Sociologie de la musique metal pour les nuls

Le 12 décembre, c’est la Sainte Jeanne-Françoise de Chantal, mais c’est aussi et surtout la Journée internationale de la musique metal (si, si, ça existe !). L’occasion de vous décrypter un style musical souvent stigmatisé mais pourtant complexe et intéressant, idolâtré par un public multigénérationnel et fidèle.

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Les origines (pour briller en société)

Si le terme « heavy metal » a été utilisé pour la première fois par un journaliste pour décrire la musique de Jimi Hendrix, le metal tel qu’on le connaît aujourd’hui est né d’une façon qu’on pourrait simplement et naïvement résumer ainsi : le blues a engendré le rock, le rock a engendré le hard rock et le hard rock a engendré le heavy metal. Un souci de jouer toujours plus dur, plus lourd et plus méchant.
Ce style apparaît surtout en Grande-Bretagne, à la fin des années 60. Fondé il y a près de 50 ans (!), Black Sabbath est souvent considéré comme le pionnier du genre. À cette époque, personne n’a encore entendu pareils riffs et pareille musique… si maléfique. Dans ses notes, Black Sab’ va d’ailleurs jusqu’à utiliser le triton, un intervalle dissonant qu’on surnommait « Diabolus in Musica » au Moyen- Âge, celui-ci ayant été interdit car jugé dangereux et assimilé à quelque chose de diabolique. 1970, le premier album de Black Sabbath sort et dévaste le monde. Un nouveau son est né.

Le groupe Black Sabbath à ses débuts
Le groupe Black Sabbath à ses débuts

Il fait quoi dans la vie, le métalleux ? (à part vivre pour la bière et les watts)

Évacuons les clichés d’emblée : non, le métalleux n’est pas une brute écervelée. En France, les amateurs de metal sont sociologiquement très divers. Dans son ouvrage Hard rock, heavy metal, metal, histoire, cultures et pratiquants, Fabien Hein, maître de conférences en sociologie à l’Université de Metz, indique : « On trouve dans les publics du metal des ouvriers, des cadres supérieurs, des instituteurs, des médecins, des infirmières et même des professeurs d’université ! Les études montrent même plutôt un profil de type bac+2 ou 3, inséré socialement, en emploi, donc disposant d’un capital économique. »

En 2015, le site Hitek.fr avait eu la bonne idée de faire poser une multitude de festivaliers du Hellfest devant l’appareil photo avec, inscrit sur une ardoise, leur profession. On retrouvait ainsi un ingénieur en aérospatial, un chimiste, une étudiante en cinéma, un éduc’ spé’, une auxiliaire de vie, une serveuse, une manager d’une grande chaîne de restaurant, ou encore un développeur web, une ingénieure dans le nucléaire et un animateur prévention délinquance jeunesse.

Le signe des cornes, ça vient d’où ?

Le « horns up », c’est le signe de ralliement des métalleux. Poing fermé, index et auriculaire levés. Mais cela existait déjà dès l’Antiquité, le geste étant associé à l’idée d’infidélité. Alors non, ça ne signifie pas que toute la communauté metal est cocue. Mais un beau jour de 1980, Ronnie James Dio – ex-chanteur de Black Sabbath – effectue ce signe qui va se populariser… mais qui vient au départ de la grandmère du musicien ! Italienne et très croyante, elle faisait souvent cela pour conjurer le mauvais sort. Une vieille tradition italienne qui va se retrouver dans tous les concerts et que certains associent aux cornes du Diable.

Le signe des cornes, le ralliement des métalleux
Le signe des cornes, le ralliement des métalleux

Public fidèle… et consommateur

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Le label Nuclear Blast propose régulièrement de jolis objets pour les collectionneurs de vinyles.

Qui dit fan de metal, dit fan qui achète. Le métalleux est un gros consommateur (à titre d’exemple, un festivalier dépense en moyenne 387,60 € durant le Hellfest) et friand de produits dérivés. En tête, les habits. Oui, le métalleux est coquet et une garde-robe sans tee-shirt (noir) de ses groupes préférés, c’est comme une pizza à l’ananas : c’est dommage.
Fabien Hein a analysé qu’aux stands de merchandising, les paniers moyens sont plus élevés dans le metal qu’au sein d’autres familles musicales. Les groupes vendent plus de tee-shirts que de CD. Si comme partout, la vente de CD est en chute libre, celle des vinyles est en pleine expansion. D’après Amazon, le rock occupe la moitié des ventes et le metal se taille une grosse part. Certains l’ont bien compris comme le label allemand Nuclear Blast qui enquille les (ré)éditions avec multitude de pressages (vinyles colorés, gatefold, picture disc…) pour satisfaire la soif de collection des fans.

Le festivalier du Hellfest dépense beaucoup dans la partie commerces
Le festivalier du Hellfest dépense beaucoup dans la partie commerces

[NB : on conseillera également la lecture de la thèse signée Corentin Charbonnier et abordant le thème du Hellfest comme lieu de pèlerinage. Relisez notre interview à ce propos juste ici !]

Dur, dur d’en vivre

Oublions les AC DC, Metallica et autres mastodontes qui vivent de leur musique. « C’était l’bon vieux temps », comme dirait Papy Roro. Désormais, rares sont les groupes et musiciens de metal qui n’ont pas un métier à côté. Surtout en France.
En cause, de multiples critères : baisse des ventes de CD, manque à gagner via le streaming (en 2015, un ayant-droit touchait en moyenne entre 0,003 € en flux payant), perception du metal dans l’Hexagone (coucou les reportages stéréotypés), pas de passage radio (à de rares exceptions près), coût d’un enregistrement ou d’une tournée (les cachets ne sont pas forcément bien élevés non plus), ou encore faiblesse de la promotion (si ce n’est quelques magazines spécialisés et webzines), ou timidité des collectivités, etc. Bref, jouer dans un groupe de metal, c’est un métier de passion. Disons ça ainsi.

Les genres…

Le metal est le style musical qui compte le plus de genres et de sous-genres (et de sous-sous-genres, mais épargnons les cerveaux les plus délicats). Pour faire relativement simple, le metal se structure en plusieurs courants. Parmi les plus représentatifs : le heavy metal (les origines avec les Iron Maiden, Judas Priest et consorts), le thrash metal (beaucoup plus rapide, méchant, ça tape sévère avec Slayer, Megadeth ou les premiers Metallica), le death metal (là, c’est un pied dans les entrailles, un pied dans la tombe, voix gutturale et gros riffs qui saignent, avec Obituary, Morbid Angel et plein de groupes au nom poétique), le black metal (chant aigu et criard, tempo souvent rapide, notes dissonantes, le tout marqué par une imagerie ouvertement satanique. Exemple ? Marduk, Mayhem ou encore Hellhammer) ou encore le hardcore (un dérivé violent du punk, se différenciant par ses valeurs et parfois son engagement politique).

Mais on pourrait également citer le metal progressif (chansons longues, structures à tiroir), l’indus (plus martial et industriel – comme son nom l’indique – avec Rammstein et Oomph! en tête), le doom (tempo supra lourd inspiré de Black Sabbath) et le stoner (metal enfumé avec des cigarettes qui font rire).

… et sous-genres

Sauf que le metal, c’est comme les maths. Ça devient vite compliqué. Ainsi, de tous ces styles précédemment cités, il en existe des dérivés. Cela peut aller du simple (le folk metal pour danser, le viking metal qui porte bien son nom, le nu metal et rap metal qui mélangent structures hip hop et metal des années 90) au très compliqué : le crossover, c’est un mélange de thrash metal avec du punk. Le death doom, pour votre soirée dépression, c’est le mariage de la lourdeur du death et de la tristesse du doom. Le grindcore, c’est la violence pure pour vos petites oreilles avec un mix entre le death, le punk hardcore et autres joyeusetés. Vous suivez ? Et là, on ne vient même pas de vous citer la moitié des sous-genres.

On vous épargnera donc la leçon sur le brutal-death-thrashcore-progressif-à-la-fraise.

Corentin Charbonnier : « Le metal est une valeur refuge »

Vous connaissez Corentin Charbonnier ? Ce Tourangeau chevelu est anthropologue doctorant, auteur d’une thèse sur… le festival de metal Hellfest comme lieu de pèlerinage ! A l’occasion de la semaine liée à la culture metal à Tours, on a parlé socio avec lui et dézingué les préjugés.

Corentin Charbonnier, docteur socio, mister Hellfest.
Corentin Charbonnier, docteur socio, mister Hellfest. [Photo tmv]

On vous surnomme l’anthropologue du metal. Une petite présentation ?
Je suis docteur en anthropologie et j’ai rédigé une thèse sur le Festival Hellfest, comme lieu de pèlerinage. Je suis aussi prof et chargé de cours dans diverses institutions. Il y a mon association Throne of Thanatos et avec ça, des conférences, expos-photo et l’organisation de concerts. Mon travail sur Radio Béton m’a aussi pas mal aidé pour préparer ma thèse et ses 375 interviews. Sinon, je suis Tourangeau et j’ai 33 ans. L’âge du Christ ! (rires)

Concernant votre thèse sur le Hellfest, c’est Isabelle Blanquis, de l’université de Tours, qui a accepté d’être directrice de recherche. C’était compliqué à trouver ?
Elle m’a tout de suite dit : « Je n’y connais rien. » Et moi, je m’y connaissais trop ! J’avais besoin de quelqu’un pour objectiver mon propos. Grâce à elle, j’ai pu simplifier des termes comme le mosh-pit  (un dérivé du pogo dans le public, NDLR) ou la symbolique d’un veste à patchs (une caractéristique vestimentaire du métalleux, NDLR). J’avais tout à réexpliquer, car de l’extérieur, le Hellfest est perçu comme un ramassis de gens en noir, psychopathes dans une messe satanique qui mangent des poules. Bref, la vision M6+TF1.

On trouve quoi dans votre thèse ?
Il y a une partie sur le terrain, une sur le pèlerinage du point de vue religieux et sur l’économie. Car le Hellfest, c’est tout de même 16 millions d’euros de budget alors qu’ils sont partis de rien. C’est un festival auto-subventionné vivant grâce au festivalier qui est en fait un « consommateur-actionnaire » ! Il faut aussi rappeler que le festival a réussi à se lier au local. C’est 70 000 litres de Muscadet pendant trois jours au Hellfest… et grâce à des viticulteurs du coin.

Hellfest 2015 (photo tmv)
Hellfest 2015 : on the road to Hell (photo tmv)
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Cliquez sur la photo pour l’agrandir et avoir accès au programme de la semaine metal à Tours.

Votre travail doit d’ailleurs être publié…
Oui, normalement, vers octobre-novembre 2016. J’ai réduit à 200 pages et ce sera sûrement en auto-édition, pour moins de 20 € avec, peut-être, une traduction future en anglais. Bref, du « do it yourself » de A à Z.

Cent quarante personnes à la soutenance de votre thèse. Le jury a dit ne jamais avoir vu ça…
Oui, d’habitude, une thèse, c’est 30 personnes dont la famille et les potes. Là, l’amphi était blindé. Dans la foulée, la vidéo de la présentation a comptabilisé 94 000 vues sur Internet.

C’est osé d’utiliser un terme religieux – pèlerinage – pour une thèse sur le Hellfest (1). Vous avez hésité ?
Oui… J’étais passionné par ce remplacement de la religion par d’autres facteurs, comme le metal. On sait pourquoi on vient au Hellfest et pourquoi on va s’entendre entre festivaliers. Donc oui, c’est comme un pèlerinage, où l’on oublie ses différences pendant trois jours, en étant hors du temps. Il faut savoir aussi qu’un tas de festivaliers débarquent chaque année dans la petite église de Clisson. Et il n’y a jamais eu de souci.

Alors pourquoi toujours autant d’a priori en France ? Pourquoi, en Norvège par exemple, il y a des groupes de metal qui gagnent l’équivalent de nos Victoires de la musique. Idem en Allemagne, où ce genre de musique est parfaitement intégré.
Ça choque encore. C’est un territoire judéo-chrétien, où la religion a encore un impact. On a du mal, quoiqu’on en dise, à intégrer tout le monde, alors que peu importent ses différences. Dans les autres pays, le hard-rock et le heavy metal sont apparus plus tôt. Dès les années 60, en Angleterre, ils ont eu Black Sabbath, Iron Maiden… En Allemagne, pareil avec Scorpions, ou encore les années 80, en Norvège, avec les débuts du black metal. En France, on aime tacler le truc visible et – sans vouloir taper sur les journalistes, hein – mais il y a un journalisme « gros medias » toujours soumis au diktat de l’audimat. Mais voilà, désormais, les gens commencent à voir que ce n’est pas si malsain.

Beaucoup voient le métalleux comme violent, bête et bourré de bière. Mais que fait-il dans la vie ?
Oui, bon, il boit, c’est sûr ! Le Hellfest, c’est tout de même 270 000 hectolitres de Kro ! Mais le métalleux sait gérer. Il y a plus de comas éthyliques dans les soirées étudiantes (rires). Dans le village de Clisson où se déroule le festival, les habitants sont contents. Ils disent que le festivalier est propre, poli et sympa ! Majoritairement, c’est quelqu’un d’intégré. Il y a très très peu de drogues… D’ailleurs, ce n’est pas spécifique aux métalleux. Ce sont aussi des gens qui aiment jouer avec la religion. Si le metal ne choque pas, il se fait bouffer par le système.

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Et concernant les catégories socioprofessionnelles ?
Il y a de tout. Des étudiants, beaucoup de travailleurs sociaux, des gens de la police, de l’armée, ou encore des cadres de banque et des professions libérales. Au Hellfest, tout le monde se fout de la classe sociale. À préciser aussi que le métalleux consomme sa musique : il paye pour ses concerts, ses tee-shirts, sa collection de CD et de vinyles.

Certains imaginent le public metal très masculin et machiste.
En fait, le Hellfest devient de plus en plus féminin. Ce n’est pas l’équilibre, certes, mais il y a 35 % de femmes. Ça évolue ! C’est intéressant de voir leur façon de se vêtir en festival : elles peuvent être habillées hyper court, personne ne vient les embêter. Il y a toujours un respect de la femme.

Hellfest 2014 (photo tmv)
Hellfest 2014 (photo tmv)

Les médias français ont mis 10 ans à se rendre compte que le Hellfest avait du succès. Pourquoi ?
Personne n’y croyait ! Alors que maintenant, certains crèvent de faim pour obtenir leur accréditation au festival ! Cela dit, dans les années 80, Philippe Manoeuvre (journaliste et critique musical) avait dit que les Ramones et AC/DC ne feraient pas carrière…

Le sociologue Gérôme Guibert a dit que le metal donnait à ses fans une forme d’énergie face à l’adversité. Vous êtes d’accord ?
Oui, le metal est un exutoire ! Peu importe les tracas de la vie, cette musique est une valeur refuge. Le metal, ça les tient en vie ! C’est un peu comme le milieu des motards : on se rassemble dans l’adversité.

En 1991, la sociologue Deena Weinstein disait que le metal permettait d’oublier la pression du quotidien à travers un imaginaire. Est-ce toujours vrai ?

Oh oui ! Je ne pense pas qu’il y ait un seul secteur musical qui ait autant d’imaginaire. Il suffit de voir les groupes de black metal, d’autres qui parlent d’heroic fantasy, Klone et son univers positif, Avatar et ses monstres ou encore Amon Amarth et ses vikings.

Alors au final, est-ce que le metal est une contre-culture ?
J’ai du mal avec ce terme. Je ne sais pas… Disons que pour moi, c’est une culture à part entière. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le Hellfest fonctionne si bien. Le metal possède ses rites, mais il ne rentre pas dans les moeurs et son acceptation est encore différente suivant les territoires. Le metal persiste et signe quand même : c’est la Bête qui refuse de mourir.

(1) En parlant pèlerinage, tmv fera le sien, car cette année encore, la rédac débarquera au Hellfest cet été pour vous ramener un paquet de souvenirs et un joli reportage. 

Propos recueillis par Aurélien Germain

LE PROGRAMME COMPLET DE LA SEMAINE METAL A TOURS, DÉBUT MAI :

>Tours metal week l’événement Facebook ou facebook.com/mfest.asso.5 et facebook.com/ThroneOfThanatos

Plus d’infos :

>Site officiel du Hellfest : ICI !
>Nos anciens articles sur le Hellfest : Par là !