Petites histoires d’un Noël pas ordinaire

Il y a des endroits où l’on n’aurait pas envie de passer Noël. Ou des situations dont on se passerait bien un soir de réveillon. Mais malgré tout, l’esprit de Noël est (presque) partout. Des Tourangeaux racontent.

J’ai passé Noël…

… À LA MAISON D’ARRÊT DE TOURS

« C’était ma première distribution de cadeaux de Noël aux personnes détenues, un 24 décembre il y a cinq ans. Nous étions plusieurs bénévoles, accompagnés d’un surveillant qui ouvrait chaque cellule et informait les gens de notre venue. Je voyais pour la première fois la réalité de leur dure vie en cellule, à 2 voire 3 dans 9 m². Je me demandais ce que je faisais là. Nous nous présentions à chacun sur le pas de la porte : “ Bonjour messieurs, nous représentons plusieurs associations et nous vous apportons un petit cadeau. ” Nous leur donnions en mains propres un sachet contenant des chocolats, des fruits secs, un calendrier, un kit de courrier…
C’était l’occasion d’échanger quelques mots, même si la distribution était très rapide. Je me rappelle de ce monsieur, les larmes aux yeux à l’idée de ne pas voir ses enfants pour Noël. Ça m’a beaucoup touchée. Certains nous disent un mot gentil et nous remercient de penser à eux. Pour moi, c’est le principal sens de cette action : que les personnes détenues sachent que des associations et des gens de l’extérieur pensent à eux. »
MONIQUE – BÉNÉVOLE À L’ENTR’AIDE OUVRIÈRE – COMITÉ D’AIDE AUX DÉTENUS

Capture… PLACE DE CHÂTEAUNEUF À TOURS

« C’était le soir du réveillon, l’année dernière. Dès 14 h, j’étais sur le pont, place Châteauneuf, pour préparer le “ Noël pour tous ” que nous organisions avec le diocèse de Tours et plusieurs associations. Comme chaque année depuis six ans, nous nous préparions à accueillir 200 à 400 personnes, en situation de précarité ou isolées, de tout âge et de toutes catégories sociales.
En tant que responsable logistique, il fallait que je veille à ce que tout soit près pour 18 h. Ensuite, j’ai pris ma casquette de secouriste : je devais être disponible en cas de problème, ce qui ne m’a pas empêché de profiter de la soirée. Ce que j’ai aimé ? La simplicité des échanges. M’asseoir à une table, rencontrer des gens et discuter de Noël ou d’autres choses… Finalement, j’ai passé un Noël comme les autres, porté par des valeurs de solidarité et heureux de donner de mon temps à l’autre. »
LOUIS-ALEXIS C., BÉNÉVOLE À LA CROIX ROUGE

… EN OPÉRATION EXTÉRIEURE EN GUYANE

« J’ai passé mon Noël 2015 en Guyane. En renfort là-bas depuis le mois d’octobre, j’étais chargé de préparer le matériel de sécurité et de sauvetage dans les hélicoptères et les avions de transport. Nous réalisions de nombreuses évacuations sanitaires de personnes militaires et civiles, en mer et sur terre. Pour Noël, j’étais en semaine d’alerte, disponible 24 heures sur 24. J’ai reçu un appel le 25 au matin pour une mission un peu particulière : il fallait emmener d’urgence un bébé à l’hôpital en Martinique, afin qu’il bénéficie de soins cardiaques.
Dans ce cas, il faut faire au plus vite. Mécaniciens, contrôleurs, pilotes : nous étions une quinzaine de personnes impliquées. Je me rappelle du berceau qui faisait partie du matériel à préparer. Ce n’était pas habituel, ça m’a beaucoup marqué. C’est le genre de missions dont nous sommes fiers. »
SERGENT QUENTIN C. – BASE AÉRIENNE 705 TOURS

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… À L’HÔPITAL

« À chaque fois que je sors mon livre de recettes de verrines, je repense à ce Noël chaleureux passé à l’hôpital de Château- Renault. J’étais alors infirmière en service de médecine gériatrique. Comme chaque année, nous avions installé un beau sapin dans le couloir. Le jour de Noël, nous y déposions de petits cadeaux. Nous profitions d’un moment tous ensemble pour partager les plats apportés par chacun – foie gras, toasts, fromages, desserts… – et pour déballer les cadeaux. On n’en ouvrait un au hasard, sans savoir qui nous l’offrait. C’était la surprise ! Je suis tombée sur ce livre de verrines qui m’a beaucoup plu. Un échange de regards m’a fait comprendre que c’était un présent d’une collègue aide-soignante. Ce sont des moments agréables, qui renforcent le travail d’équipe. »
SYLVIE A. – INFIRMIÈRE

« Ce n’est pas facile de fêter Noël lorsqu’on travaille au bloc opératoire d’urgence. Nous gérons des interventions non programmées 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. La nuit de Noël, les médecins, les infirmiers et les aidessoignants de garde partagent un repas commandé pour l’occasion. C’est exceptionnel. Mais nous n’avons pas vraiment le temps d’en profiter : dès qu’il y a une urgence, on arrête tout et on y va ! Souvent, les patients qui arrivent sont désolés : ils pensent que c’est à cause d’eux que nous sommes privés d’un Noël en famille. Mais qu’il y ait des patients ou pas, de toute façon, nous sommes là. »
ROMAIN A. – INFIRMIER ANESTHÉSISTE AU CHRU DE TOURS

Tours : ils jouent leur sortie de prison

À la maison d’arrêt de Tours, la compagnie de théâtre Les 3 Sœurs intervient auprès de jeunes détenus. L’objectif ? Les aider à avancer dans leur parcours de vie.

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Les comédiens jouent une première saynète pour interpeller les détenus.

Une casquette bleue vissée sur la tête, Frank sort tout juste de  prison. Pour redémarrer du bon pied, il souhaite se lancer  dans le commerce. D’abord, se former. Mais avec son casier  judiciaire bien rempli, il se dit qu’il ne sera jamais pris en  formation. Heureusement, son pote Mario, qui a ouvert  une pizzeria, propose de l’embaucher et lui donne même une avance  sur salaire. Sauf que Frank est tiraillé. Là, il a surtout envie de fumer.  Et puis son copain qui l’appelle pour jouer aux jeux vidéo, c’est super  tentant. Alors tant pis, le travail attendra. Quant au rendez-vous avec sa  petite amie, il a zappé. Résultat, il se brouille avec Mario et sa copine.

En réalité, Frank n’existe pas. C’est un personnage joué par Antoine  Miglioretti, de la compagnie tourangelle Les 3 Sœurs. Face à lui, six  jeunes détenus de la maison d’arrêt de Tours. La scène se déroule dans  une salle d’activités de la prison, accessible de l’extérieur après avoir  franchi cinq portes et autant de grilles fermées à clé. La compagnie  intervient dans le cadre du programme Bouge — Bien orienter une  génération en devenir — à destination de jeunes délinquants, souvent  récidivistes, âgés de 18 à 25 ans. À l’origine, le questionnement de deux  conseillères d’insertion et de probation — Vanessa Fouillet et Emmanuelle Terriot — chargées d’accompagner les détenus et de prévenir  leur récidive :  « Le comportement de ces jeunes est un réel problème.  Comment les aider à évoluer ? »  Une difficulté décuplée par la détention  et la promiscuité qu’elle impose.

Un personnage tiraillé entre sa voix intérieure et les sollicita- tions extérieures.
Un personnage tiraillé entre sa voix intérieure et les sollicitations extérieures.

Ici, plus de 200 détenus vivent à deux  ou trois dans une cellule de 9 à 10 m2. Ils y passent 22 heures par jour,  sauf activité ou rendez-vous particulier. Le projet Bouge est porté par  le Spip, service pénitentiaire d’insertion et de probation, dont l’une des  principales missions est de prévenir la récidive par un accompagnement  individuel et collectif.

« Souvent, l’approche collective consiste à organiser des groupes de parole à visée thérapeutique. En investissant le champ  éducatif, nous nous inscrivons dans une toute autre logique » , souligne  Isabelle Larroque, directrice du Spip. Après une première session du  programme Bouge fin 2015, une deuxième est aujourd’hui en cours.  Parmi les six séances prévues, deux sont consacrées à l’intervention de  la compagnie Les 3 sœurs, qui pratique le théâtre d’intervention :  « Nous  avons créé un objet théâtral personnalisé et adapté à la demande du  Spip » , précise Sonia Fernandez-Velasco, comédienne de la compagnie.  Le personnage de Frank a été conçu de sorte que les détenus puissent  se projeter sur lui et réfléchir à leurs propres difficultés. Très présent,  l’humour favorise l’implication des jeunes et leur participation.

Ce mercredi-là à la maison d’arrêt, les détenus réagissent à la scène  jouée par la compagnie :  « En fait, Frank, il a réussi que les problèmes ! »,  lance Kader*. Accompagné des trois acteurs, les participants retracent  le parcours de Frank depuis sa sortie de prison. Matérialisées au sol,  deux lignes divergentes constituent un plateau de jeu imaginaire. La  première, la  « ligne de conduite » , mène Frank à l’objectif qu’il s’est fixé,  symbolisé par une coupe. Pour les jeunes, cette coupe, c’est avant tout  « un travail légal » . La deuxième ligne, déviante, conduit à un point  d’interrogation : c’est  « la cité » ,  « le quartier », « la prison »  ou encore  « le travail illégal  » .
Le groupe décortique ce qui a poussé Frank d’une  ligne vers l’autre : Quelles priorités s’est-il fixé ? Quels choix l’ont fait  basculer ? Quelle responsabilité porte-t-il dans cette évolution ? Puis, les  trois acteurs invitent les détenus à prendre leur place :  « Vous allez sortir  de prison. Vous serez au début d’un nouveau chemin. À vous de vivre votre  propre parcours. »  Commence alors la distribution des rôles : aux côtés de Kader dans le rôle principal de Frank, Julien* joue le monde extérieur  — toutes les personnes avec qui Frank interagit une fois dehors — et  Kevin*, la voix intérieure de Frank. Quant à Luc*, extérieur à la scène,  il peut à tout moment stopper l’action grâce à une télécommande. Voilà  comment s’invente l’histoire avec les jeunes comédiens…

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Elsa Adroguer, comédienne, dans le rôle de la petite amie de Frank.

Frank annonce à son conseiller :  « Mon oncle va m’embaucher dans sa  pizzeria. »  Mais dès sa sortie de prison, son pote du quartier l’invite à  boire un coup. Puis, son conseiller l’informe qu’il doit se rendre immédi- atement à la mission locale pour bénéficier d’un programme d’insertion,  avec des aides au permis et au logement à la clé. Excellente nouvelle !  Mais Frank a vraiment envie de trinquer avec ses copains. Tout de suite.  Il ne sait plus quoi faire…
Intervient alors sa maman, au téléphone :  «   Tu vas aller à ce rendez-vous, Frank, insiste-t-elle. Sinon, qui est-ce qui va  encore finir au parloir pendant un an, hein ? »  Ensuite, Frank apprend que  le rendez-vous à la mission locale est finalement à Blois. Sans permis, il  galère pour se faire conduire là-bas, et résultat, il arrive 45 minutes en  retard. Le conseiller, joué par Julien, retire sa proposition :  « Il faut être  assidu, ponctuel » , justifie-t-il. Kader s’emporte :  « J’ai fait 100 kilomètres pour vous ! Toi, t’as vu comment tu m’reçois ? Rentre chez toi, tu veux que j’t’insulte ou quoi ? » Fin de l’histoire.

Les trois comédiens se sont donné à fond dans leur rôle. Avec plein  d’énergie, d’humour et un sacré sens de la répartie. Un débriefing de la  saynète permet d’analyser pourquoi la situation a dérapé. En résumé :  « Il y a eu trop d’embrouilles ! Frank aurait dû expliquer clairement sa  situation au conseiller : lui dire qu’il n’avait pas le permis, pas de voiture.  Qu’il ne pouvait donc pas se rendre à Blois en si peu de temps » , analyse  Vanessa Fouillet.
L’occasion aussi, avec les comédiens de la compagnie,  de lancer quelques pistes de réflexion : comment canaliser son énergie,  se fixer des objectifs ou plus globalement, être réellement acteur de sa  vie. Pour Vanessa Fouillet et Mathieu Besson, les deux conseillers d’insertion et de probation qui accompagnent le groupe, cette séance s’avère  précieuse :  « Nous pouvons évaluer leurs réactions, leur comportement. Ce qui nous permettra, dans les prochains entretiens, de valoriser ce qu’ils  ont réalisé de positif et de leur montrer qu’ils détiennent en eux des clés  pour changer » .
L’objectif : leur donner confiance dans leur capacité à  changer dans la durée.

Reportage et photos : Nathalie Picard

* Les prénoms ont été changés.

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Pas facile de choisir entre sa ligne de conduite et une voie divergente.