Frencizzle, au rythme de ses productions

#EPJTMV « A Châteauroux, ils font du rap de vieux. » C’est sûrement pour cette raison que Frencizzle, beatmaker castelroussin de naissance, a préféré regarder de l’autre côté de l’Atlantique. Le désormais Tourangeau de 32 ans a produit, entre autres, des instrumentales pour des rappeurs tels que Chief Keef ou Gucci Mane, deux des artistes les plus influents de la scène rap américaine.

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« Je ne vois pas la musique comme un travail », assure le beatmaker* moustachu, qui, en plus de la musique, occupe un poste de caissier en supermarché, à Grand frais. « J’ai mon CDI pour être stable, parce que le monde de la musique peut te rendre fou. » Le petit producteur, et ce uniquement par la taille, a une comparaison bien à lui pour illustrer ce risque : « La musique c’est comme une fête, avec un début et une fin. Si tu n’as pas réussi à maximiser tes chances, à capitaliser sur ce que tu as fait tout le long, c’est dur quand ça s’arrête. »

Il pourrait gagner sa vie avec la musique qu’il produit, musique indispensable aux rappeurs, sur lesquelles ils rappent. « J’ai eu des approches mais je ne veux pas signer. L’industrie du disque est en déclin. Le streaming, ce n’est pas intéressant, ça rapporte surtout beaucoup aux labels. Si tu n’es pas Johnny ça ne sert à rien », constate-t-il. « C’est bandant d’être indépendant. » Clin d’œil à la mentalité de Frencizzle, ces paroles ne sont pas de Jean-Léonard, de son vrai nom, mais de Booba. Elles sont issues d’un morceau que le beatmaker a samplé* pour créer une instrumentale. Double Zulu et Karma Radieux, deux rappeurs peu connus, ont eu la chance de rapper dessus. Donner de la lumière aux jeunes artistes est un des objectifs premiers de Frencizzle. Il vient d’ailleurs de publier un projet trois titres, « Gonzo », en collaboration avec Strypes, un jeune rappeur américain.

« L’exigence mongole »

Le rap américain, Jean-Léonard l’a découvert sur M6, avec Snoop Dogg et son morceau « What’s my name ». Sa connaissance et sa maîtrise de ce genre musical ont ensuite bien évolué. Bien qu’il en produise fréquemment, le passionné de rap n’en écoute quasiment plus. Pourtant, le beatmaker reste bien au fait de toute l’actualité rap. Cette volonté d’isolement vise avant tout à éviter d’être inspiré par ce qu’il entend des autres. Le rappeur reste fidèle à un credo : « l’exigence mongole. » Cette expression désigne l’état d’esprit de Frencizzle, « la volonté de vivre sa vie comme on le sent, sans être influencé. C’est essayer d’être libre au maximum. »

Jean-Léonard est tout de même inévitablement influencé par d’autres inspirations, notamment de la musique vietnamienne. Il en a placé des sonorités dans le morceau « Saint-Exupéry », d’Infinit, rappeur originaire des Alpes-Maritimes. C’est des origines de sa mère qu’il tire cette inspiration. Elle est très peu au courant des activités de son fils. « Je lui cache car je ne veux pas qu’elle soit déçue, qu’elle sache que je fais de la musique avec des mecs qui disent beaucoup de gros mots… » Qu’elle se rassure, son fils côtoie très peu les rappeurs américains avec qui il travaille.

Énergie américaine

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Le natif de Châteauroux a rencontré Chief Keef et les autres via internet, sur MySpace d’abord. Aujourd’hui, c’est surtout sur Instagram qu’il connecte avec des artistes, via sa page, certifiée d’ailleurs. Depuis son ordinateur, « un vieux truc pourri à 200 euros », Frencizzle confectionne ses productions, tard le soir le plus souvent. Elles sont ensuite envoyées aux Etats-Unis. Le beatmaker emprunte parfois le même trajet que ses instrumentales, mais surtout en tant que touriste, moins pour faire de la musique. Ces voyages lui permettent entre autres d’améliorer son anglais.

Frencizzle ne comprend pas tout ce que disent les rappeurs américains sur ses productions. Mais ce n’est pas un problème pour lui, car ce qui compte avant tout, « c’est l’énergie, l’ambiance, Chief Keef est très fort pour ça ». Frencizzle n’a jamais collaboré avec les nombreux rappeurs français inspirés par Chief Keef. « Je ne vois pas l’intérêt de produire des gens qui reproduisent ce que font les américains avec qui je travaille », lance-t-il, catégorique, entre deux bouffées de chicha.

En France, il a travaillé avec Joe Lucazz, Infinit ou Metek, des rappeurs qui répondent à son « exigence mongole », puisqu’ils vont à contre-courant. Jean-Léonard a aussi travaillé avec Booba sur le morceau « Félix Eboué ». Le D.U.C, surnom du rappeur, l’a d’ailleurs surpris à cette occasion : « c’était une époque où il utilisait beaucoup d’autotune et sur mon instrumental il a vraiment rappé. » Ce morceau a rapporté pas mal d’argent au caissier de Grand frais car Booba l’a interprété à chaque concert de sa tournée 2015-2016.

Frencizzle touche des intérêts à chaque écoute et diffusion des sons qu’il a produit. « La Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) me verse mes droits d’auteurs tous les trois mois. » Il tente cependant de retarder le plus possible son entrée dans la « spirale » comme il l’appelle, le rap en tant que travail à plein temps. « Peut-être que ça m’enlèvera une part de liberté », évoque-t-il sous sa casquette vert fluo.

La création avant tout

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Son objectif avec la musique est surtout de se faire plaisir. Pour lui, cela passe par le fait de développer un rappeur qui débute, ce à quoi il travaille actuellement. Il n’est pas forcément attiré par la production de hits. « Faire un tube, c’est comme diluer son whisky avec du coca, c’est la facilité », image-t-il. Frencizzle reste tout de même impressionné par certains artistes qui tournent dans toutes les radios, comme Jul ou Maitre Gims. Il devait d’ailleurs organiser pour ce dernier une collaboration avec Gucci Mane, rappeur très important d’Atlanta, qui ne s’est pas faite faute de temps, reportée à plus tard.

Même s’il est en contact avec des têtes d’affiches, Jean-Léonard est conscient que son dernier projet, « Gonzo », avec un jeune rappeur de Nashville, ne sera pas disque d’or. Pour autant, pas question pour lui de se décourager. « Il faut se demander d’abord pourquoi tu as commencé. Moi, c’est pour créer. Si tu penses à l’argent c’est foutu. » Frencizzle continuera donc, tant qu’il le peut, à vivre sa vie comme il l’entend, entre sa caisse de supermarché et ses productions.

Victor Fièvre

Photos : Suzanne Rublon

Pour découvrir son univers, l’Instagram de Frencizzle : frnczzl

*Beatmaker : artiste qui produit la musique sur laquelle le rappeur pose ses textes

*Sample : reprendre une partie d’un morceau pour en créer un autre

[#EPJTMV / Cet article fait partie du numéro 321 de tmv, entièrement réalisé par les étudiant(e)s de 2e année en journalisme de Tours]

Manudigital : le routard du reggae

Tmv a interviewé le célèbre beatmaker Manudigital. En direct de la Jamaïque, il a accepté de nous de parler en vrac de reggae, de basse, de Babylon Circus, de la Touraine… et de son audacieux show qui passera par Saint-Avertin le 27 février !

(Photo Stéphane Buttigieg)
Manudigital prépare sa valise (Photo Stéphane Buttigieg)

Week-end du 13 février. Pendant que Tours s’envole sous les bourrasques de vent et ses 8°C, la Jamaïque se dore la pilule sous une température trois fois plus élevée. Bon, sincèrement, on n’a pas franchement envie d’embêter Manudigital avec nos considérations météorologiques. Là-bas, il est davantage occupé à « enregistrer des nouveaux morceaux avec Alex, de Flash Hit Records pour nos futures sorties de Cali P, Jah Vinci, Papa Michigan par exemple. Je suis aussi en Jamaïque pour enregistrer la saison 2 des “ Digital session ’’ », comme il le rappelle. Des digital sessions qui font un carton sur YouTube. Qui ont fait ce que Manudigital est ce qu’il est aujourd’hui : un musicien talentueux, the beatmaker à ne pas louper. Le pro du « digital reggae ».

« Les digital sessions sont des vidéos où je joue un riddim (une séquence musicale, NDLR) en compagnie d’un MC », explique Manudigital. En gros, imaginez un Casio MT40, le synthé qui a révolutionné la musique jamaïcaine au milieu des 80s. Branchez-y Manudigital et son sens du rythme imparable. Ajoutez enfin les plus grands chanteurs et saupoudrez d’une méga dose de bonne humeur. La recette est parfaite : ces instants de folie musicale enquillent les milliers de vues. La prochaine saison de ses digital sessions sera d’ailleurs diffusée en mars, sur les réseaux sociaux.

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Et depuis, Manudigital est devenu un incontournable dans le milieu. « Je m’inspire du reggae jamaïcain des années 80-90, c’est ce que l’on a appelé le reggae digital. » Pour enrober sa musique, il apporte une touche perso’, « un peu plus moderne », comme il le dit. Qu’il mixe avec un tas d’influences qu’il a parfaitement su digérer. Il faut dire que l’homme aux 70 000 likes sur Facebook a fait l’American school of modern music. Une école de jazz renommée qui lui a appris « à avoir une rigueur dans le travail de musicien, mais aussi une ouverture d’esprit musical », dit-il. « C’est ce qui m’a permis d’apporter pas mal de nouvelles sonorités à la musique reggae. »

Multi-instrumentiste complet, Manudigital est avant tout bassiste de formation. Fan du jeu au doigt, il a commencé la basse à 13 ans. « Et je n’ai jamais arrêté depuis ! » Un prolongement de son bras. « C’est clair : c’est une partie de moi qui est devenue naturelle, tu vois, c’est devenu vital ! ». Son amour de la quatre cordes l’a poussé à intégrer, en 2010, le célèbre groupe Babylon Circus. L’aventure le mènera dans plus de 25 pays et dans les plus gros festivals. « Une superbe expérience qui restera gravée dans ma mémoire ! »
Une corde en plus à son arc, dans le domaine de la musique, lui qui a accompagné les maîtres du reggae : « J’ai adoré travailler avec des artistes francophones qui étaient des stars quand j’étais ado, comme Tonton David, Nuttea et bien d’autres », raconte- t-il, sans oublier Brahim « qui est devenu un ami ».

Dans son entourage, aussi, le fameux Biga*Ranx. Prodige du reggae et du dub né à Tours, ce dernier enchaîne maintenant les dates et blinde les salles. Leur amour pour la Jamaïque les a réunis. Manudigital et Biga collaborent. « Une histoire de musique », résume Manudigital. « Biga est un artiste très passionné comme moi, c’est cette vision commune de la musique qui nous a permis de faire tous ces projets ensemble. » Autant dire qu’entre Biga*Ranx ou encore Brahim par exemple, Manudigital a fini par bien connaître la Touraine. « J’y ai passé pas mal de temps grâce à mes collaborations avec des artistes tourangeaux. Il y a plein d’artistes talentueux et de très bons producteurs dans la scène dub/ reggae à Tours, c’est très dynamique », confirme-t-il.

Le 27 février, Manudigital, accompagné de son MC Bazil, viendra donc en terrain conquis d’avance (mais si, mais si) sur les planches de l’Intime festival. Saint-Avertin aura d’ailleurs droit au nouveau projet original et novateur ramené par l’artiste. La deuxième date de son Digital Pixel Tour. Un concert qui mêlera live et vidéo : « Pour mon show, ce sera un mix de musique et d’images avec toutes les machines que j’utilise en studio pour créer ma musique. La projection sur écran sera des images exclusives que j’ai filmées lors de mes collaborations avec différents artistes ! » De quoi en prendre plein les yeux… et les oreilles.

> Samedi 27 février, à 20 h 30 au Nouvel Atrium : Manudigital (+Pierre Mottron, Kid Francescoli). De 10 à 16 €.
> Intime Festival, du 25 au 27 février, au Nouvel Atrium de Saint-Avertin. Avec Agnès Jaoui, H-Burns, Les Deux moiselles de B, etc.
> manudigital sur Facebook ou sur YouTube.