Les arts du cirque : « un secteur sous-financé »

Rencontre avec Alain Taillard, directeur de la Fédération française des écoles de cirque et ancien directeur du Pôle régional des arts du cirque des Pays de la Loire.

REMPLACE TAILLARD CIRQUE

De votre point de vue, comment va le cirque aujourd’hui en France ?
Il ne se porte pas plus mal que l’ensemble du secteur du spectacle vivant. Il est globalement bien perçu par les Français. Très clairement, il y a un intérêt du public pour les arts du cirque, en tant que spectateur et en pratique. Mais c’est un secteur largement sous-financé, de par son apparition et sa reconnaissance tardive au niveau institutionnel. Par ailleurs, il n’échappe pas aux problématiques du monde associatif, très malmené actuellement.

Et plus particulièrement à Tours ?
Je ne citerai pas Tours comme une capitale des arts du cirque en France. Ça ne me viendrait pas à l’esprit. En ce qui nous concerne, on constate une absence inexpliquée d’écoles fédérées dans ce secteur géographique. Et je ne peux que regretter la disparition de l’école de cirque C Koi Ce Cirk. Sans doute que les volontés politiques ne se sont pas affirmées clairement en direction de cette discipline.

Vous avez été directeur du Pôle cirque au Mans, de 2011 à 2016. Ce dispositif s’appuie sur la Cité du Cirque Marceau et sur le Festival Le Mans fait son cirque, créés en 2008. Racontez-nous la genèse de ce projet.
C’est l’histoire d’une rencontre entre une initiative circassienne de nature associative, liée à une compagnie ayant monté une école de cirque, et une volonté politique qui a clairement orienté une partie de sa politique culturelle vers les arts du cirque. Grosso modo, l’écriture du projet circassien au Mans a été complète et globale, ce qui a donné lieu à des soutiens extrêmement forts, allant de l’initiation-découverte, à la diffusion de spectacles professionnels, en passant par la médiation et l’éducation artistiques et culturelles.
Cette année, le festival et l’école ont fêté leurs 10 ans. Le cirque est désormais un marqueur de la vie culturelle mancelle.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, une telle irrigation du territoire manceau ?
La caractéristique de ces politiques publiques est leur inscription nécessaire dans le temps. Les choses ne se font pas en deux ou trois ans. Il y a des temps nécessaires de maturation, d’infusion. Ça ne se décrète pas. On n’impose pas un tel projet, surtout dans notre domaine d’activité. Il faut que les choses aient du sens. La question importante à se poser c’est : en quoi un événement, festival ou autre, qui par définition est éphémère, s’inscrit dans la pérennité, dans une dynamique de territoire et participe à la vie culturelle au-delà de sa simple existence.
Au Mans, d’une part, la préexistence de compagnies connues et reconnues par la population a structuré, sollicité et motivé l’intervention publique. Elle a rendu, d’autre part, le projet légitime aux yeux des habitants. L’acte politique est indispensable, mais les choses ne sont gagnées que quand elles ont un sens populaire.

Propos recueillis par Jeanne Beutter

Tours est-elle (vraiment) une ville de cirque ?

Qu’il soit pratiqué sous un chapiteau étincelant ou dans la rue, le cirque plaît souvent. Mais au-delà des tournées de grandes enseignes accueillies chaque année sur le territoire et du Festival international de la Métropole, quel avenir pour le cirque ?

TMV Cirque Festival

Les plus anciens se souviennent de l’âge d’or du cirque en Indre-et-Loire. C’était au milieu du XXe siècle. De 1933 à 1972, Charles Spiessert, directeur du célèbre cirque Pinder, avait installé ses entrepôts dans son immense propriété de Chanceaux-sur-Choisille. Matériel et véhicules y étaient stockés et bricolés durant les longs mois d’hiver, alors qu’artistes et animaux y répétaient leurs prochains numéros. En début de saison, la troupe commençait immanquablement sa tournée à Tours, en plein centre-ville, place de la gare, attisant la joie et la fierté des habitants.

TMV Cirque Morallès
Lola et Gaston dans leur dernier spectacle « Qui sommes nous-je ? », actuellement en tournée.

C’est sur cette base que la Métropole tourangelle semble fonder son ambition de devenir une référence en la matière, grâce à son Festival International du cirque [qui a connu son lot de polémiques en raison de numéros avec des animaux, NDLR], dont la 2e édition s’est déroulée les 28, 29 et 30 septembre dernier.
« Selon moi, il y a quatre créneaux à développer pour favoriser le rayonnement et l’attractivité de la Touraine, explique Cédric de Oliveira, vice-président en charge des équipements culturels et de la communication de Tours Métropole. Ce sont les arts de la rue, le livre, la musique classique et les arts du cirque. » Et de poursuivre : « Les Tourangeaux ayant été bercés par les années Pinder, l’organisation d’un Festival international de cirque se justifiait. » Soit. Mais qu’en est-il du cirque les 362 autres jours de l’année ?

Certes, le secteur est dynamique sur le territoire. Enseignement et création sont assurés par plusieurs compagnies et familles circassiennes. Mais, comme l’économie de l’ensemble du secteur du spectacle vivant, voire de la culture, celle du cirque se fait raide comme le fil du funambule… La concurrence ne cesse de s’accroître – en France, le nombre d’artistes de cirque est passé de 71 en 1987 à 1107 en 2001 – alors que les aides publiques diminuent et que la diffusion reste limitée. La Famille Morallès, installée à Monthodon depuis 1970, en témoigne.
« Nous étions une compagnie d’une dizaine d’artistes, raconte Didier Mugica, alias Gaston. Aujourd’hui, nous sommes deux et présentons un spectacle dans une forme artistique plus contemporaine. Malheureusement, en Touraine, le cirque nouveau est très peu représenté. On tourne de plus en plus en dehors de la région Centre. C’est regrettable. »

De son côté, le cirque Georget, créé en 1982, fort d’une solide réputation départementale en termes de pédagogie circassienne, confirme. « Nous sommes une entreprise, explique fièrement Christelle Georget. On ne dépend de personne et ça a toujours été comme ça. Malgré tout, la conjoncture est très difficile. Nous ne recevons aucune aide. Ce qui nous sauve, c’est la fidélité de nos spectateurs. Ils reviennent d’année en année pour notre spectacle de Noël car ils apprécient le côté intime de notre petit chapiteau. »

C’EST QUOI CE CIRQUE ?!

Pour la compagnie tourangelle C Koi Ce Cirk, l’année 2018 a été fatale. Alors qu’elle enseignait le cirque à 3 000 enfants dans son école et au sein d’une vingtaine de structures socio-culturelles du département depuis 13 ans, alors qu’elle était débordée de travail et que ses listes d’attente n’en finissaient pas, elle a dû renoncer à son activité pédagogique et licencier ses cinq salariés en juin dernier, faute de moyens.

Les cours de l’école C Koi Ce Cirk se sont arrêtés en mars 2018. (Photo archives tmv)
L’année 2018 a été fatale pour les cours de l’école C Koi Ce Cirk… (Photo archives tmv)

Pour Ludovic Harel, son fondateur qui poursuit l’activité spectacle de la compagnie, le seul espoir pour faire vivre le cirque en Touraine, c’est de voir naître une vraie volonté politique. « Aujourd’hui, un budget colossal est engagé sur le festival international, pour 3 jours dans l’année. Alors qu’on pourrait créer un vrai lieu de pratique et de proposition artistique, avec les acteurs de terrain, pour une pratique quotidienne. »
Une ambition partagée par Didier Mugica : « Le territoire a besoin de lieux où l’on montre LES arts du cirque. Où l’on pourrait voir des spectacles traditionnels mais aussi d’autres formes plus contemporaines, plus difficiles d’accès. Car il existe un public pour ça. Un public qui s’intéresse plus à l’aspect culturel des choses qu’à la vente de popcorn, à qui on pourrait offrir autre chose que Pinder. »

Cette carte montre le manque des structures labellisées « Pôles nationaux cirque » par le ministère de la Culture. (Source : Ministère de la Culture)
Cette carte montre le manque des structures labellisées « Pôles nationaux cirque » par le ministère de la Culture. (Source : Ministère de la Culture)

Qu’à cela ne tienne. Cédric de Oliveira a l’ambition de « regrouper l’ensemble des compagnies locales au sein d’une infrastructure culturelle dédiée aux arts du cirque. Avec pourquoi pas une grande école internationale. » Malheureusement, l’idée semble traîner dans les tuyaux de l’agglo depuis bientôt 20 ans…

En attendant, les appétences de la Métropole se tournent davantage vers le côté clinquant du cirque. S’il est vrai que les deux éditions du Festival ont attiré 27 000 personnes au total, elles ont bénéficié d’un budget de communication faramineux : 300 000 € pour la première édition, dont 100 000 € pour la seule communication et 50 000 € pour la prestation achetée à l’entreprise privée Imperial Show, qui empoche donc l’ensemble des recettes de la fête.
Une opération sans intérêt selon Emmanuel Denis, conseiller municipal de l’opposition. « Pour se construire une identité, il faut certains ingrédients. Et ça commence par l’implication des acteurs locaux. On a de vraies compagnies de cirques ici. On aurait plus intérêt à capitaliser là-dessus, plutôt que de faire venir un show clé-en-main, qu’on verra ailleurs. »

Comme en Corse, qui accueille chaque année, depuis 8 ans, son Festival International de cirque, organisé par… Imperial Show. Et qui dit même organisateur dit mêmes numéros (à deux exceptions près), même présentateur, même orchestre et même plus grand chapiteau d’Europe…

Enquête : Jeanne Beutter

TMV Cirque Carte FFEC
Cette affiche représente le manque criant en Touraine.