l'Artothèque, de l'art chez soi

Une association tourangelle a décidé d’aider une trentaine d’artistes locaux de manière originale : tout le monde emprunter une des œuvres d’art de leur catalogue, et l’exposer à la maison.

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Au milieu de la salle, des petites tartes au citron attendent d’être dégustées sur la petite table basse. Dehors, le ciel de fin d’après midi s’assombrit. La façade de la mairie de Saint-Avertin, de l’autre côté du parking, reflète la lumière déclinante. À l’intérieur de l’Artothèque, les lampes halogènes prennent le relais et éclairent les murs de ce local niché sur la place de la Marne. Trois artistes papotent de la prochaine exposition qui aura lieu en décembre. Sur les murs, des dizaines et des dizaines d’œuvres sont accrochées. Elles sont là pour être empruntées par les adhérents.
Justement, dans un coin de la pièce, Agnès regarde, s’arrête, prend un tableau, le repose, soupèse un autre. Elle hésite. « Mon mari m’a demandé des couleurs bien spécifiques, c’est une contrainte supplémentaire, » rigole l’adhérente. Chaque semestre, cette Tourangelle vient à l’Artothèque redonner une œuvre et passe un peu de temps avant d’en choisir une autre qu’elle ramènera. Aujourd’hui, elle hésite vraiment. Elle flâne dans la pièce depuis une heure. « J’imagine quelle place elle prendra dans mon entrée, je suis très attentive aux couleurs. Et puis j’aime bien laisser traîner mes oreilles, écouter les artistes qui parlent. »
 Artistes locaux
Les trois peintres ont entamé les tartes au citron : Chantal Colombier sort de son sac une feuille de papier sur laquelle elle présente la fameuse exposition de l’Artothèque qui réunira tous les artistes de la collection en décembre, à La Riche. Claudine Dumaille acquiesce silencieusement. Didier Boudin observe. Il n’est membre de l’Artothèque que depuis trois semaines. Ce Tourangeau d’une quarantaine d’années se lève pour montrer les tableaux qu’il a apportés. Il y en avait quatre il y a une heure mais deux ont déjà été empruntés par des adhérents. Format carré, ses œuvres fourmillent de détails, de symboles et de petites créatures étrangement semblables à celles des tableaux de Jérôme Bosh. « J’ai arrêté la peinture pendant 16 ans, je voulais m’occuper de mes filles, assumer mon rôle de père, raconte Didier Boudin. Et puis, un jour, j’ai craqué, je me suis installé dans mon nouvel atelier, j’ai repris mes pinceaux. J’ai réalisé ma première expo cette année. L’Artothèque m’a appelé dans la foulée. J’ai tout de suite accepté. Cette offre s’inscrivait dans mon retour à l’art. » Besoin de s’inscrire dans un collectif, d’échanger avec les autres artistes, Didier Boudin a rejoint avec enthousiasme le groupe des artistes de l’Artothèque Centre val de Loire.
Arto quoi ?
Promouvoir les artistes locaux, c’est la première mission de cette association tourangelle. Reconnue d’intérêt général, elle a été créée au début des années 2000 par Gérard Leduc un galeriste de Tours. Très vite, c’est Robert Brasseur qui va prendre le relais. Cet ancien visiteur médical, passionné d’art contemporain, se fait licencier par le groupe dans lequel il travaille. Il décide de se consacrer corps et âme à cette association et monte la première version de l’Artothèque à la Médiathèque de La Riche. En plus d’offrir une vitrine aux artistes, l’organisation veut rendre l’art contemporain accessible au grand public en permettant aux citoyens d’emprunter des œuvres et les emporter chez soi. La recette fonctionne, les adhérents s’inscrivent. En 2009, l’Artothèque franchit un nouveau cap et s’installe dans son propre local, à Saint-Avertin, grâce à l’aide de la mairie. Aujourd’hui, l’association propose à ses 80 adhérents plus d’une centaine d’œuvres de 35 artistes locaux. « Nous fonctionnons sans subvention, explique Robert Brasseur, aujourd’hui vice-président de l’association. À part le soutien de la médiathèque de La Riche, de la ville de Saint-Avertin et de l’aide financière de la Caisse d’Épargne, nous vivons avec les adhésions. » Pour emprunter une œuvre tous les semestres, il faut s’acquitter de 15 euros d’inscription et de 90 euros par an. Une somme modique quand il s’agit d’avoir de l’art original dans son salon.
Un tableau dans mon salon
Le concept a tout de suite plu à Marie-Annick Vergneau. Cette enseignante, à la retraite, de Saint-Cyr emprunte des œuvres de l’Artothèque depuis plusieurs années. Enthousiaste, à l’idée de parler de l’association, elle fait un petit tour guidé de son salon. Au-dessus du radiateur, une œuvre de Claudine Dumaille attend un meilleur emplacement. Un peu plus loin, un petit format de Yannick Petitcorps, décédé il y a quelques semaines, rayonne à côté d’un miroir. Elle va vivre avec ces deux œuvres pendant trois mois. « Ce sont un peu comme des personnes, sourit la jeune retraitée. Elles apportent une âme à ma maison, une présence. » Dans l’entrée trône une grande photographie minérale de Laurent Dubois. « C’est presque impossible de pouvoir s’offrir une œuvre d’art. Avec l’Artothèque, c’est un bon moyen d’en profiter sans se ruiner. C’est un fil que l’on tire dans le monde des artistes locaux et qui nous amène à les découvrir dans d’autres expos, à les rencontrer, comprendre leur travail. Et puis, au bout d’un moment, j’ai craqué. Pour mon anniversaire, mes enfants m’ont offert deux œuvres de Laurent Dubois. Ce photographe fait des randonnées sur des roches et peut passer des heures avant de prendre la photo d’une faille, d’un éboulement, d’une fissure dans la pierre. »
 De l’art chez le dentiste
Rendez-vous chez un autre habitué de l’Artothèque. Damien Chollet est dentiste boulevard Béranger. Quand il s’est installé dans son nouveau cabinet en 2007, il a eu l’idée d’égayer sa salle d’attente. Le docteur fait lui aussi le tour du propriétaire, habillé de sa blouse de circonstance. Dans la salle d’attente, l’œuvre d’une amie peintre sourit aux patients. Le docteur rigole : « Aujourd’hui, ça ne fait plus très peur d’aller chez le dentiste, alors on a le temps de poser son regard sur un tableau, de rêver. » Au-dessus du bureau de l’accueil, un tableau qui vient de l’Artothèque. Comment lui est venue l’idée ? « Moi non plus je n’avais ni l’envie ni les moyens d’acheter des œuvres d’art. Le concept m’a séduit. Surtout qu’il est facile de se lasser d’une œuvre qui dégage un esprit bien particulier. C’est intéressant ce turn-over. Elles donnent une âme à ce cabinet. C’est important surtout que le reste est très neutre pour des raisons d’hygiène. Je choisis toujours des œuvres qui diffusent des impressions positives. Beaucoup de mes patients réagissent, certains sont très sensibles à l’art. D’autres me disent d’emblée qu’ils n’aiment pas. Je comprends les difficultés de vivre de son art, c’est une petite contribution que j’apporte au milieu local. On est au-delà de la déco consumériste façon Ikéa. Elles authentifient un endroit. »
Retour dans le local perché de l’Artothèque. Félix Oyoua, photographe, est de permanence. Chaque mois, un artiste différent donne un coup de main à l’association, emballe les œuvres, les accroche, conseil. Entre deux papier-bulles, Félix Oyoua discute avec Robert Brasseur, observe silencieusement les autres. Michel Gressier, le plasticien, rentre alors dans la pièce. Après les « bonjours » et les « ça va ? » il installe un appareil photo et se met à prendre ses œuvres pour qu’elles soient répertoriées dans le catalogue de l’Artothèque. Quelqu’un lui rappelle ses grands pavois du pont Wilson, il s’emporte avec un sourire en coin : « Au bout d’un moment, tu arrives à saturation, plus personne ne voit que tu peins aussi. » L’ambiance est à la rigolade. Ça parle valeur de tableau. Soudain, alors que Michel Gressier emprunte l’escalier qui va le ramener à son camion, Michel Gressier interpelle la petite bande d’artiste : « Venez voir ! » Tout le monde se précipite dehors. La nuit va tomber, le ciel s’est paré de ses couleurs d’automne, du rose, du rouge, un peu de jaune. Du haut du balcon de l’Artothèque, en extase, tout le monde admire ces cieux flamboyant. Comme s’ils reprenaient un peu de cette inspiration dont seuls les paysages de Touraine détiennent le secret.
 
Plus d’infos sur le site de l’Arthotèque
 

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