Les petites entreprises aussi touchées par l'illectronisme ?

Pourtant indispensable pour les structures commerciales, Internet n’est pas forcément prioritaire pour les TPE.

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L’illectronisme concerne aussi l’économie locale. Et particulièrement les TPE. Internet et les nouvelles technologies ont pris une place importante dans la vie des petites structures. « Regardez le nombre de personnes qui consultent sur internet les horaires d’ouverture d’un commerce de proximité. Si elles ne trouvent pas l’information, il y a des chances qu’elles n’y passent plus, constate Yves Massot, 1er vice-président de la CCI Centre. Si ces commerces ou ces petites entreprises ne prennent pas en compte les nouvelles technologies, ils s’isolent, petit à petit. Quand je rencontre des commerçants qui n’ont pas encore franchi le pas, je leur explique qu’être présent sur internet ne va pas leur faire augmenter leur chiffre d’affaires, mais qe cela va, au moins, l’empêcher de baisser systématiquement. »
Même constat pour Sébastien Huillet à la tête d’une agence web tourangelle, Tribut and co : « L’illectronisme, c’est aussi un phénomène qui existe dans les petites entreprises locales. Dans les budgets, toujours un peu serrés, la création d’un site internet, c’est toujours la cinquième roue du carrosse. Surtout quand la personne n’y est pas sensibilisée. » L’Observatoire de Touraine s’est penché en 2012 sur l’usage d’internet dans les entreprises dans le commerce. À Tours, elles sont 68 % à posséder un site web. Le chiffre évolue en fonction de la taille des entreprises. « Aujourd’hui, les entreprises avec plusieurs employés ont pris le sujet en main, explique Sébastien Huillet. En revanche, les toutes petites structures ne sont, pour la majorité, pas sur internet. » Pour celles qui ont moins de 10 salariés, le chiffre tombe à 62 %.
« Les plus curieux et les plus sérieux s’y mettent facilement »
Seulement, en France, selon Médiamétrie, le nombre de consommateurs sur le net est en constante augmentation. De 2010 à 2013, ils sont passés de 25 à 32 millions. Cette année, la hausse est de 5 %. « Les petits commerces, entre autres, n’ont pas forcément besoin d’avoir un site internet, parfois, une simple page Facebook peut suffire, note Yves Massot. Mais les commerçants ont souvent du mal à faire le premier pas parce qu’ils ne possèdent pas les clés techniques. » Et quand elles le font, ces TPE s’adressent en majorité à un prestataire extérieur. Pour les plus petites structures, le manque de connaissance des entrepreneurs dans le domaine des nouvelles technologies peut parfois les mettre dans des situations financières inconfortables. « J’ai parfois des clients qui viennent me voir complètement dégoûtés, après avoir signé un contrat avec une entreprise qui vend des sites tout faits, témoigne une graphiste web. Peu scrupuleux, ces prestataires jouent parfois sur la crédulité des commerçants ou des entrepreneurs pour vendre des sites qu’ils payent chaque mois, au forfait. Au bout du compte, les contrats sont tellement désavantageux que le nom de domaine ne leur appartient même pas. »
Sébastien Huillet rencontre également, ce manque de connaissances de certains patrons de petites entreprises. « Je vois arriver des entrepreneurs qui, sur le conseil du beau-frère, ont envie d’ouvrir un site internet, raconte Sébastien Huillet. Certains d’entre eux n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent ni des coûts que cela engendre. Ensuite, quand nous leur demandons les outils qu’ils veulent si c’est une e-boutique ou les fonctionnalités d’un site internet, ces personnes ne comprennent pas. Mais, il ne faut pas généraliser, les plus curieux et les plus sérieux s’y mettent facilement. » En 2007, la CCI a lancé le site internet achattouraine. com pour aider les petits commerces sur internet. Ce portail recense les 9 500 adhérents de l’Indre-et-Loire. « Quand une personne nous appelle pour améliorer sa fiche d’identité sur l’annuaire, c’est une porte d’entrée, se réjouit Yves Massot. C’est un bon moyen de leur montrer ensuite qu’un commerce in situ ne suffit plus aujourd’hui, qu’il faut se mettre au diapason des consommateurs qui comparent, cherchent, s’informent sur les produits. »

Illectronisme, de @ à z

Tablettes, 4G, haut-débit. Un langage inconnu pour certains adultes. Pour eux, c’est difficile de raccrocher les wagons… mais indispensable.

illectronisme

Ses doigts touchent le clavier avec hésitation. Elle s’inquiète de réussir l’exercice et de poursuivre son apprentissage. « Ah, mais pourquoi il me met incorrect ? » À 68 ans, Roberte a décidé de suivre des cours, avec les ateliers de l’Espace public numérique (EPN) de Tours. Bureautique, internet, la sexagénaire apprivoise les outils numériques. Elle se corrige finalement toute seule. « C’est parce que je l’ai mis en majuscules ! », s’exclame- t-elle. Heureuse d’avoir identifié son erreur. Roberte est une illectronique. Une personne qui n’a aucune base dans l’utilisation des outils numériques. Près de 15 % de Français seraient touchés par l’illectronisme, selon le Ministère délégué à l’Économie numérique. Aux côtés de Roberte, Geoffrey Lebert, animateur à l’EPN de Tours. Il écoute, explique, passe slide sur slide grâce à son logiciel de présentation. « Les inscrits à nos cours sont principalement des personnes âgées, des demandeurs d’emploi », décrit-t-il.

Retraités mais pas que…
Un discours confirmé par des chiffres. Près d’un retraité sur deux ne possède pas d’ordinateur (48 %). « Ce n’est pas notre génération, on n’a pas vécu avec ces machines », explique Jacqueline*, 77 ans, ancienne enseignante à Saint-Pierre-des- Corps. Elle s’est décidée à franchir le pas numérique il y a quatre ans. « Beaucoup de personnes âgées se sentent débordées par une technologie qu’elles ne comprennent pas », renchérit Benoît Thibault, référent à l’EPN de Chambray-lès-Tours. Il voit une « forme d’inégalité », conscient que la fracture numérique reste une réalité et une source d’exclusion. 43 % des non diplômés n’ont pas accès à internet à domicile, tout comme 47 % des personnes disposant d’un revenu inférieur à 900 euros par mois, selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).

Assise confortablement dans un fauteuil de son appartement à Saint- Pierre-des-Corps, Jacqueline parle de ce qui la poussait à ne pas utiliser ces appareils. « Je n’en voyais pas l’utilité », lâche-t-elle laconiquement. Aujourd’hui, elle est la première à répondre à des mails de son association. La rapidité des évolutions freine également certains non-utilisateurs à prendre la souris. « Ce que vous apprenez peut être remis en cause le lendemain, c’est un problème pour beaucoup », analyse Benoît Thibault. Une complexité qui a rebuté Priscilla, 31 ans, en recherche d’emploi. « Quand on ne sait pas, on peut avoir une forme de honte. Et on se met des barrières », juge-t-elle, devant l’ordinateur de l’EPN de Tours, attentive aux consignes de l’animateur. 41 % des non-utilisateurs pointent la complexité en premier frein à l’usage d’internet, d’après le Crédoc. En revanche, l’argument du coût n’a jamais été aussi bas. Seuls 12 % des personnes n’ayant pas internet le mentionnent. « Quand on veut s’y mettre, on peut », juge Geoffrey Lebert. Ceux qui rament avec leurs écrans sont conscients de la nécessité d’être connectés. « Ça devient indispensable », estime Marie-Josée, 66 ans, qui note avec application les noms des différents navigateurs.

Un monde de plus en plus complexe
Pour les plus âgés, il y a d’abord l’envie de rester branchés avec leurs familles. Et notamment, leurs petits-enfants, toujours le smartphone scotché aux mains. « Je leur envoie des mails et c’est vrai qu’on utilise moins le courrier postal », annonce fièrement Jacqueline. Lucide également sur l’évolution de la société. Banques, administrations, entreprises : la transition vers le numérique est amorcée depuis plusieurs années. « Avec un organisme, on a été obligé de passer au mail, mais j’imprime toujours ce qu’on m’envoie », note-t-elle, encore attachée au papier. Tous constatent les bienfaits du web. « On va plus vite. Je l’utilise beaucoup pour aller consulter mes comptes », se réjouit Marie-Josée. Priscilla complète : « Je n’ai pas besoin de me déplacer à la CAF ou à Pôle Emploi ». Pour elle, la recherche d’emploi passe obligatoirement par le net. Envoyer des CV, trouver des employeurs, de nouveaux horizons. Une stratégie salutaire selon Benoît Thibault. « Beaucoup pensent que tout va s’enclencher une fois le CV posté sur Pôle Emploi. Mais ce mode de recherche n’est plus bon. Il faut aller plus loin », raconte l’animateur, qui aide ponctuellement des chômeurs à l’EPN.

EPN, what else ?
Près de 5 000 EPN ont été mis en place en France, dont 15 à Tours. La lutte contre la fracture numérique reste longue à mener. Les méthodes n’enchantent pas tous les illectroniques. « Quand on parle de travail en groupe, on peut avoir des niveaux trop différents, et il y a parfois un manque de pédagogie », constate Jacqueline. Surtout, les EPN accueillent des individus en demande. Les publics les plus réfractaires au numérique ne sont pas touchés par ces ateliers. Benoît Thibault plaide pour une stratégie plus globale : « Il faudrait aller plus vers eux. Être dans leur quartier pour les initier. »

* Le prénom a été changé.