Les Caprices de Marianne au Théâtre Olympia
Ecrit à 22 ans par le jeune Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne est l’expression singulière de la jeunesse de son époque face au pouvoir de l’argent et de la préséance de l’âge établi sur la pauvre fougue romantique de l’amour sublimé. Malgré tout, on peut se demander si le prénom de l’héroïne n’est pas une métaphore à lire au second degré, l’allégorie de la révolte d’une jeunesse désillusionnée (1833) face à la France et à sa République malmenées par le règne de Louis Philippe. Celle aussi de la gestion léonine des sentiments par la génération d’avant et la force de ses biens et de ses pouvoirs (Marie Anne fut longtemps le nom clandestin pour désigner la République étouffée par la Monarchie de Juillet). Ainsi cette pièce me semble un cri de révolte contre l’ordre établi, une invitation à prendre en mains ses envies et ses choix, quitte à user de violence pour arriver à ses fins, à profiter de l’instant et des opportunités pour les assouvir, face à la génération dominante prête à tout pour conserver ses privilèges mal acquis.
Il s’y trouve un feeling amoral et cynique qui n’est pas sans rappeler l’audacieuse remise en question du mouvement punk, le no future, mais aussi une tendancieuse misogynie qui laisserait à penser la jeune femme capricieuse, versatile et insensible (la France ?). Musset, issu d’un milieu favorisé mais « curieux » des milieux interlopes, fut peut-être un anarchiste mondain et malin glissé dans son époque. Ma lecture est totalement subjective et hors des analyses académiques, seule l’impression ressentie au spectacle de cette performance, incarnation d’un texte échevelé offrant dans ses respirations toutes les possibilités à l’analyse ; la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia souligne le propos dans un parti-pris d’instabilité physique, d’offre à la chute, de barrage à l’évidence et au rectiligne, là encore une métaphore de ce qu’est la vie : tout sauf un long fleuve tranquille. Elle est aussi l’expression de la fin d’un monde, d’une impasse, d’une erreur de casting du destin face aux identités en présence : en cet aspect elle reste d’une troublante actualité.
Strktur & Reset VJ au Temps Machine
Organisée par l’ IAE de Tours, La Raffinerie Musicale propose la découverte et l’écoute de jeunes artistes technos locaux. Audience assez limitée (étonnant, je m’attendais à la foule) pour une musique qui finalement appartient désormais à l’Histoire à la manière du blues ou du rock n roll. Il est d’ailleurs difficile de qualifier la techno de générationnelle tant elle est désormais intégrée et digérée par l’écoute universelle, du nouveau né à pépé. Hasard total, j’ai réécouté il y a deux jours cette compil de la fin des 80’s, « techno ! the new dance sound of Detroit », très datée, nostalgique… 26 ans après entendre Strktur pousse à la danse, à la joie, à l’ambiance, le nerf de la guerre du sujet. Dans un univers coloré en kaléidoscope psychédélique sur des structures physiques ( l’œuvre d’art de Reset VJ) Strktur balance une œuvre globale au scénario progressif, à la construction intelligente propre à éviter l’ennui et la redite, cohérente en sa manière d’enchaîner les climats, les stimuli auditifs habiles pour maintenir l’attention, générer la surprise, pour aboutir à un thème final addictif, en épilogue de cette matière à capter du temps loin du quotidien… A sa suite, la science technique d’Amorem ne suffit plus à me maintenir à l’écoute, la complicité des deux comparses à justifier un nouvel arrêt du temps. Oui, c’est clair, au bout d’une heure je suis gavé du style, ça me fait le même effet à l’écoute du rock n roll classique et des valses musettes, du jazz manouche aussi : je dois être un gars tristoune pas doué pour le festif. Mais Chapeau bas à Reset VJ… retrouvé dans le weekend en Arcades Institute avec une installation fascinante.
Mysterious Asthmatic Avenger en concert chez Les Colettes
Grande fiesta à Paul Bert, retour vers les terres d’Alan Jack pour une réelle convivialité universelle, une version théâtrale d’un country rock décalé, un néo rockabilly bâtard mais terriblement identifié, en partie par l’option revendiquée d’orchestrations minimales privilégiant l’essentiel et balancé par une bande de potes réunis pour le meilleur et pour la joie. MAA est un groupe de bar, un groupe de terrain, un équilibre parfait entre un leader identifié entouré d’éléments nécessaires pour balancer sa came et un public sans manière et roi dans son bar, venu pour passer du bon temps. MAA est généreux, MAA est nécessaire, rassurant, porté par une mission, celle de nous amener à taper la semelle en rythme, à faire les animaux de ferme, à gueuler Madeleine ou Las Vegas, à descendre des bières et à finir suants, avec la banane, en oubliant le temps, la vie, par la redécouverte d’un temps (avec une heure en moins) et de la vraie Vie. Les anciens des 80’s pensent aux Nonne Troppo, aux Endimanchés, les autres à … MAA , car finalement en leur époque ils ont réussi à devenir uniques les MAA, ils ont trouvé la bonne recette. Bravo.
CD’s : de Vadim Vernay à Pearlie Spencer
Étonnantes années 10 en cette impression d’un temps fixé dans le XXe ( déjà si loin), de la nostalgie sélective d’une époque peu vécue par les acteurs en l’instant. Ainsi ces deux disques reçus la même semaine l’un piochant dans les nineties et l’autre dans les sixties, deux images d’Epinal pour une relecture sublimée d’un exotisme dispatché dans le temps, les joies, les modes… D’abord Vadim Vernay et son it will be dark when we get here au superbe graphisme, un artiste à l’univers électro poétique, à l’influence assumée de Sparklehorse ( mais là franchement je ne vois guère le rapport dans le fond si l’on peut en croiser dans la forme), un spleen du milieu des nineteens à la Portishead voire Bjork dans le mélange des trames électrosensibles à une réelle émotion dans l’expression et les mots : un style, un hameçon pour ramener dans l’audience les acteurs de cette avantguerre, les nostalgiques des « années folles », pas très éloigné finalement du Bashung de Novice … Puis Pearlie Spencer et son Memory Street, plongée totale dans la fin des sixties londoniennes, avec l’ombre des Kinks et la marque de Georges Martin en commandeurs esthétiques de cette exercice de style. La présence de Fabien Tessier en ingé son a du beaucoup aider à la réalisation du concept sans doublelecture et jamais dans la caricature AustinPowerienne, d’une époque vendue pour idyllique avec un peut trop d’emphase et de naïveté. Elie Gaulin le leader de l’affaire, avance dans cette niche déjà bien exploitée par Bikini Machine et Burgalat mais s’en trop s’aventurer à la distordre pour l’entraîner loin de la norme. Reste 5 titres agréables à l’écoute et à la réécoute, un powertrio que l’on aimerait voir à la scène, sûr de passer un bon moment dans des mélodies aimées, la bandeson d’une boum yéyé toute de sucre et miel.
CD WHITE CROCODILE The Stranger
Un peu béni des dieux et pour notre plus grand plaisir White Crocodile a réussi à donner une lecture rock inédite à son concept artistique, ce qui devient de plus en plus rare dans un monde de la musique ou la relecture devient la norme et le sampling d’idées la seule alternative pour s’affirmer « créatif ». Ici l’on suppose les quatre acteurs de ce projet d’assez fortes personnalités pour avoir pu et su transcender les influences, et tout en restant dans un format pop attractif et séduisant, pousser « le truc » pour passer au dessus de la masse. Julie Biereye la chanteuse, est anglaise ( mais comme moi vous savez que cela n’implique plus d’être meilleur que les continentaux), et pourtant les références évidentes de son chant sont américaines, de Grace Slick ( Jefferson Airplane) à Blondie..Quand elle chante en français des petites historiettes psychédéliques, c’est craquant ; derrière elle, « la machine de guerre » est au service dans la lignée des Ruts, Cars, Pretenders, Oingo Boingo… et de nos tourangeaux Fucking Butterfly !!.. Le concept est global avec un large investissement dans le visuel, le bel outrage, un cabaret punk berlinois plus proche des murs de béton graphés que des murs de velours rouge tapissés ; une urbanité réaliste avec les pieds à l’Ouest et la tête à l’Est, une démarche underground et créative telle l’antithèse de la Nina Hagen de la fin des seventies, une option européenne, la proposition d’une bandeson pour faire danser de Brest à Vladivostok.