Quatre romans à glisser dans sa valise pour les vacances

Avec les vacances d’été, c’est le moment de prendre un peu de temps pour lire au calme. On vous propose quatre livres sympathiques à emmener avec soi…

LE RIRE DES AUTRES

Imaginez si, un beau jour, votre conjoint(e) se mettait subitement à… vomir des billets de banque à cadence soutenue ! C’est le postulat de départ un peu (beaucoup) farfelu de l’excellent roman d’Emma Tholozan, « Le rire des autres » (éditions Denoël). Rien à jeter dans ce premier coup d’essai, où l’autrice de 27 ans croque à merveille son personnage d’Anna, cynique désabusée contrainte de faire un job alimentaire éreintant, elle qui rêvait de devenir quelqu’un avec son master de philo sous le bras.

Ici, le ton est léger, drôle, boosté par de truculentes punchlines. Mais derrière ce côté décalé se dessine, finalement, un conte moderne, une sorte de fable sur la notion du paraître. Touchante au départ, Anna devient peu à peu imbuvable, exploitant à tout va le corps de son copain cracheur d’oseille. L’argent passe finalement au second plan : l’important pour elle ? C’est ce qu’il procure, surtout l’apparence !

Avec son récit invraisemblable qui fait réfléchir et offre un sous-texte intelligent et pertinent, « Le rire des autres » est un roman fantastique, dans tous les sens du terme.

> Emma Tholozan est lauréate du Prix du roman tmv 2024 avec « Le rire des autres ». Retrouvez son interview en un clic ICI ! 

LA FIN DU SOMMEIL

« Être parent, c’est d’accepter d’être une algue desséchée sur le rivage brûlant de la modernité. » Cette phrase est dite au début de « La fin du sommeil » (éditions de l’Olivier) par Pierre-Antoine, personnage principal et anti-héros face à ses enfants indifférents. Sa femme ? Elle l’est tout autant. Son travail ? Bof. Sa vie ? Idem.

Face à cette morne existence, et alors qu’une simple allergie lui a été diagnostiquée, Pierre-Antoine va alors annoncer qu’il souffre d’un cancer. Une ruse qui lui permettra d’écrire un roman et retrouver la considération de ses proches. Au fil de la lecture, « La fin du sommeil » fait rire, sourire, puis parfois moins : sous ce récit mordant se cache finalement une farce cruelle tragi-comique pas si drôle.

Emmené par une écriture enlevée et incisive, le récit de Paloma de Boismorel se permet aussi de dézinguer les hypocrisies de notre société (la description du monde de l’art contemporain est un régal) et d’offrir une satire contemporaine. Dommage toutefois que la dynamique s’essouffle en seconde moitié – le roman étant un poil trop long pour la matière de base – avec qui plus est une fin abrupte qui ne manquera pas de diviser lectrices et lecteurs.

J’AVAIS OUBLIÉ LA LÉGÈRETÉ

Une mère désemparée face à la fugue de sa fille, puis ses errances et sa détresse lors de son retour et cette tentative de se réapprivoiser l’une et l’autre… Il y a tout ça dans « J’avais oublié la légèreté » (éditions Du Rocher), roman en trois actes signé Edwige Coupez.

Si l’on pouvait craindre à première vue un récit dégoulinant de pathos, il n’en est finalement rien : la fragilité de l’adolescence post-confinement et Covid s’expose avec beaucoup de justesse et de réalisme. Au point, pourrait-on dire, de s’extraire du cadre strict du roman pour flirter avec les frontières du témoignage. L’autrice casse l’image stéréotypée des jeunes constamment sur leurs écrans et la jeune Gabrielle, éprise de liberté, est très bien écrite. C’est aussi, à travers cette histoire touchante, un très beau roman sur ce que c’est d’être mère.

D’aucuns seront déstabilisés par l’écriture vive, rythmée, télégraphique (trop ?), les autres aimeront cette vitesse qui fait qu’on lit « J’avais oublié la légèreté » d’une traite. Dans tous les cas, impossible de nier sa force émotionnelle et son authenticité.

NOS ÂMES SOMBRES

Ambitieux, « Nos âmes sombres » (les éditions du Gros Caillou) l’est certainement. Dense, il l’est assurément. Ce premier roman de Sarah Bordy, avocate de profession, est un polar sombre, mêlant enquête policière, maltraitance, jeux de pouvoir et jalousie sur fond de violence. Les drames se jouent au fil des pages, la tension monte en même temps que les non-dits ressurgissent et que les fantômes du passé reviennent hanter les pages et les protagonistes.

Sarah Bordy parvient à multiplier les rebondissements (et qui marchent !) et dépeindre un climat de suspicion dans une petite ville de Franche-Comté qui vire à l’ambiance malsaine. C’est simple, tout au long de ces 418 pages, tout le monde a quelque chose à cacher.

La construction narrative, elle, mérite une attention de tous les instants. Car ici, le grand nombre de personnages risque d’en laisse quelques uns sur le carreau, tout comme la multitude d’intrigues qui se mêlent rendant le tout assez touffu et complexe. Mais quiconque arrivera démêler cette pelote de laine y trouvera pour finalité un polar efficace et prenant.

Chroniques : Aurélien Germain


> Ces quatre ouvrages étaient présents dans notre sélection du Prix du roman tmv 2024.

 

Emma Tholozan, lauréate des 10 ans du Prix du roman tmv avec « Le Rire des autres »

Un premier roman décalé, porté par une belle plume et un sous-texte pertinent : « Le rire des autres » d’Emma Tholozan a remporté le Prix du roman tmv 2024. Rencontre avec l’autrice de 27 ans qui raconte son ouvrage drôle et original.

Que feriez-vous si un beau jour, votre conjoint(e) se mettait à vomir… des billets de banque ? Oui, on ne va pas se mentir, la question est plutôt incongrue. Certes, cette situation ubuesque n’est pas prête d’arriver dans la vraie vie (enfin… normalement !), mais elle est centrale dans le livre d’Emma Tholozan, « Le rire des autres », qui vient tout juste de remporter le Prix du roman tmv.

Dans son premier roman paru aux éditions Denoël, l’autrice de 27 ans originaire de Toulon raconte l’histoire d’Anna, jeune femme pleine d’espoir, master de philo sous le coude, qui voit ses rêves dézingués par Pôle emploi : ses études ? Bof, elles ne valent finalement rien. Exit la vie fantasmée, bienvenue le boulot alimentaire comme chauffeuse de salle sur un plateau télé.

Cynique, un poil désabusée, Anna rencontre alors Lulu, smicard également, et tombe sous le charme. Mais son nouveau compagnon se met subitement à vomir des billets à cadence soutenue. De quoi transformer leur situation précaire et leur vie ? « En fait, j’avais envie de parler d’argent, mais de manière rigolote !, résume Emma Tholozan. Autour de moi, tout le monde cherchait du travail. On gagne tous de l’argent grâce à, d’une certaine manière, notre corps qui va au travail. Je me suis demandé : et si on en produisait spontanément ? »

Un conte d’un nouveau genre

Voilà donc sur la table ce premier roman, sorte de conte moral moderne, tirant sur la fable. « Au départ, ce n’était pas pensé comme ça. Mais c’est vrai que j’ai en fait utilisé les mêmes mécanismes. C’est une écriture métaphorique », dit-elle. Un récit qui montre finalement bien la société actuelle et aborde différentes thématiques : « Le couple, l’amour – ou du moins la relation – mais aussi l’amitié, l’ambition… J’explore aussi le thème de l’exploitation : le compagnon d’Anna régurgite des billets, mais pas elle. Elle, c’est son corps qui est exploité au travail, dans un job alimentaire qui la fatigue. Et en retour, elle exploite le corps de son copain. »

De manière sous-jacente se dessine aussi la notion du paraître, avec une Anna devenue aussi superficielle qu’imbuvable, profitant allègrement de son cher Lulu pour s’acheter une tripotée d’objets de luxe. « Finalement dans le texte, l’argent est secondaire, analyse la romancière. Pour Anna, c’est surtout ce qu’il procure : notamment l’apparence. Elle le voit quand, lorsqu’elle a un nouveau sac, on commence enfin à retenir son prénom. »

Un sous-texte qui, en filigrane, emmène aussi le lecteur/lectrice dans une réflexion intéressante, dépassant le registre comique du livre et allant plus loin que l’aspect invraisemblable, farfelu et fantastique du récit.

Aujourd’hui, Emma Tholozan travaille à Paris, en tant qu’assistante éditoriale « dans une petite maison qui s’appelle Éditions des femmes – Antoinette Fouque ». À peine « Le rire des autres » publié (et digéré !), elle a déjà un œil sur le futur et sur les prochaines pages à écrire. Elle pense à un second roman. Dit qu’elle a « déjà des idées » et qu’il sera différent du premier.

En attendant, à tmv, on n’oublie pas le personnage d’Anna et ses punchlines (« j’étais tellement fatiguée que même mes cernes avaient eux-mêmes des cernes »). Ni celui de Lulu, le cracheur d’oseille touchant et si terre-à-terre. Ni cette interrogation, qu’aurait-on fait, nous, face à pareille situation ? Mais tiens, d’ailleurs… Et Emma Tholozan, comment réagirait-elle si son conjoint se mettait lui aussi à vomir des billets ? « On me pose souvent la question… » Elle rit. « Eh bien… Je ferais comme Anna ! »

Aurélien Germain / Photo : Eric Garault


> Le rire des autres, d’Emma Tholozan (éditions Denoël).

> En dédicace le 8 juin à Cultura (Chambray-lès-Tours), de 10 h 30 à 12 h. [et en dédicace inédite dans le train Paris>Tours du 7 juin, départ 12 h 24]

 

Prix du roman tmv 2024 : les quatre ouvrages en compétition

Sélection diversifiée pour le cru 2024 de notre Prix du roman tmv qui fête ses 10 ans. Voici la liste des quatre ouvrages en lice, uniquement des premiers romans, avant notre délibération à la fin mai.

LE RIRE DES AUTRES
EMMA THOLOZAN (Éditions Denoël)

On ne pourra pas dire que la couverture de ce roman n’est pas intrigante ! Ce drôle de livre suit Anna, fière de son parcours et master de philo en poche, qui tombe vite de haut lorsque sa conseillère Pôle emploi lui annonce que ce diplôme ne vaut rien et qu’elle doit trouver un travail alimentaire. Avec son copain smicard Lulu, elle va défier fièrement la société de consommation. Jusqu’à ce que ce cher Lulu se mette… à vomir des billets de banque à tout va !
Un conte philosophique déjanté qui fait aussi l’état des lieux de la jeunesse d’aujourd’hui, privée d’idéal et pétrie de contradictions.

J’AVAIS OUBLIÉ LA LÉGÈRETÉ
EDWIGE COUPEZ (Éditions du Rocher)

Une maman. Un policier. Un commissariat. « Vous avez une photo d’elle ? » Les doigts de la mère tapotent sur le téléphone, elle fait défiler les derniers clichés. En vain. « Je ne trouve pas de photo de Gabrielle. Je prends conscience de la distance qui s’est installée entre nous. Les heures passées seule dans sa chambre. Les sorties qu’elle déclinait. J’ai honte soudain. Quelle mère n’a pas de photo de sa fille ? »
Edwige Coupez a été journaliste et chroniqueuse à France Info pendant une quinzaine d’années. Elle publie aujourd’hui son premier roman, dans lequel elle raconte l’errance d’une mère après la fugue de sa fille.

LA FIN DU SOMMEIL
PALOMA DE BOISMOREL (Éditions de L’Olivier)

Dans son premier roman, Paloma de Boismorel raconte la grosse crise existentielle de Pierre-Antoine Deltière, un architecte de renom, très en vue, qui a toujours rêvé d’écrire un roman. Une nuit, en pleine insomnie, c’est la révélation : il va annoncer à son entourage qu’il souffre d’un cancer de la gorge (alors qu’on ne lui a diagnostiqué qu’une… allergie !). De quoi pouvoir, enfin, s’isoler et rédiger son œuvre, et également retrouver l’amour et la tendresse de sa femme et de ses enfants.
« La Fin du sommeil », une comédie absurde et burlesque qui dézingue en même temps l’hypocrisie de notre société moderne.

NOS ÂMES SOMBRES
SARAH BORDY (Les éditions du Gros Caillou)

De mémoire de la rédac’ de tmv, c’est bien la première fois qu’un polar atterrit dans notre sélection ! Pour inaugurer tout ça, place à Sarah Bordy qui, avec son expérience d’avocate, a choisi d’écrire sur son personnage de Julien Georget, lieutenant de gendarmerie dévoré par l’ambition, qui se retrouve à enquêter sur l’histoire de Kévin. Ce brillant lycéen, dont le père est une figure politique locale, découvre un jour sa mère inanimée après une tentative de suicide. Au menu de « Nos Âmes sombres » ?
Des jeux de pouvoir, de la jalousie, une enquête complexe et multiforme, sur fond de violence et de maltraitance.

Aurélien Germain


Bienvenue également à nos trois lectrices qui feront partie du jury : Bérengère Bru, Karen Passemard et Juliette Adam !

Et un immense merci à nos partenaires : Océania L’Univers, Galeries Duthoo, Cultura, Fil Bleu et SNCF.