Christiane Grimal, Carolyn Carlson : du plaisir par Intermittence

Chaque semaine, Doc Pilot décortique l’activité culturelle de Tours.

Christiane Grimal
Christiane Grimal

Je n’en fais pas secret, j’admire beaucoup le travail de Thomas Lebrun au CCNT, la manière usitée d’offrir le meilleur pour magnifier la pratique ; avec son festival Tours d’Horizon il donne à la ville un rendez-vous incontournable inscrit en peu de temps dans la force de frappe artistique ligérienne. J’opte pour Carolyn Carlson au Nouvel Olympia pour m’offrir  « un trip », mais les circonstances politico-sociales obligent à reprendre pied sur terre, le mouvement de grève des intermittents interdisant la tenue du spectacle initialement prévu ; reste une sorte de scénario improbable réunissant à la scène les grévistes en décors, la star, l’organisateur, le tôlier, un public solidaire mais aussi un dialogue du geste identifié en valeur ajoutée au mouvement revendicatif : une performance…
La nuit est américaine, dans la foulée filer au concert de sortie d’album de Christiane Grimal & Tijerina Projekt en Arcades Institute. Oh le bel album ! ! A l’instar d’un Henry Miller se posant à Clichy pour initier une œuvre artistique identifiée, l’américaine Christiane Grimal a bâti depuis cinq ans en Touraine, un concept musical qui lui est propre autant dans la palette sonore que dans la justesse de son propos. Entourée de musiciens tourangeaux, le groupe Tijerina Projekt, elle nous livre un album enregistré par le légendaire Fabien Tessier ingé son/musicien si habile dans son talent à magnifier les désirs des artistes (Claire Diterzi, 49 Swimming Pools, Moonjellies, Grisbi, Express). Nous sommes face à un album dont le style est un savant mélange d’influences multiples, à la manière du sang mêlé de Christiane aux origines cubaines, juives, new-yorkaises mais née à Miami. Ce patrimoine génétique et culturel est digéré avec subtilité en une remarquable relecture emprunte d’humanisme, de joie, mais aussi de grandeur d’âme dans la force de l’interprétation et la teneur des textes. Christiane Grimal s’affirme ainsi planétaire, à jamais immigrée sur la Terre, forte d’une world music dont l’atout principal est de vous prendre aux tripes. Et c’est la fête en Arcades Institute pour un concert qui restera dans les mémoires… De retour au Nouvel Olympia pour une émission en direct de Radio Béton pour débattre du problème des intermittents : un député, des représentants syndicaux ( dont Cyrille Peltier, bassiste de Volo et de X Ray Pop), la directrice du Petit Faucheux, dans une ambiance « et je te tutoie mon pote pour mieux t’embrouiller » ; au final, l’évidence qu’il faudra boire la lie car les jeux sont faits comme les gens du spectacle (faits comme des rats)…
Les Fêtes Musicales en Touraine fêtent leur 50 ans ! ! ! Et oui c’est impressionnant !! Avec Lugansky en ouverture ; au concert du Kremerata Baltica sous la direction de Gidon Kremer, je déguste la perfection de Bach à Glass, réunion des racines au présent mais aussi cette étrange alchimie entre l’œuvre et l’interprète, incompréhensible, inexplicable et pourtant bien réelle qui fait certains artistes vous rendre une écriture figée plus brillante qu’elle ne le serait interprétée par d’autres. La musique dite classique, dans sa rigueur et son impossibilité d’exister dans la médiocrité reste pour moi la niche la plus surprenante tant on ne s’attend pas à y vivre de l’imprévisible… Et pourtant ; l’interprétation de Glass est magique, l’instant unique, l’accueil du public reconnaissant du plaisir vécu… Du plaisir, oui, du plaisir par intermittence, dans notre modèle français finalement assez unique pour tenir face aux attaques de la normalisation et du marché ; un modèle pourtant si fragile et si attaqué par ceux qui devraient s’accorder d’en jouir mais se contentent d’y nuire, peut-être un simple relent nauséabond d’une morale d’appareil propre à raviver la haine et la discorde et leurs enfants : la guerre et l’oppression. Toucher à la Culture c’est s’ouvrir à la dictature, par défaut, c’est flatter les bas instincts en ne laissant que « du pain et des jeux… et de la religion » pour distraire le Peuple.

Laisser un commentaire