La citoyenneté sur les planches

La compagnie de théâtre l’Échappée Belle a travaillé sur la citoyenneté afin de proposer un spectacle documentaire, Les clefs du paradigme. Tmv a assisté aux répétitions.

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Non loin du bourg de Mettray, dans un lieu qui ressemble, à première vue, à un parc, l’allée de marronniers montre le chemin de l’église. Un village dans un village. Les bâtiments qui entourent le parc portent les stigmates des années écoulées. Sur la porte d’une des habitations de la propriété privée une affiche, discrète, est posée : « Compagnie l’échappée belle ».

Depuis trois ans, la troupe a posé ses valises ici, à l’Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP). Il était peut-être écrit quelque part qu’une troupe de théâtre finirait par élire domicile en ces murs. En 1926, l’endroit accueillait le futur dramaturge Jean Genet, alors âgé de 15 ans. Accueillir n’est probablement pas le bon terme puisqu’à cette époque, et ce depuis 1839, il s’agissait d’une colonie agricole pénitentiaire. Mais les temps ont changé.

Aujourd’hui, la compagnie l’Échappée belle met en place des ateliers-théâtres au sein de l’établissement. C’est une manière pour ces adolescents qui souffrent de troubles du comportement de trouver une autre voie d’expression. « Nous connaissons l’évolution des uns et des autres. Depuis trois ans, nous voyons la transformation. Même les enseignants et les éducateurs nous le disent », assure Didier Marin, comédien. Depuis octobre, les acteurs travaillent autour de la problématique du harcèlement et de la discrimination. Ce dernier est aussi un des thèmes abordés dans leur spectacle documentaire sur la citoyenneté.

La citoyenneté ? Vaste programme. Qu’est-ce-que c’est ? Que représente-t-elle ? On la trouve partout, autour de nous. Pour réaliser ce spectacle, les comédiens ont dû comprendre ce qu’elle, dans notre société, représentait. Un travail de préparation de plus d’un an.

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Les quatre comédiens ont apporté leurs trouvailles, leurs idées. Sur certains points, ils se sont rapidement entendus. Parler de la devise « liberté, égalité, fraternité » leur semblait inévitable, tout comme parler du drapeau tricolore. Le texte n’est pas écrit noir sur blanc. Les fiches de répétitions sont une succession de mots clés. Seuls quelques poèmes sont intégralement écrits. Les clefs du paradigme, ils ne l’ont pas réellement conçu comme une pièce de théâtre. Diverses situations, diverses scènes complémentaires, viennent illustrer la thématique. Au fur et à mesure d’improvisations, la ligne directrice devient de plus en plus palpable. Des mots font naître des improvisations qui, elles-mêmes, font naître une écriture. Le spectacle s’est créé autour de témoignage, de rencontres, d’interviews.

Philippe Ouzounian, comédien et directeur artistique de la compagnie l’Échappée belle, est allé à la rencontre d’un migrant afghan et d’un migrant saoudien. Il voulait connaître leurs histoires et raconter leurs parcours. « Nous abordons la question de l’accueil des migrants de façon frontale », constate Didier Marin. Un sujet qui leur tient à cœur. Souvent, une des premières sources d’inspiration est notre propre histoire. Pour eux, cela a été le cas. Philippe Ouzounian est petit-fils d’immigré arménien, Didier Marin, fils d’immigré espagnol. Leur histoire, il la raconteront aussi sur scène. Pour l’instant, seuls les murs de leur salle de répétition sont témoins de ces récits.

Simplicité, humour

C’est en empruntant un escalier qu’on accède à leur lieu d’expression. Les marches en fer donnent un côté industriel à la pièce. À l’étage, des traces sont visibles sur le sol. Ce sont les marques d’anciens murets qui séparaient les box de l’ancien dortoir. Au fond, la pièce est délimitée par des murs peints en noir. « Les jeunes de l’ITEP ont restauré le lieu. Ils ont refait l’isolation, la peinture. Ils ont installé l’électricité… », détaille Philippe Ouzounian.

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Pour ce nouveau spectacle, pas de fioriture dans le décor mais de la simplicité. Ils ont conçu la mise en scène de ce nouveau spectacle avec les moyens du bord. « Un décor léché provoquerait un décalage avec la spontanéité de la pièce », note-t-il. Des journaux viennent symboliser la liberté de la presse, les marinières viennent rappeler les couleurs du drapeau… Au même étage, le tableau vert de l’ancienne salle de classe a été conservé.

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Ce n’est pas une leçon sur la citoyenneté que propose la compagnie de l’Échappée belle. Les quatre comédiens ne tiendront en aucun cas le rôle de professeurs. Leur but, à travers ce spectacle documentaire, n’est pas d’apporter des réponses aux spectateurs. Ils veulent qu’ils se questionnent sur la citoyenneté. Le tout avec humour et légèreté. Car oui, nous pouvons rire de sujets aussi sérieux que le droit de vote, la discrimination à l’embauche ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes.

Lundi 18 juin, 14 h et 18 h, Gymnase Rabière 1, Joué-lès-Tours. Gratuit. Ouvert à tous.

Intermittents : ils ont la parole

Trois artistes et un administrateur de théâtre partagent leur expérience et leur sentiment sur l’intermittence aujourd’hui.

« Se rendre compte de la charge de travail » 
Patrick Harivel, 60 ans, comédien
INTERMITTENT_BV_HARIVEL« Quand on parle de 507 heures d’activité sur 10 mois et demi pour pouvoir toucher des allocations chômage, cela paraît peu. Nos cachets isolés sont comptabilisés comme 12 h de travail par l’Assedic et sont censés couvrir large : de la préparation à la représentation. Pourtant, en réalité, quand on compte l’apprentissage ou la révision d’un texte, la condition physique à entretenir, le trajet aller-retour, on dépasse largement ce volume horaire ! Tout le monde ne se rend pas compte de la charge de travail que l’on a. Et je constate que la situation est de plus en plus précaire. On m’a déjà proposé des projets artistiques où les répétitions n’étaient pas payées. J’ai refusé par principe. Et puis, on est toujours à la recherche de contrats ! C’est un gros travail que de les trouver. En passant des castings, des auditions. Et encore, auparavant, ces déplacements étaient payés… Forcément, cela met de la pression, mais on le sait dès le départ. On doit utiliser ces périodes de creux pour se nourrir artistiquement et être prêt dès que le travail se présente. »
« On n’a pas les moyens de prendre un permanent »
David Limandat, 34 ans, administrateur du théâtre Barroco, à Saint-Pierre-des-Corps
INTERMITTENT_BV_LIMANDAT« On bosse avec une trentaine d’intermittents du spectacle. Sur le plan artistique, leurs parcours varient. Avec les expériences glanées ailleurs, ils sont plus ouverts et apportent de nouvelles idées. Ces périodes courtes collent avec le fonctionnement d’un théâtre. Il y a aussi un avantage fiscal à avoir des intermittents puisque l’on bénéficie d’un abattement de 30 % sur les charges. Mais plus largement, sur le plan financier, on ne peut pas prendre de permanent. Notre structure tourne autour d’une centaine de représentations par an. Faire passer des artistes ou des techniciens en CDI, c’est une proposition qui s’adresse plus au monde de la télévision ou à des grosses compagnies. Et cela est logique à partir du moment où il y a une forte récurrence de contrats. Sauf qu’entre des théâtres nationaux et nous, c’est le jour et la nuit ! D’autant plus que la baisse des budgets dans la culture pèse, de manière directe ou indirecte sur les intermittents. Par exemple, on aimerait les payer plus mais il y a un cercle vicieux. Si on le fait, cela veut dire que l’on augmente le prix des spectacles. Moins de monde va venir les voir. Et s’il y a moins de monde, forcément il y a moins de cachets pour payer les artistes… »
« Je vois l’intermittence comme une chance »
Elsa Beyer, 37 ans, chanteuse
INTERMITTENT_BV_BEYER« Je suis sortie plusieurs fois de l’intermittence car je n’ai pas toujours pu renouveler mon dossier. C’est assez fluctuant. Je suis à nouveau dedans depuis environ trois ans. Je donne parfois des cours de chant. C’est un autre travail qui est vraiment différent, mais j’aime bien faire les deux, cela dépend aussi de l’optique dans laquelle je suis. En tout cas, je considère l’intermittence comme un état précieux. Il me permet de vivre de ce que j’aime : la musique. Bien sûr, il y a une précarité, on manque de stabilité, mais je le vois comme une chance. Ce serait une catastrophe si ce régime disparaissait. Maintenant, tout s’est resserré, on a plus l’impression de devoir courir puisque l’on est passé de 12 mois à 10 mois et demi. Quand on arrive à la fin de la période de référence, on a une appréhension. On se demande si Pôle Emploi a bien reçu tous nos documents. Je trouve que leurs agents répondent plutôt bien à nos questions. Sur ce point, c’est mieux qu’avant. Mais je déplore que tout soit désormais basé à Nanterre. Avant, on avait un référent à Tours, à un échelon local et c’était plus simple. »
« C’est un métier ? Tu ne fais rien à côté ? »
Laurent Priou, 54 ans, comédien
INTERMITTENT_BV_PRIOU« Il y a des choses fausses qui circulent et qui me font bondir. On dit que notre régime a contribué à aggraver le déficit de l’Unedic et qu’il coûte beaucoup d’argent. Mais c’est faux ! Il peut paraître injuste car d’autres corps de métiers, comme les plasticiens, pourraient revendiquer un tel système. Mais, il faut absolument le défendre car il nous permet de faire notre métier correctement. À un moment, il y a eu des dérives, c’est vrai. Parce que certains cherchaient l’intermittence avant d’avoir un métier. À une époque, on avait parlé d’une carte professionnelle d’intermittent, mais c’était très dangereux. Quels critères auraient défini son attribution ? Il faut surtout changer l’esprit des gens. Le grand public ne me parle pas souvent du système de l’intermittence. Mais j’ai l’impression quand même qu’il y a une grande méconnaissance. Je n’entends pas de fortes critiques, mais on me dit parfois : “ Ah bon, comédien, c’est un métier ? Tu ne fais rien à côté ? ” C’est aussi un paradoxe de l’intermittence : on est reconnu en tant que professionnel lorsque l’on est demandeur d’emploi. »
Recueillis par Guillaume Vénétitay