L’écolieu, une résistance tranquille

#EPJTMV À la rencontre de la permacultrice Agnès Robineau à l’écolieu La Forêt, situé à une quarantaine de kilomètres de Tours, pour en apprendre plus sur ce concept singulier.

Perdu entre les champs de monoculture de la Bossée, en Touraine, l’écolieu La forêt détonne. Cette ferme biologique, organisée selon le principe de la permaculture et de la biodynamie, est cultivée par Agnès Robineau depuis 2014.

Ici, une grande bâtisse vieillissante trône au milieu d’un terrain où s’entremêlent animaux et objets hétéroclites : un vélo à dynamo qui produira bientôt de l’électricité, un générateur d’énergie, un récupérateur d’eau, des poulaillers en matériaux recyclés,… L’immense propriété accueille plusieurs espèces animales (vache, chèvre, dindons, canards, moutons, etc.) et végétales qui cohabitent en totale harmonie. Les chiennes du domaine courent derrière les canards qui tentent des esquives de dernière minute, sous les regards désintéressés des chats qui se prélassent.

Utiliser l’héritage des anciens

« La ferme se développe comme une société matriarcale. Les femelles,
indépendamment de la race, protègent et élèvent tous les petits. J’ai même une pigeonne qui a été élevée par mes chiennes. En retour, elle a élevé un de mes chats ! », explique Agnès de sa voix forte. Une formule qui fonctionne bien, en témoignent les animaux qui se promènent librement sur la propriété.

Le principe de la ferme est simple : utiliser l’héritage des anciens. Agnès jardine en fonction des cycles lunaires et des connaissances modernes pour cultiver. Petite déjà, elle aidait ses grands-parents dans la ferme familiale. C’est de là que lui vient son intérêt pour la terre et c’est son enfance qui a forgé sa singulière perspective de la vie. « Lorsque les Allemands occupaient la France, ils réquisitionnaient toutes les bêtes qui aidaient à la ferme, comme les bœufs et les chevaux. Mes grands-parents se sont tournés vers les plantes sauvages pour se nourrir. Ils ont dû réapprendre à les cuisiner, comme le faisaient nos ancêtres. »

Agnès s’est également construite en totale opposition avec l’enseignement qu’elle a reçu au lycée agricole des Fondettes. « L’agriculture intensive et le programme scolaire agricole, tel que défini par l’enseignement national, ce sont des conneries », martèle-t-elle. Une vision que partage le jars Merlin -l’un des rares mâles de la propriété- qui cacarde en approbation, niché dans les bras d’Agnès.

La cultivatrice ne fait pousser que des légumes rustiques et anciens (plus résistants aux maladies que les légumes que nous consommons habituellement) aux côtés des plantes sauvages qu’elle à su apprivoiser. Les animaux de la ferme sont, eux aussi, adaptés au climat et à la typologie du lieu, toujours dans une recherche de synergie.

D’après Agnès, la nature communique avec celles et ceux qui lui prêtent une oreille attentive : « L’hiver de 2019, juste avant l’épidémie de Covid, j’ai remarqué que de l’Ail des ours et de la Reine des prés proliféraient de nouveau dans les bois, alors qu’il n’y en avait pas les années précédentes. Ces deux plantes remplacent l’aspirine et aident à lutter contre les douleurs articulaires. J’ai compris qu’une grosse maladie arrivait ».

Une vision particulière qui sonne un peu folle pour des oreilles citadines. Ses deux amies, Élisabeth Renoux et Chantal Denize, venues lui rendre visite, racontent. « On s’est rencontrées via Facebook. Un jour, j’étais dans le coin et je suis passée la voir. Je me suis retrouvée à cueillir de l’Achillée millefeuille. Avec les doigts. Pour ne pas agresser la plante, sur les recommandations d’Agnès. Je l’ai prise pour un extraterrestre au début, mais j’ai rapidement été séduite par cette idée de communion et de synergie avec la nature », explique Elisabeth.

« Lorsqu’une plante est prête à être cueillie, elle se coupe facilement. En le faisant avec vos mains, vous limitez la transmission de maladie », ajoute Agnès. Les trois copines, attablées dans le salon, échangent de vieilles anecdotes, pendant que le poêle à bois enveloppe la pièce de chaleur.

Une formation solidaire et conviviale

Élisabeth est une ancienne élève d’Agnès, tout comme Chantal. L’agricultrice leur ouvre volontiers sa porte pour partager son savoir-faire. Sa porte, Agnès l’ouvre à toutes celles et ceux désireux.ses de changer de mode de vie. La matriarche de la ferme propose des formations sur le principe de l’échange de service, pour mieux connaître les plantes sauvages, comestibles et médicinales. Elle a hébergé plusieurs stagiaires (lycéens en formation agricole, woofers, simples curieux) à de nombreuses reprises. « C’est un public très féminin la plupart du temps. Il y a aussi beaucoup de
teufeurs. On se demande pourquoi », ironise-t-elle.

Avec le bouche-à-oreille, Agnès croule sous les demandes de stages, notamment de la part des lycéens agricoles, désireux de bifurquer des techniques de productions intensives, qui empoisonnent les sols à grands coups de pesticides. Elle maintient le contact avec tous les élèves qui sont passés par sa ferme : « Une fois qu’ils suivent mes formations, mes élèves prennent de nouvelles habitudes. Lorsqu’ils se baladent en forêt, ils prennent systématiquement un sac pour ramasser des plantes sauvages pour les macérats, confitures et décoctions. »

En France, et partout ailleurs dans le monde, l’idée d’une agriculture et d’un élevage respectueux de la nature fait son petit bout de chemin, notamment chez les jeunes, comme l’atteste le discours des diplômés de l’AgroParisTech en mai 2022. Tandis que les écolieux poussent comme de la mauvaise bonne herbe, leurs équivalents plus radicaux, les ZAD, font parler d’elles dans les
médias.

Alors si vous vient l’idée, un peu folle, de vous échapper ou de changer votre histoire, passez faire un tour du côté de La Forêt. « Nous n’avons plus le choix. Nous devons nous retrousser les manches et mettre les mains dans le cambouis », conclut Agnès.

Texte : Camélia Aidaoui, journaliste en formation à l’Ecole publique de journalisme de Tours

« À la Cour, les chats sont rois »

#EPJTMV Depuis 2021, Perrine Courrejou, 23 ans, et son père Régis, 54 ans, tiennent leur commerce : un café-chat. L’une n’était plus intéressée par ses études de droit, l’autre avait perdu son emploi à cause de la pandémie. La Cour des chats leur a permis de se rapprocher autant physiquement qu’émotionnellement.

Discrètement situé au cœur de la rue Gambetta, entre un magasin de vélos et un hôtel, un troquet accueille quotidiennement sa fidèle clientèle dès 10 h 30 du matin. Le café pourrait presque passer inaperçu avec sa devanture aux dessins minimalistes. Et pourtant, à 11 heures tapantes, toutes les tables sont occupées. La raison de ce succès ? Des petites boules de poils se prélassent derrière la vitrine et séduisent les passants qui n’hésitent pas à pousser les portes du café.

La « Cour des chats », c’est une histoire de famille. Au comptoir, Perrine et Régis, un père et sa fille, gèrent les commandes. L’idée a germé en 2021, alors que Perrine suivait tant bien que mal des cours en distanciel – Covid oblige. De son côté, Régis avait perdu son emploi suite à la pandémie. Tous deux décident d’ouvrir un nouveau chapitre de leur vie et de se reconvertir professionnellement. D’abord méfiant à l’égard de ces petites bêtes, Régis a finalement succombé. « Il en est complètement gaga et en a cinq à la maison », confie Perrine.

Les deux propriétaires sont sur le qui-vive dès 7 h 30 du matin. Ils sont arrivés tôt, pour nettoyer le café et préparer les pâtisseries faites-maison (miam  !), à base de produits locaux : « Selon la saison, on propose différents gâteaux : en été, ce sont des tartes aux fraises et en hiver des cinnamon rolls », explique Perrine. Si vous êtes patients (et chanceux), peut-être qu’un chat viendra se nicher sur vos genoux pour quémander une caresse ou deux.

Le bien-être de leurs animaux est ce qui compte le plus pour Perrine. En entrant dans le café, quelques règles sont à respecter et on comprend bien que les chats sont les rois des lieux. Ils y sont totalement libres. Les animaux sont chouchoutés et dorlotés par leurs propriétaires et par la clientèle.

Depuis l’ouverture de la « Cour des chats », une centaine de matous ont déjà flâné entre les tables en bois du café ou se sont prélassés sur les nombreux perchoirs accrochés aux murs. Pour Perrine et Régis, les chats n’ont pas uniquement vocation à attirer le client. Père et fille ont travaillé longtemps en tandem avec plusieurs associations pour trouver une famille aux chats qui vivaient à temps plein au café. Seulement, cette recette gagnante a été victime de son succès. Les associations, qui s’occupaient du processus légal d’adoption, se sont rapidement retrouvées submergées par les demandes et n’ont pas pu suivre la cadence.

Perrine et Régis ont dû s’adapter. Ils sont actuellement à la recherche d’une association en capacité de traiter un nombre conséquent de demandes d’adoption. Mais les quatre chats (Taka, Topaze, Thanos et Tchoupi), qui passent aujourd’hui leurs journées au café, font officiellement partie de leur famille. Une fois la journée de travail terminée, ces matous repartent au domicile de leurs propriétaires pour une nuit au calme.

De temps à autre, les adoptants des anciens chats du café donnent des nouvelles de leur petit félin à Perrine et Régis sur Instagram. Pour l’instant, le café compte un peu plus de 4 500 abonnés sur ce réseau social. Pas mal pour des chats !

Texte : Camélia Aidaoui et Louise Monard-Duval, journalistes en formation à l’École Publique de Journalisme de Tours

Vidéo : Roméo Marmin

Photos : Mathilde Lafargue et Roméo Marmin