Mohamed Boumediene, de Chrétiens Migrants : « L’espoir partira seulement quand je serai mort. »

#EPJTMV Dans l’association Chrétiens migrants au cœur du quartier Sanitas, Mohamed Boumediene est devenu indispensable. D’abord aidé par les bénévoles, il s’est ensuite engagé pour soutenir les réfugiés.

Quel a été votre parcours de vie jusqu’en France ?
Mon père était officier de police en Algérie, mais il nous a toujours dit de ne pas entrer dans l’armée ou dans la police. Moi, je n’aimais pas le système corrompu. J’ai reçu des menaces là-bas, et mon pays sortait à peine de la guerre civile. Je suis arrivé en France en 2004.
Je voulais avoir une vie meilleure. Je suis d’abord passé par Reims, puis j’ai été accueilli près de Chinon. En 2012, je suis venu à Tours et mon frère, qui était déjà installé en France, m’a orienté vers l’association. J’ai rencontré Rose-Marie Merceron, la bénévole qui m’a accueilli et, comme elle avait besoin d’aide, je suis resté. J’ai toujours voulu aider les autres, c’est dans ma nature.

Comment se passe votre engagement quotidien au sein de Chrétiens migrants ?
J’accompagne les migrants qui viennent trouver refuge ici. Je sers de traducteur pour remplir des papiers administratifs. L’association avait besoin de quelqu’un qui puisse aider les arabophones qui viennent d’Irak, de Syrie, du Tchad, du Soudan, de Libye ou encore d’Algérie. Je remplis les dossiers de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, NDLR), je les accompagne à la préfecture, à l’hôpital…
En contrepartie, je suis logé par l’association, qui met à ma disposition un petit appartement. Je fais aussi la vaisselle. Il y a entre vingt et trente personnes qui sont logées par l’association, parfois des familles entières.

Que pensez-vous de la situation dans votre pays d’origine ? Vous voyez-vous retourner en Algérie ?
J’ai définitivement fait une croix sur l’Algérie. Je n’y retournerai plus. Je suis plus utile ici. J’ai de l’espoir mais je ne sais pas vraiment comment les manifestations vont se terminer.
L’espoir, il partira seulement quand je serai mort. La jeunesse porte les espérances du peuple, mais il faut du temps pour changer ce système. Tant qu’ils manifestent par centaines de milliers, on peut y croire. Après tout, l’Algérie est un pays riche, il faut juste arrêter toute cette corruption.

Bastien David, étudiant à l’Ecole publique de journalisme de Tours (EPJT)

Ex-hôtel Liberté : des relogements

Pendant l’été, EDF avait coupé l’électricité à la résidence Liberté. Suite au tollé, des relogements ont été prévus. Qu’en est-il maintenant ?

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Le conflit dure depuis le 29 juillet. Pendant les vacances, les occupants de l’ex-hôtel Liberté à Tours Nord avaient été privés d’électricité, suite à un différend qui opposait le propriétaire de cette résidence à EDF et Enedis, en raison d’impayés. Un nouveau point a été fait, à propos du sort des occupants.
Un communiqué commun de la préfecture et du conseil départemental a donc précisé qu’à ce jour, « 85 personnes ont été identifiées comme officiellement logées à la résidence Le Liberté ». Si la plupart ont été relogées ou sont en instance de réorientation, la quinzaine de personnes logées par Chrétiens Migrants sont encore dans le flou. L’asso louait en effet plusieurs studettes à des demandeurs d’asile et des familles vivant dans la précarité.
La situation des enfants et de leurs parents sera réétudiée, a promis le département. Mais « les autres occupants ne sauraient être considérés comme devant être relogés et il a été demandé à l’association d’organiser leur sortie rapide de la résidence », précise la préfecture.

Reportage : au cœur de Chrétiens migrants

Depuis 1997, l’association tourangelle Chrétiens migrants aide les sans-papiers dans leurs démarches, le logement et la nourriture.

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Un immeuble en plein cœur du Sanitas, au rez-de-chaussée. Derrière la porte, une file d’attente est déjà formée. Dans le bureau, Rose-Marie est penchée sur une feuille qu’elle s’applique consciencieusement à remplir. Bénévole depuis 15 ans dans l’association à Chrétiens migrants, elle aide tous les jours des dizaines de personnes avec leurs problèmes administratifs. Elle décrypte pour eux les démarches souvent compliquées à réaliser. Demande d’aide, trouver un logement, arrivée en France, rendez-vous à la préfecture, conseil pour trouver une formation, elle est au centre de l’avenir de centaines de familles à Tours.

Devant elle, Bandele *, 17 ans : ce Burkinabais a fui son pays voilà plusieurs années. Il a atterri en France en 2015. Ensemble, ils retracent son parcours à travers l’Afrique pour faire la demande d’asile. Le jeune homme donne des détails, les mois qu’il a dû passer à travailler dans la maçonnerie avant d’avoir assez d’argent pour continuer. Rose-Marie retranscrit les noms de pays, les dates, pose des questions pour essayer de rendre la demande de son parcours le plus claire possible. Autour d’elle, s’amoncellent des piles de dossiers roses, verts, marrons… Chaque personne qui passe dans son bureau a droit au sien. Pas d’ordinateur, un simple téléphone permet à Rose-Marie de travailler. Elle se rappelle de tout, des noms des réfugiés, des procédures, des circulaires. Au bout de 20 minutes, Bandele repart.

La bénévole plie les feuilles avant de les introduire dans une enveloppe qu’elle enverra à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans le couloir, ça se bouscule un peu, un des visiteurs prend des bouts de papiers disposés dans un coin du bureau sur lesquels sont inscrits des chiffres. Il les distribue dans l’ordre d’arrivée, pour éviter les malentendus. Deux hommes rentrent dans le bureau : « On aimerait être conseillés pour une sortie de prison. » Rose-Marie : « Ah non, je ne m’occupe pas de ça. Attendez, je vais vous donner le numéro de portable de la personne qui pourra vous aider. » Elle ouvre un des répertoires disposés à côté d’elle, écrit le numéro et donne le bout de papier.
Son téléphone sonne. « Oui ? C’est qui ? Bonjour ! ça va ? Pas de problème, passez vendredi, demain je ne serai pas là le matin. Très bien. » Pas de mots inutiles. S’avance alors, vers elle, un garçon. Il s’exprime difficilement en français : « Ma maman ne peut pas venir, elle est très fatiguée. » Il sort de son sac à dos un classeur et en sort des ordonnances. « D’accord, tu dois aller chez l’opticien pour acheter ça. Hum. Je peux vous accompagner samedi, mais pas avant. Tu le diras à ta maman. » Elle répète à plusieurs reprises la phrase. Le garçon acquiesce au bout d’un moment. Il est 15 h et la file d’attente s’allonge encore.