Corentin Charbonnier : « Le metal est une valeur refuge »

Vous connaissez Corentin Charbonnier ? Ce Tourangeau chevelu est anthropologue doctorant, auteur d’une thèse sur… le festival de metal Hellfest comme lieu de pèlerinage ! A l’occasion de la semaine liée à la culture metal à Tours, on a parlé socio avec lui et dézingué les préjugés.

Corentin Charbonnier, docteur socio, mister Hellfest.
Corentin Charbonnier, docteur socio, mister Hellfest. [Photo tmv]

On vous surnomme l’anthropologue du metal. Une petite présentation ?
Je suis docteur en anthropologie et j’ai rédigé une thèse sur le Festival Hellfest, comme lieu de pèlerinage. Je suis aussi prof et chargé de cours dans diverses institutions. Il y a mon association Throne of Thanatos et avec ça, des conférences, expos-photo et l’organisation de concerts. Mon travail sur Radio Béton m’a aussi pas mal aidé pour préparer ma thèse et ses 375 interviews. Sinon, je suis Tourangeau et j’ai 33 ans. L’âge du Christ ! (rires)

Concernant votre thèse sur le Hellfest, c’est Isabelle Blanquis, de l’université de Tours, qui a accepté d’être directrice de recherche. C’était compliqué à trouver ?
Elle m’a tout de suite dit : « Je n’y connais rien. » Et moi, je m’y connaissais trop ! J’avais besoin de quelqu’un pour objectiver mon propos. Grâce à elle, j’ai pu simplifier des termes comme le mosh-pit  (un dérivé du pogo dans le public, NDLR) ou la symbolique d’un veste à patchs (une caractéristique vestimentaire du métalleux, NDLR). J’avais tout à réexpliquer, car de l’extérieur, le Hellfest est perçu comme un ramassis de gens en noir, psychopathes dans une messe satanique qui mangent des poules. Bref, la vision M6+TF1.

On trouve quoi dans votre thèse ?
Il y a une partie sur le terrain, une sur le pèlerinage du point de vue religieux et sur l’économie. Car le Hellfest, c’est tout de même 16 millions d’euros de budget alors qu’ils sont partis de rien. C’est un festival auto-subventionné vivant grâce au festivalier qui est en fait un « consommateur-actionnaire » ! Il faut aussi rappeler que le festival a réussi à se lier au local. C’est 70 000 litres de Muscadet pendant trois jours au Hellfest… et grâce à des viticulteurs du coin.

Hellfest 2015 (photo tmv)
Hellfest 2015 : on the road to Hell (photo tmv)
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Votre travail doit d’ailleurs être publié…
Oui, normalement, vers octobre-novembre 2016. J’ai réduit à 200 pages et ce sera sûrement en auto-édition, pour moins de 20 € avec, peut-être, une traduction future en anglais. Bref, du « do it yourself » de A à Z.

Cent quarante personnes à la soutenance de votre thèse. Le jury a dit ne jamais avoir vu ça…
Oui, d’habitude, une thèse, c’est 30 personnes dont la famille et les potes. Là, l’amphi était blindé. Dans la foulée, la vidéo de la présentation a comptabilisé 94 000 vues sur Internet.

C’est osé d’utiliser un terme religieux – pèlerinage – pour une thèse sur le Hellfest (1). Vous avez hésité ?
Oui… J’étais passionné par ce remplacement de la religion par d’autres facteurs, comme le metal. On sait pourquoi on vient au Hellfest et pourquoi on va s’entendre entre festivaliers. Donc oui, c’est comme un pèlerinage, où l’on oublie ses différences pendant trois jours, en étant hors du temps. Il faut savoir aussi qu’un tas de festivaliers débarquent chaque année dans la petite église de Clisson. Et il n’y a jamais eu de souci.

Alors pourquoi toujours autant d’a priori en France ? Pourquoi, en Norvège par exemple, il y a des groupes de metal qui gagnent l’équivalent de nos Victoires de la musique. Idem en Allemagne, où ce genre de musique est parfaitement intégré.
Ça choque encore. C’est un territoire judéo-chrétien, où la religion a encore un impact. On a du mal, quoiqu’on en dise, à intégrer tout le monde, alors que peu importent ses différences. Dans les autres pays, le hard-rock et le heavy metal sont apparus plus tôt. Dès les années 60, en Angleterre, ils ont eu Black Sabbath, Iron Maiden… En Allemagne, pareil avec Scorpions, ou encore les années 80, en Norvège, avec les débuts du black metal. En France, on aime tacler le truc visible et – sans vouloir taper sur les journalistes, hein – mais il y a un journalisme « gros medias » toujours soumis au diktat de l’audimat. Mais voilà, désormais, les gens commencent à voir que ce n’est pas si malsain.

Beaucoup voient le métalleux comme violent, bête et bourré de bière. Mais que fait-il dans la vie ?
Oui, bon, il boit, c’est sûr ! Le Hellfest, c’est tout de même 270 000 hectolitres de Kro ! Mais le métalleux sait gérer. Il y a plus de comas éthyliques dans les soirées étudiantes (rires). Dans le village de Clisson où se déroule le festival, les habitants sont contents. Ils disent que le festivalier est propre, poli et sympa ! Majoritairement, c’est quelqu’un d’intégré. Il y a très très peu de drogues… D’ailleurs, ce n’est pas spécifique aux métalleux. Ce sont aussi des gens qui aiment jouer avec la religion. Si le metal ne choque pas, il se fait bouffer par le système.

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Et concernant les catégories socioprofessionnelles ?
Il y a de tout. Des étudiants, beaucoup de travailleurs sociaux, des gens de la police, de l’armée, ou encore des cadres de banque et des professions libérales. Au Hellfest, tout le monde se fout de la classe sociale. À préciser aussi que le métalleux consomme sa musique : il paye pour ses concerts, ses tee-shirts, sa collection de CD et de vinyles.

Certains imaginent le public metal très masculin et machiste.
En fait, le Hellfest devient de plus en plus féminin. Ce n’est pas l’équilibre, certes, mais il y a 35 % de femmes. Ça évolue ! C’est intéressant de voir leur façon de se vêtir en festival : elles peuvent être habillées hyper court, personne ne vient les embêter. Il y a toujours un respect de la femme.

Hellfest 2014 (photo tmv)
Hellfest 2014 (photo tmv)

Les médias français ont mis 10 ans à se rendre compte que le Hellfest avait du succès. Pourquoi ?
Personne n’y croyait ! Alors que maintenant, certains crèvent de faim pour obtenir leur accréditation au festival ! Cela dit, dans les années 80, Philippe Manoeuvre (journaliste et critique musical) avait dit que les Ramones et AC/DC ne feraient pas carrière…

Le sociologue Gérôme Guibert a dit que le metal donnait à ses fans une forme d’énergie face à l’adversité. Vous êtes d’accord ?
Oui, le metal est un exutoire ! Peu importe les tracas de la vie, cette musique est une valeur refuge. Le metal, ça les tient en vie ! C’est un peu comme le milieu des motards : on se rassemble dans l’adversité.

En 1991, la sociologue Deena Weinstein disait que le metal permettait d’oublier la pression du quotidien à travers un imaginaire. Est-ce toujours vrai ?

Oh oui ! Je ne pense pas qu’il y ait un seul secteur musical qui ait autant d’imaginaire. Il suffit de voir les groupes de black metal, d’autres qui parlent d’heroic fantasy, Klone et son univers positif, Avatar et ses monstres ou encore Amon Amarth et ses vikings.

Alors au final, est-ce que le metal est une contre-culture ?
J’ai du mal avec ce terme. Je ne sais pas… Disons que pour moi, c’est une culture à part entière. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le Hellfest fonctionne si bien. Le metal possède ses rites, mais il ne rentre pas dans les moeurs et son acceptation est encore différente suivant les territoires. Le metal persiste et signe quand même : c’est la Bête qui refuse de mourir.

(1) En parlant pèlerinage, tmv fera le sien, car cette année encore, la rédac débarquera au Hellfest cet été pour vous ramener un paquet de souvenirs et un joli reportage. 

Propos recueillis par Aurélien Germain

LE PROGRAMME COMPLET DE LA SEMAINE METAL A TOURS, DÉBUT MAI :

>Tours metal week l’événement Facebook ou facebook.com/mfest.asso.5 et facebook.com/ThroneOfThanatos

Plus d’infos :

>Site officiel du Hellfest : ICI !
>Nos anciens articles sur le Hellfest : Par là !