Y être ou ne pas être

À 13 ans, elle avait raconté à qui voulait bien l’entendre que son professeur d’histoire avait demandé aux élèves de confession musulmane de lever la main, puis de sortir de la classe avant de montrer en cours les caricatures de Mahomet. Mais elle n’y était pas. Elle avait expliqué à son père qu’elle s’en était indignée et que cela lui avait valu une exclusion de deux jours. Mais non, elle n’y était pas.

Son père avait aussitôt relayé le mensonge sur les réseaux sociaux et le message avait suivi son chemin mortifère, jusqu’à tomber sous les yeux d’un certain Abdoullakh Anzorov, apprenti terroriste d’origine tchétchène, âgé de 18 ans. Un jour, à la sortie du lycée, Anzorov avait attaqué le professeur et lui avait coupé la tête. Mais elle n’y était pas.

Elle, par contre, elle y était dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. La dessinatrice Coco sort ces jours-ci, un récit graphique qui s’appelle « Dessiner encore » et qui raconte les derniers moments de la rédaction de Charlie, juste avant l’arrivée des tueurs. La bienveillance de Cabu, les gâteaux sur la table, l’engueulade entre Tignous et Bernard Maris, ce simple morceau de vie arraché à la marche du monde. Elle a enfin pu la dire, sa vérité, comme l’adolescente son mensonge. Troublant téléscopage…

Matthieu Pays