L’art et la science, complices de longue date

N’opposez plus les cartésiens aux créatifs, les arts et les sciences ont évolué ensemble depuis des années. Et ce ne sont pas les projets qui se déroulent à Tours qui vous diront le contraire.

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Collage photo tmv (Photos Julien Pruvost + EZ3kiel)

L’art est-il moins nécessaire que la science ? Vous avez quatre heures. Allez, comme on est sympa à tmv et que le bac approche, on vous aide à réviser la philo. Car pendant que Parcoursup, Roland Garros et même Zidane tirent la couverture à eux, le monde artistique bouillonne à Tours. La Compagnie Off, emblématique des arts de la rue, se prépare à partir au Burning Man, les Petites machines poétiques d’EZ3kiel reviennent pour une dernière danse au Château du Plessis et le musée des Beaux-Arts a inauguré Sculpturoscope, une exposition réalisée par des laboratoires de recherche.

Trois projets, trois façons de voir l’art, mais tous, à différents degrés, liés aux nouvelles technologies et à l’innovation. Ce n’est pas nouveau me direz-vous ? Et vous aurez raison. Léonard de Vinci étudiait déjà toutes les sciences possibles pour réaliser ses œuvres à la perfection.
« Il n’utilisait pas seulement les techniques de perspectives, cet ingénieur militaire s’intéressait aussi à la physique, à l’anatomie, à la géologie ou encore à la théologie, pour comprendre tous les phénomènes qui composaient son tableau », explique Pascal Brioist professeur au Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR) à Tours. « La photo a aussi été une révolution en terme d’image, explique le conservateur du musée des Beaux-Arts de Tours, François Blanchetière. On a craint qu’elle supplante la peinture car elle représentait mieux la réalité, mais la peinture a su évoluer et se détacher de la représentation du réel. »

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L’expo Sculpturoscope (Photo Julien Pruvost)

Pour lui, la 3D est aussi en train de changer les choses, sauf que tout va plus vite qu’à l’époque de la première Boîte noire. « La 3D permet de passer du virtuel au réel, sans pour autant supplanter la création et la présentation de l’oeuvre originale », insiste-t-il. C’est justement ce que l’exposition Sculpturoscope explore.
Les chercheurs du CESR et le Laboratoire d’informatique fondamentale et appliquée de Tours (LIFAT) ont travaillé ensemble pour faire changer le regard porté sur les sculptures de la Vierge à l’Enfant, si communes et pourtant méconnues du public. Ils ont travaillé avec des scanners pour récolter des données nouvelles, des imprimantes 3D pour créer des statues à toucher ou encore des capteurs de mouvements pour une scénographie nouvelle. Le visiteur passif devient alors un visiteur actif et créateur.

C’est aussi l’idée qu’a eu il y a déjà neuf ans, le groupe tourangeau Ez3kiel, à travers le travail de Yann Nguema. Cet artiste couteau-suisse, passionné d’image, de musique et d’informatique, avait eu l’idée de promouvoir l’album « Naphtaline », dans un projet donnant la possibilité aux spectateurs de créer leur propre mélodie. Dix machines à la patine ancienne ont ensuite mis en valeur ces logiciels interactifs, agrémentées des technologies de pointe à l’époque (écrans tactiles, capteurs sensoriels) apportant une magie qui perdure aujourd’hui.

Mais contrairement à une « Joconde » qui reste quasi-immuable des siècles plus tard, cette forme d’art vieillit très vite. « C’est de plus en plus difficile de les réparer, ce sera leur dernière exposition, explique l’artiste qui travaille déjà sur de nouveaux projets présentés au Maif social Club à Paris. J’utilise des blocs de verre comme des écrans augmentés sur lesquels j’intègre des images interactives en 3D », résume l’artiste de 44 ans qui s’est inspiré du mapping qu’il réalise depuis quelques années.

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Et l’art vivant dans tout ça ? Lui aussi s’est enrichi des techniques de projection vidéo, à l’image des créations chorégraphiques d’Adrien Mondot et de Claire Bardainne. Les danseurs semblent se mouvoir dans des vagues de pixels, tantôt tourbillon tantôt vapeur.

À Tours, la Compagnie Off a utilisé une seule fois au cours de ses spectacles ce genre de techniques, dans ses Paraboles pour écouter « l’immensément lointain ». Cette année, la compagnie relève un nouveau défi technique en partant pour le désert de Black Rock au Nevada. Elle renouvelle son spectacle de Roues de couleurs grâce à des leds qui devront changer d’intensité, de rythme et de teintes selon la musique. Une compagnie « de la vieille école » qui continue à croire que l’art doit provoquer et rassembler les foules avant tout. « On a démarré dans les années 80 avec des grandes scènes, des acrobates… », rappelle le directeur artistique Philippe Freslon, qui constate que ces grandes formations sont plus difficiles à créer et à diffuser.

« On trouve des jeunes compagnies qui proposent du multimédia, des balades au casque, je ne dis pas que ça ne doit pas exister mais je trouve que l’aspect de rébellion n’existe plus. Les formes sont plus aseptisées, neutres, gentils, dit-il avant de conclure. Chez nous, tout est poussé et tiré par des garçons de piste, l’effort est constructif de l’état dans lequel se trouve le spectateur. » Des liens humains qu’aucune science ne pourra remplacer.

Sculpturoscope : toucher le sacré

Dans le cadre de notre dossier sur l’art et la science, zoom sur le Sculpturoscope à Tours.

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(Photo Julien Pruvost)

Ici, ce n’est pas interdit de poser les mains sur les statues. Il est même fortement conseillé de les soulever pour évaluer leur poids. Sculpturoscope apparaît comme un Ovni au musée des Beaux-Arts.

Ce n’est d’ailleurs pas une exposition d’artistes qui est présentée, mais le résultat des trois ans de recherches scientifiques en histoire de l’art et en informatique. Ce sont les ingénieurs du Laboratoire d’informatique fondamentale et appliquée (LIFAT) qui ont contacté le Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR) pour monter un projet commun.
« Nous avions déjà travaillé des données 3D dans les domaines médical et biologique, tout comme la visualisation des résultats sur des interfaces 3D pour les professionnels. En revanche, nous voulions acquérir des connaissances sur la transmission au public de données scientifiques », raconte le professeur d’informatique Gilles Venturini. Grâce à la sélection de leur second projet par la Région, les équipes ont pu travailler ensemble sur un thème très présent dans le Val de Loire à la Renaissance : La Vierge à l’Enfant.

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(Photo Julien Pruvost)

« De grands chercheurs se sont penchés sur ce sujet, on a l’impression qu’on a déjà tout dit et tout vu, et pourtant, je me suis demandé comment on pouvait, avec ces technologies déjà utilisées en architecture et en archéologie, faire émerger de nouveaux questionnements », raconte Marion Boudon-Machuel, professeure en histoire de l’art moderne au CESR.
Trois œuvres sont ainsi présentées physiquement dans l’exposition : la Vierge d’Ivoy-le-Pré, la Vierge des Carmes et la Vierge de Blois. La première a fait l’objet d’impression 3D, la seconde, incomplète, est présentée de manière interactive et la dernière a été passée au scanner X de l’Institut national de la recherche agronomique. Un projet qui a si bien fonctionné que les informaticiens continuent à s’immiscer dans divers domaines, à travers un projet de réalité augmentée pour la Cité Royale de Loches et l’accompagnement de l’artiste plasticienne Laurence Dréano pour « mettre du numérique dans ces œuvres », décrit énigmatique le chercheur Barthélémy Serres.

> Pratique : Jusqu’au 10 septembre au musée des Beaux-Arts, 18, place François-Sicard. Ouvert tous les jours de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h. (fermé le 14/07)
> Tarifs : 6 €, 3 € réduit, gratuit le 1er dimanche du mois et enfants – 12 ans.