On a testé : trois jours sans portable

La Journée sans portable commence le 6 février. Pour s’entraîner, la rédac (à peine accro) a mis au placard les smartphones… pendant trois jours. Argh.

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J-1 : LE DÉBUT DE LA FIN

Benoît. L’idée arrive : et si toute la rédaction arrêtait d’utiliser son portable ? Première réaction : « Ce serait marrant de voir si on arrive à tenir pendant 24 h ! » Tout le monde me regarde : « On pensait le faire pendant au moins deux jours, voire trois. » J’essaye d’argumenter : une journée, c’est suffisant pour se rendre compte que nous sommes tous accros ! Mais je laisse échapper une mauvaise foi qui indique ma crainte de me séparer de l’objet. Aurélien, grand compétiteur : « On verra celui qui tiendra le plus longtemps. » L’esprit d’équipe.
Matthieu. Trois jours sans portable ? Même pas peur ! Je suis serein : dans la rédaction, je suis le vieux, celui qui n’est pas né avec un téléphone dans son couffin, celui donc, qui doit pouvoir s’en passer le plus facilement. Et je les pousse, les jeunes, pour faire durer le défi le plus longtemps possible. Mais, pendant qu’on cause, mon iPhone vibre plusieurs fois. Un coup d’oeil à chaque fois, des mails qui tombent. Je checke : rien d’important. Je gère, j’ai mon doudou. Et il va falloir m’en passer pendant trois jours. Hum, hum…
Aurélien. « Mon téléphone, c’est comme mon string. Je l’ai toujours sur moi. » C’est Nabilla qui a sorti cette perle. Moi, c’est pareil. Bon, je ne porte pas de string hein (désolé de casser vos fantasmes). Mais c’est pour dire que je suis plutôt – presque – accro au portable. J’ai seulement envie de baffer les gens qui tapotent sur leur téléphone quand on leur parle. Pour le reste, mon mobile fait réveil, agenda, SMS, photos, internet… Un jour, il me fera même des tartines et des massages.

J1 : PREMIÈRES SUÉES

Aurélien. Ça a commencé… Sans portable, je me suis arrangé pour bidouiller un réveil automatique sur mon ordinateur. À la rédac’, je me moque gentiment de mes collègues. Ils ne tiendront pas ! Dans le tramway, tout le monde autour de moi pianote sur son smartphone. Ça m’agace. Au bureau, je reçois un message Facebook sur l’ordi (chut, dites pas à mon boss que je procrastine) : « Quand tu veux, tu réponds à mes SMS !!!! » Euh, comment te dire ? 19 h : je dois faire les courses. Ma liste était notée sur mon portable. J’ai la mémoire d’un poisson rouge atrophié du bulbe. Le soir, c’est vraiment difficile. J’adore envoyer quelques petits textos à des ami(e)s. Ce soir, c’est comme si j’étais seul au monde. La honte.
Matthieu. Autant le dire tout de suite : j’ai demandé une dérogation. Ben oui, parce que figurez-vous que le jour J, ben c’est mon birthday. Alors, forcément, mes fans en délire, mes amis de partout dans le monde, mes nombreuses admiratrices (j’ai le droit de me la jouer : c’est mon anniv’ !) bref, tout le monde va forcément m’envoyer un SMS. Impossible de rater ça ! Au final, j’en reçois au moins… huit. Oui, bon ben, c’est pas la quantité qui compte…
Benoît. Peu habitué à me séparer de mon mobile, j’oublie de prévenir mes proches du challenge, au moins ceux que j’ai régulièrement au téléphone. J’angoisse un peu. Et s’ils souhaitaient me joindre pour une urgence ? Plus la journée avance et plus j’oublie ce besoin d’être joignable à tout prix. Au bureau, je m’aperçois que je n’ai plus d’agenda. Je sors un petit bout de papier et commence à noter à l’ancienne, mardi, mercredi, jeudi… Aux personnes qui doivent me rappeler pour une interview, je laisse le numéro fixe de la rédaction. Et puis d’un seul coup, je réalise que j’ai rendez-vous le lendemain avec le propriétaire de mon appartement. J’ai oublié de fixer une heure. Je lui envoie un email en expliquant que mon portable est cassé… Il est maintenant 20 h. Je craque, appuie sur ON. Le vibreur résonne. J’ai reçu trois textos. Je les lis avec avidité. Rien de très important ni d’urgent.

Sans portable
(Photo Shutterstock)

J2 : PLUS D’EXCUSES !

Aurélien. Benoît a craqué ! Je le charrie. Je lance un mouahaha diabolique. Matthieu, lui, résiste (mouaiiis, je suis suspicieux.). Bizarrement, j’ai l’impression d’avoir mieux dormi cette nuit. Est-ce psychologique ? Les ondes ? Ça me fait du bien de laisser un peu de côté mon iPhone. Je me sens moins stressé. J’avais écrit deux-trois trucs sur le resto de la semaine sur la fonction notes du téléphone. Au moment de taper l’article, THE vide. « Argh, fais marcher ta mémoire… » Dans la foulée, une personne que je devais interviewer m’écrit par mail : « Bon, ben, je vous ai laissé un message sur votre répondeur… »
Benoît. J’avoue ma faute de la veille. Aurélien ricane. Il m’explique quand même son envie quasi maladive d’écrire un texto. Mon propriétaire ne m’a toujours pas donné d’heure pour le rendez-vous. Je l’attends pendant une heure. J’ai l’impression de retourner en 1998. Quand mon proprio sort de chez moi : « La prochaine fois, j’espère qu’il marchera. » Je dois retourner à la rédaction. J’ai envie d’y aller en bus, il pleuviote, d’écouter de la musique sur le chemin. Je m’aperçois qu’elle se trouve sur mon portable. Je renonce et préfère affronter la météo en vélo pour me distraire. Bizarre.
Matthieu. Bon, là, plus d’excuse. On s’y met vraiment. Et tout de suite, c’est moins drôle. Comment je fais, moi, pour dire à ma femme que ce soir, il faudra qu’elle pense à… Oui, bon, ça ne vous regarde pas. Mais comment je fais pour l’appeler, vu que tous mes numéros, ils sont dans mon portable et nulle part ailleurs, comme disait l’autre… Il est éteint, le truc, mais je le trimballe quand même partout. Il faut dire que, pour mon anniv’, ma fille m’a offert une nouvelle coque (elle trouvait l’ancienne vraiment trop laide…) Alors, il est là, avec sa belle robe Pantone Black, à me faire de l’oeil. Au bureau, je le tripote pendant les réunions. Quand je bute sur le début d’un papier, je voudrais regarder si des fois, je n’aurais pas reçu quelque chose d’important… Mais non, je tiens bon et je me remets au turbin…

J3 : IT’S THE FINAL COUNTDOOOWN

Matthieu. On s’y fait, finalement… Surtout quand on sait que c’est le dernier jour 🙂 Toujours cette sensation de passer à côté de quelque chose qui ne me lâche pas. C’est ça le plus dur, en fait. Abandonner cette illusion de connexion continuelle au monde. Savoir tout de suite. Recevoir dans l’instant. Répondre immédiatement. C’est ça, en fait, mon portable, pour moi. Pas un doudou, pas un gadget, une baguette magique pour figer le temps. Il m’a fallu le couper 72 heures pour m’en rendre compte. Mais ça valait le coup !
Benoît. Depuis trois jours, je cache le fait que chaque matin j’utilise le réveil du smartphone. Je n’en ai pas d’autres. C’est mon petit secret. Je me dis que ce n’est pas vraiment tricher. Au bureau, j’actualise ma boîte mail trop souvent. Même s’il est éteint, j’emmène mon portable au travail.
Aurélien. Dernier jour… je craque. J’allume mon portable le matin. Mais j’ai une excuse : ma belle-soeur doit accoucher aujourd’hui. Sorti de sa léthargie, l’iPhone vibre de partout et pète un plomb : SMS, mails, notifications… Mais rien de ma famille, j’éteins donc sans avoir lu un seul message (fier !). Rebelote à midi. Le doute m’habite. Pressentiment. J’allume, mon frère m’appelle dans la foulée : « Tu es tonton ! » Le ouf de soulagement. Et puis j’éteins de nouveau. L’esprit tranquille.

>> ALLER PLUS LOIN : L’interview de Phil Marso, créateur des Journées mondiales sans téléphone portable. 

Interview : Phil Marso, fondateur des Journées mondiales sans portable

Phil Marso, écrivain indépendant, a créé sa propre société d’édition Megacom-ik. C’est lui qui a lancé la Journée mondiale sans téléphone portable en 2001.

Phil Marso
Phil Marso

Comment vous est venue cette idée de Journée sans portable ?
En 1999, en tant qu’auteur de polar, j’ai écrit et fait paraître Tueur de portable sans mobile apparent, qui montrait les avantages et inconvénients du portable, sur un ton humoristique. Et je me suis dit : tiens, si on prolongeait cette idée ? J’ai donc eu cette idée de Journée mondiale en 2001. Pendant quatre mois, tous les soirs, je balançais des communiqués de presse tous azimuts aux médias français et étrangers. À ma grande surprise, c’est le Canada qui en a parlé en premier. Je n’ai pas voulu faire quelque chose anti-portables, c’est un débat de réflexion.

Cela commence le 6 février et se fait sur trois jours. Pourquoi le 6 février, au fait ?
Je voulais trouver une date rigolote, pour ne pas prendre de front les utilisateurs. J’ai pensé à la chanson de Nino Ferrer « Gaston y a l’téléfon qui son’… » Et la Saint-Gaston tombe un 6 février. Voilà ! (rires)

Chaque année, il y a un thème. Et pour 2015 ?
Ce sera l’environnement. Je pose la question de savoir quelle est la résonance du portable sur le climat. Ce qui serait bien, c’est que des scientifiques se penchent là-dessus. Il y a aussi la question des métaux utilisés pour la fabrication, le changement des portables, le recyclage…

En fait, c’est quoi le but d’une telle journée ?
Un peu tout ! C’est une réflexion sur un outil qui a bouleversé notre vie quotidienne. On est de plus en plus dépendants. Surtout avec les smartphones… Chaque année, je propose 29 questions pour un débat. Ce qui est bien, c’est quand elles sont reprises dans les collèges et lycées. L’an dernier, des établissements ont proposé aux élèves de déposer leurs téléphones le matin et ne pas les utiliser de la journée…

Justement, en quoi le téléphone portable a-t-il bouleversé nos codes sociaux ?
Au départ, il nous servait à appeler et recevoir des appels. Aujourd’hui, c’est un couteau suisse. Personnellement, je n’ai pas de smartphone, car je ne veux pas être dépendant. Ce matin encore, j’ai pris le métro : tout autour, les gens ont les yeux rivés sur leurs écrans !

Comparé au portable d’avant, le smartphone — et j’utilise de gros guillemets — c’est plus « risqué » ?
Du point de vue de l’addiction, oui. Car aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux : dès qu’on poste quelque chose, on veut tout de suite savoir s’il y a des réactions. C’est difficile de se déconnecter. Nous sommes dans une société où les relations sont différentes maintenant. Même si l’on fait des choses extraordinaires avec ces téléphones. Au niveau de la santé, aussi… Il faut avoir les bons gestes, ne pas mettre le smartphone sous l’oreiller.

Mais vous n’êtes pas anti-portable…
Exactement. Je dis juste qu’il faut maîtriser l’outil en imaginant un espace-temps de repos. On rentre chez soi le soir : hop, on met le portable de côté.

Propos recueillis par Aurélien Germain