Portraits : Visages de réfugiés

Sans papiers, migrants, étrangers… Au-delà des mots, il y a des histoires de vies compliquées, pleines de souffrance, d’espoir et de beaucoup de courage.

doss1

Alakeel : fuite vers l’avant
Costume et belle chemise blanche, Alakeel se présente avec une poignée de main ferme, le regard assuré. Il aime parler et s’exprime dans un anglais impeccable « parce qu’en français, les mots ne seraient pas aussi précis ». Alakeel vient de Syrie. Il enregistre la conversation afin que ses propos ne soient modifiés et lance laconiquement : « Je n’aime pas les médias. » Réfugié politique, il vient de recevoir son autorisation en France il y a quelques jours. Il est arrivé à Tours en mai 2014, son frère était déjà là. L’histoire d’Alakeel, c’est avant tout celle d’une famille éclatée aux quatre coins du monde, en Allemagne, en Egypte, aux États-Unis, en France. « Mon père a écrit plusieurs livres, plusieurs membres de ma famille sont artistes. Ma famille avait une certaine place dans la société syrienne. Pour cette raison, on nous a accusés d’être proches du pouvoir mais aussi des rebelles. » Paradoxe. Lui a étudié pendant plusieurs années à l’université. Il en est ressorti infirmier : « J’aime être proche des gens, leur apporter une parole, laisser une trace. » Après plusieurs années à travailler dans un hôpital, l’armée le réquisitionne dans une équipe de soin dédiée. « Pendant neuf mois, je ne pouvais plus sortir du bâtiment, je dormais sur place et je travaillais la journée. »
Un jour, on l’affecte aux ambulances. Il sait qu’il a une chance de fuir et la saisit lors d’une intervention à l’extérieur de la ville. Commence alors un périple au Moyen-Orient qui le mène, au bout de plusieurs mois, à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Son frère, installé à Tours depuis peu, lui conseille de venir. « Vu la situation en Syrie, tout le monde souhaiterait partir du pays. » Une fois sur place, impossible pour lui de rester avec son frère et sa femme, trop à l’étroit dans le petit appartement. Alors il se résout à vivre dans un foyer jusqu’à ce qu’il se rende compte que celui avec qui il partageait la chambre était schizophrène. « Je connaissais très bien cette pathologie pour l’avoir étudiée à l’hôpital où je travaillais. J’ai alerté les responsables pour qu’il soit soigné, mais ils n’ont rien fait. » Il part, fait connaissance avec des étudiants syriens, dort dans un appartement un soir ou passe la nuit sur un banc du jardin botanique. Il ne se plaint pas, serre les dents et vous regarde droit dans les yeux.
Ce qui le fait avancer, c’est l’ambition. « Maintenant, je dois avoir un niveau de français élevé, passer mes équivalences d’infirmier et je pourrai travailler, retrouver une vie confortable. »

Gazik, Karen, Alina et Ishkhan : famille soudée
Il pleut des cordes, Alina attend sur le perron de la petite maison quartier Blanqui. Voix douce, gestes mesurés, elle invite à s’asseoir sur le canapé du salon. La pièce est décorée avec soin, seuls quelques meubles sont disposés dans l’immense pièce. C’est au tour d’Ishkhan de rentrer.
Son mari lance un bonjour cordial et s’assoit sur l’unique fauteuil. Alina revient alors chargée de choux à la crème, de thé brûlant. Derrière elle, ses deux fils, lycéens, Gazik et Karen. Première question sur leur pays d’origine, l’Arménie, première réponse d’Amina : « Mangez d’abord, on parlera ensuite. » Pudeur ? L’explication arrive un peu plus tard dans l’entretien : « Les premières fois où nous avons mangé avec une autre famille française, nous avons tous été surpris : tout le monde parlait en mangeant. En Arménie, il y a un temps pour le repas et un autre pour les discussions. » C’est Ishkhan qui est arrivé le premier en France. Il ne veut pas raconter la raison qui l’a poussé à quitter son pays. Trop de souffrance. Arrivé en 2009, il est placé au Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Joué-lès-Tours. Il ne peut pas travailler, alors pour s’occuper l’esprit et les mains, il fabrique des monuments en allumettes. Il se lève, fouille dans une petite commode et en sort fièrement un article de journal où il pose fièrement avec une impressionnante reproduction de la Tour Eiffel. Alina, Gazik et Karen le rejoignent quelques mois plus tard.
Les deux adolescents ne parlent pas un mot de français. « On est arrivé au milieu du collège, se rappelle Karen, le plus jeune frère. On parlait bien le russe, ce qui nous permettait de discuter avec d’autres élèves venant de pays de l’ex-URSS. Mais très vite, on a exigé de parler français avec nos copains, pour pouvoir s’améliorer en classe. » La barrière de la langue est un lointain souvenir maintenant pour les deux adolescents qui jonglent entre l’arménien à la maison et le français sans vraiment s’en rendre compte. « Entre frères on parle surtout arménien, sauf quand il s’agit de discuter de foot, là le français devient naturel. » Pour Karen et Gazik, les deux cultures n’ont pas vraiment de frontière, ils vont et viennent entre les deux. L’école leur a permis de vite se sentir chez eux. Leurs parents, eux, se sont tournés d’abord vers leur foi : « Nous faisons partie de l’Église apostolique, majoritaire en Arménie ; suivre une messe catholique nous plaît, sourit Amina. Très vite, nous sommes allés à la cathédrale de Tours. Nous connaissions les gestes qu’il fallait faire, mais nous n’avons rien compris. » Elle rigole avec Ishkhan qui poursuit en arménien, Gazik fait la traduction : « Petit à petit, nous sommes venus aux cours de français organisés par le presbytère. Nous avons rencontré le père Jacques Legoux et nous avons sympathisé avec des familles françaises. C’est le diocèse qui nous prête ce logement. Il nous a aidés à en arriver là. » Aujourd’hui, Ishkhan avoue parler de sa situation plus facilement, il vient de recevoir sa carte de séjour européenne. Il peut désormais travailler en France. « Oui, l’Arménie nous manque, explique Alina. Mais nous souhaitons rester en France pour nos fils. Leur vie est désormais ici. »

Image6

Tenzin* : freedom
Il regarde timidement Nikole, sa professeure de français à la Croix- Rouge. Tenzin est Tibétain. Pour être rassuré pendant l’interview, il a demandé à être accompagné par une de celles qui l’ont aidé en France. Il est arrivé l’année dernière, laissant derrière lui sa femme et ses deux enfants. Dans son village au Tibet, Tenzin était peintre pour des objets de l’artisanat local. Mais le besoin de nourrir sa famille l’a aussi mené avec sa compagne à travailler dans les champs de maïs, ramasser des pommes de terre ou arracher des haricots verts. À mesure que son appréhension diminue, son français devient de plus en plus limpide. Quand il ne sait pas dire un mot, il le trouve en anglais. « Au Tibet, les militaires chinois nous empêchent d’être libres, raconte Tenzin. Impossible pour nous d’avoir une photo du Dalaï Lama chez soi ou sur son portable sinon, direction la prison pour cinq ou six ans. On peut vous arrêter dans la rue sans raison et vous fouiller.
Régulièrement, l’armée faisait des recherches surprises dans les maisons du village. Un jour, un ami très proche s’est fait arrêter, j’ai eu peur d’aller en prison à mon tour. » Il explique avec fébrilité son long périple vers le Népal, le repos de jour et la marche la nuit. Une fois en France, il rencontre un homme par hasard à la gare Austerlitz qui lui conseille d’aller à Tours. Il prend un train. « Pourquoi la France ? Parce que c’est le pays de la liberté. Au Tibet, cela a beau être notre maison, notre terre, nous ne sommes pas libres. » Aujourd’hui, il vient de recevoir son statut de réfugié politique. Il peut travailler mais doit d’abord s’améliorer en français. Alors il étudie sans relâche. Nikole : « Il apprend vite. Il est animé par le désir de pouvoir gagner assez et faire venir sa femme et ses enfants réfugiés en Inde. » Avant de partir, Tenzin joint les deux mains. « Surtout, n’oubliez pas de remercier la France et la Croix- Rouge dans votre article pour tout l’aide qu’ils m’ont apportée. »

* Le prénom a été changé

Laisser un commentaire