ville gratuitement aux côtés d’un habitant bénévole séduit de plus en plus de touristes. À l’arrivée, ils repartent avec bons plans et bonnes adresses.

Jardin des Beaux-Arts, cathédrale, château, vieux-Tours… Tout y passe. (Photo tmv)

« Tourangeau de cœur depuis maintenant 20 ans, la ville m’a adopté et je souhaite vous la faire découvrir lors d’une balade tout en convivialité et simplicité. » C’est cette annonce de Patrick qui a séduit Toshio et Shoko, sur un site de rencontres bien particulier. Sur tours-greeters. fr, ces retraités japonais l’ont choisi pour une découverte gratuite de la ville. Le rendez-vous est pris, Patrick va les « greeter ». Ce concept de tourisme participatif venu tout droit des États-Unis est en vogue. À Tours, il a vu le jour en 2012, à l’initiative de l’office de tourisme. Patrick Chabault était alors l’un des premiers greeters. « J’ai découvert ce principe grâce à une annonce postée sur Facebook par l’office de tourisme, ça m’a tout de suite tenté ! » Aujourd’hui, il est l’un des 40 ambassadeurs tourangeaux.
Avec Toshio et Shoko, c’est la première fois que Patrick greete des étrangers. Point de départ : l’office de tourisme. Sac sur le dos, lunettes de soleil sur le nez, le quadragénaire arbore fièrement son badge de greeter. « Alors, que vous voulez-vous voir de la ville ? » questionne-t-il, avec un sourire aux lèvres qui ne le quittera pas de la matinée. « On s’adapte aux demandes des personnes et les circuits varient aussi selon les centres d’intérêts et les connaissances des greeters. Aucune balade n’est identique », nous explique le guide amateur, à qui le couple a donné carte blanche. Au programme, ce sera donc un circuit vers les lieux emblématiques de la ville.

Premier virage au jardin des beaux arts, où les attend le célèbre Fritz. Un éléphant empaillé devenu mascotte tourangelle : « Le cirque Bailey en a fait don à la ville de Tours. La bête de 7 tonnes a été tuée car l’éléphant devenait fou et avait déjà causé la mort d’une personne », narre Patrick, sous le regard un brin inquiet de Shoko. Une pause photo s’impose. Puis, le greeter et ses deux compagnons de route prennent le chemin de la cathédrale Saint-Gatien. Outre les quelques explications historiques de Patrick, le lieu offre surtout la possibilité d’échanger avec le couple. Sur les croyances, la religion. « Être greeter permet de partager. Les balades sont avant tout des rencontres », explique Patrick, qui n’est pas prêt d’oublier celle avec Toshio.
Tour à tour, ces deux-là se livrent leur passé. L’un travaillait dans une usine d’ustensiles de cuisine à Tokyo avant de prendre sa retraite, il y a sept ans. L’autre était téléconseiller à Tours avant de perdre son emploi, il y a trois ans. Au chômage, Patrick trouve alors dans son activité de greeter un bon moyen de passer le temps et de faire découvrir « son petit Paris », pour lequel il est passionné. « C’est une ville géniale ! », ne cesse-t-il de répéter pendant les deux heures de balade avec Toshio et Shoko.

« Être greeter permet de partager. Les balades sont avant tout des rencontres. »

(Photo tmv)

En vacances en France pour deux semaines, le couple découvre le concept des greeters en même temps qu’il découvre la ville, son église Saint-Julien et son château. Patrick leur fait voir les coins de Tours qu’il affectionne. Il les balade ainsi des bords de Loire à la rue Colbert. Toujours soucieux du bien-être des touristes. « Ça vous plaît ? Madame, on ne marche pas trop vite ? » En guise de réponse, Shoko fait non de la tête, sourit et rattrape les deux hommes déjà emmanchés sous le passage du Coeur Navré. « C’était le passage emprunté par les condamnés à mort, au Moyen Âge, pour se rendre place du Foire le Roi où avaient lieu les exécutions. » Madame n’a pas compris, Toshio se charge alors de traduire l’explication de Patrick en japonais. Si elle effraie un peu la Japonaise, cette dernière retrouve de la sérénité à la Fontaine des Amoureux. Là encore, Patrick n’est pas là pour en conter l’histoire, qu’il ne connaît pas spécifiquement. « C’est ce qui différencie les greeters des guides-conférenciers professionnels, le greeter adopte plutôt une posture d’ami qui partage ses bons plans, ses bonnes adresses, explique Frédérique Noël, responsable des greeters à l’office de tourisme. Par respect pour la profession, nous parlons d’ailleurs de balades ou découvertes plutôt que de visites. »
Pourtant, le circuit emprunté par Patrick a – a priori – tout l’air d’une visite traditionnelle. Preuve en est, la prochaine halte se fait devant la basilique Saint-Martin. Où Patrick se livre à un petit commentaire : « Mon frère habitait l’appartement juste en face, il avait une vue imprenable sur cette basilique depuis sa baignoire ! » Finalement, cette balade se déroule vraiment hors des sentiers battus. Les anecdotes se multiplient, faisant sourire Toshio et Shoko. Devant The Shamrock notamment, « le bar où j’ai bu ma première bière lorsque je suis arrivé à Tours ! » À l’époque, Patrick était étudiant en licence d’administration économique et sociale (AES). Aujourd’hui, à 41 ans, il aimerait reprendre le chemin de l’école, pour passer une formation en tourisme : « Une vocation est née. »

Pour devenir greeter, aucun diplôme n’est exigé. Il suffit d’être passionné par sa ville. C’est ainsi que Margot, 22 ans, a intégré la course en septembre dernier. Étudiante en histoire de l’art, elle propose des circuits axés sur l’analyse de l’architecture urbaine et les activités culturelles. « Je greete une fois par mois environ, c’est une réelle pause dans mes études. Je fais des rencontres exceptionnelles que je n’aurais pas pu faire autrement. Je me souviens notamment d’un greet, avec une femme handicapée moteur. Il fallait penser le circuit pour qu’elle puisse se déplacer sans problème avec son fauteuil roulant. » Une autre fois, sa balade s’est prolongée autour d’un café et a duré quatre heures, le double de ce qui était initialement prévu.
Toshio et Shoko, eux, avant de repartir s’installent avec leur greeter sur une terrasse de l’emblématique place Plum’. Histoire de poursuivre leur échange autour d’un mets français. L’occasion pour Patrick, de leur raconter une dernière anecdote : « Il y a quelques mois, j’ai greeté un couple et ils ont tellement apprécié Tours que peu de temps après, ils s’y sont installés ! » Toshio regarde Shoko d’un oeil amusé. Pas sûr que ces deux là soient prêts à quitter Tokyo…

GREETER ?
Ce terme vient du verbe anglais « to greet » qui signifie accueillir. Les greeters sont des passionnés de leur ville qui la font découvrir bénévolement aux touristes. Les balades constituent avant tout un moment d’échanges entre le greeter et un groupe de six personnes maximum.

ORIGINE
En 1992, Lynn Brooks, une New-Yorkaise, lance ce concept de tourisme participatif avec Big Apple Greeters. Son objectif ? Casser l’image négative de sa ville, jugée trop grande et dangereuse, en partageant bénévolement avec les touristes ses bonnes adresses et bons plans.

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C’est le nombre de destinations dans le monde où les greeters proposent leurs services. Présentes dans les cinq continents, les organisations de greeters sont fédérées dans un réseau international GGN. La France est le pays qui a le plus adopté ce concept avec 43 villes d’accueil.

>>>ALLER PLUS LOIN
Être greeté Vous souhaitez tenter l’expérience ? Vous trouvez les informations et les contacts nécessaires sur le site tours-greeters.fr ou auprès de l’office de tourisme. Pour un greet hors de Tours, toutes les organisations sont recensées sur globalgreeternetwork.info.

Être greeter L’office de tourisme de Tours Val de Loire recherche des habitants bénévoles de tous âges pour devenir greeter. Si vous souhaitez partager et faire découvrir votre ville, vous pouvez remplir le formulaire sur tours-greeters.fr

Retrouvez l’interview d’une guide-conférencière de Tours qui réagit sur le statut des greeters.

« Les greeters ne m’inquiètent pas »

Émeline Gibeaux, guide-conférencière professionnelle, nous livre son point de vue sur les greeters.

Émeline Gibeaux, guide-conférencière professionnelle à Tours.

Que pensez-vous du concept des greeters ?
En soi, le concept ne me dérange pas. Au contraire, c’est une avancée pour le tourisme participatif. Dans la lignée de ce qui existe déjà depuis longtemps comme le couchsurfing. En revanche il ne faut pas faire d’amalgame, un greeter n’est absolument pas un guide-conférencier. Ce sont deux conceptions totalement différentes de la visite. Le bénévole montre la ville telle qu’il la connaît, l’apprécie. Le professionnel partage ses connaissances, historiques notamment. Mais il gère aussi toute la logistique par exemple. Aussi, un guide est apte à faire la visite à de gros groupes tandis qu’un greeter propose des balades plus personnalisées, pour un groupe de six personnes au maximum. Nous proposons aussi des visites en petits groupes, bien sûr, mais nous ne sommes pas sur le même créneau.

Quels sont les risques d’une confusion entre greeter et guide-conférencier ?
Ce n’est pas la même chose, il faut que ce soit très clair aussi bien dans la tête du greeter, du guide que dans celle du visiteur. De plus en plus, c’est vrai que le débat se pose : les gens peuvent parfois se demander s’il s’agit d’un guide-conférencier professionnel ou d’un greeter. Les confusions pourraient entraîner la concurrence déloyale. Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Les greeters ne sont pas ce qui m’inquiète le plus pour notre profession.

Il y a eu de nombreuses manifestations de guides-conférenciers, en décembre dernier notamment, et votre slogan était : « guide-conférencier, c’est un métier ».
Oui c’était notre slogan mais il ne faisait pas directement référence aux greeters. C’était surtout une allusion au manque de visibilité dans notre profession. Beaucoup pensent qu’elle est reservée aux jobs d’été pour les étudiants ! Alors que nous avons des qualifications et des formations complexes.

Quelles sont ces formations ?
Depuis 2012, la préfecture dél ivre une carte professionnelle attestant que le guide-conférencier est titulaire d’une licence professionnelle. (Tandis que pour être greeter, aucun diplôme n’est exigé, NDLR) Ce statut avait d’ailleurs été remis en cause par une discussion autour de la loi Macron. Telle que la réforme était prévue il y a quelques mois, elle prévoyait de supprimer la carte professionnelle. Ce qui est un danger pour notre statut. Au contraire, les gros tour-opérateurs auraient été gagnants car la réforme leur aurait permis de se contenter d’accompagnateurs de voyages qui n’ont pas nos qualifications. Heureusement, nous avons été entendus après nos manifestations. Le dossier est maintenant dans les mains du ministère de la Culture, et non plus de l’Économie.

Comment va évoluer le statut ?
Les réunions entre nos syndicats et les autorités nous le diront ! Mais je crois que c’est sur la bonne voie. Nos conditions d’exercice ne sont pas faciles. Nous sommes souvent vacataires. Et au niveau administratif, c’est parfois très complexe. Donc, je ne suis pas contre une réforme, mais il ne faut pas qu’elle nuise à notre profession.

Propos recueillis par Solène Permanne.