Clémentine Hougue : « Le zombie s’est politisé »

Clémentine Hougue, 35 ans, est enseignante en communication à l’Université du Mans et possède un doctorat en littérature comparée. Cette semaine aux Salons de Choiseul, elle parlera du zombie comme personnage politique.

Clémentine Hougue.
Clémentine Hougue.

Le zombie est une figure fictionnelle. En quoi peut-elle être politisée ?
Il faut retourner à ses racines : le zombie vient du vaudou haïtien. C’est une figure plus qu’un personnage, puisque c’est une entité sans psychologie. Le vaudou haïtien a joué un rôle dans l’indépendance de l’île, c’était la religion des esclaves. Le zombie rejoue alors le symbole de l’oppression, de l’esclavage, il devient le dominé : c’est politique dès le début. Il s’est surtout politisé avec George A. Romero (réalisateur de La Nuit des morts-vivants, NDLR) qui s’inscrivait dans de grands mouvements sociaux et une critique de l’impérialisme américain. Il y a toujours eu cette question de domination : voyez avec White Zombie, le premier film zombie, de Victor Halperin (1932) et Vaudou, de Jacques Tourneur (1943). C’était dans les années 30, un écho à la crise ouvrière de 1929. Maintenant, c’est plus complexe : le zombie cristallise les angoisses post-11 Septembre.

Comment expliquer que White Zombie et Vaudou aient ainsi lancé ce mythe du zombie ? 34988-white-zombie-0-230-0-345-crop
En 1929 est sorti le livre The Magic Island de William Seabrook qui racontait son voyage en Haïti. Entre 1915 et 1934, le pays était sous occupation américaine. Puis il y a eu cet âge d’or d’Hollywood, les Universal Monsters, les acteurs comme Lugosi, etc. Le zombie est devenu une mise à distance dans le gouffre social dans lequel les États-Unis étaient plongés. Cela rend la domination très exotique. White Zombie a été un gros succès commercial…

Le thème du zombie est de plus en plus présent.
Tout est venu, comme je le disais, après le 11 Septembre 2001. Jean-Baptiste Thoret (qui a notamment coordonné l’ouvrage Politique des zombies, NDLR) l’explique : cet attentat a été une catastrophe minérale, on n’a pas vu les corps. Puis on a parlé de terrorisme, de guerres, de menaces bactériologiques… Le zombie, aussi effrayant soit-il, reste gérable. La série The Walking Dead possède des systèmes politiques énormes : et moi, si c’était la fin du monde, comment me comporterais-je ?

La Nuit des morts vivants de Romero, en 1968, est la pierre angulaire du genre. Le sous-texte politique était assez fou pour l’époque !
C’est vrai ! Avant, le zombie était sous la domination de quelqu’un. Avec Romero, il n’y avait plus de maître. Dans le film, on ne sait d’ailleurs même pas précisément d’où ils viennent. C’est une masse informe, on change de perspective. Romero parlait de lutte pour les droits civiques, de la fracture au niveau de la population, de la violence de la société.

Et, de surcroît, le personnage principal était Afro-Américain. Suffisamment rare à l’époque pour être remarqué.
Effectivement. Romero a indiqué l’avoir casté parce qu’il était simplement bon, mais il n’empêche : un héros Noir, la dimension est différente ! Là, il est l’élément rationnel. En plus, le tout est filmé comme un documentaire.

« Dawn of the dead » l’est moins…
Oui. Romero avait assisté à l’ouverture du premier Mall, ces gigantesques centres commerciaux. Il a dit que c’était un temple de la consommation, dans lequel les gens déambulaient comme des zombies.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=–IIwV_Y6VU[/youtube]

En fait, le zombie représente l’organisation sociétale ?
Son renversement, son organisation, cela dépend. Au début, le zombie, c’était la représentation dominants/dominés. Romero a tout bouleversé et montré les échecs de cette organisation. Et de nos jours, c’est variable. Mais il y a toujours cette idée d’organisation humaine. Il y a, entre les zombies et l’homme, une idée de « frontière ». Et ça, c’est politique !

Ma théorie est peut-être fumeuse, mais… la représentation la plus fréquente, c’est de tuer le zombie en touchant le cerveau. Est-ce à dire qu’au fond, le zombie est très humain ?
Ah mais de toute façon, il est chargé de son passé d’humain ! Il a encore ses anciens habits. Le zombie, c’est nous. Romero le disait : « Nous sommes des zombies. » C’était sa critique. Donc oui, votre parallèle est valable.

Vous avez travaillé sur World War Z…
Oui, sur le roman de Max Brooks. Le film, lui, évacue la question géopolitique de l’ouvrage. Le livre décrit bien, à travers des rapports secrets et des témoignages, comment les États font et gèrent cette guerre dans un monde de morts-vivants. Brooks montre comment la coopération internationale fonctionne dans une telle situation. Dans le livre, Cuba s’en sort le mieux, il y a un renversement de l’équilibre international. C’est de la science-fiction politique.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=gRsdw4DoZGg[/youtube]

Personnellement, trouvez-vous votre compte dans le cinéma ?
J’apprécie The Walking Dead, série sur laquelle j’ai fait des recherches. C’est un House of cards avec des zombies ! (rires) Du côté des romans aussi, cela bouge un peu : Karim Berrouka, l’ancien chanteur de Ludwig von 88, a écrit Le Club des punks contre l’apocalypse zombie. Je redécouvre aussi certaines séries B, comme Zombie Strippers qui part du principe que Bush a été réélu quatre fois et que les clubs de striptease sont une activité illégale. Dans la série Santa Clarita Diet, il y a une femme zombifiée, mais émancipée. On y questionne la place des femmes dans la société. Être une zombie lui permet de renverser l’ordre social !

Vous intervenez donc aux Salons de Choiseul, sur le thème du zombie comme personnage politique. Une heure, c’est court !
Ah, c’est sûr. Je souhaite surtout qu’il y ait un dialogue les 15 dernières minutes. Ce sera un historique du vaudou haïtien à The Walking Dead, de la représentation des dominations à la représentation critique, jusqu’au changement de paradigme en 2001, dans le chaos politique du monde contemporain.

Propos recueillis par Aurélien Germain

> Les Salons de Choiseul, les 16 et 17 novembre, au lycée Choiseul à Tours.
> lessalonsdechoiseul.wordpress.com

World War Z(éro)

Z comme zéro ? Le tant attendu blockbuster de zombies emmené par Brad Pitt n’est qu’une vaste farce. Les gros sous ne sont visiblement pas compatibles avec les films d’infectés.

Ce qui est drôle dans toute cette histoire, c’est que l’on aurait pu avoir un film génial si Hollywood ne s’en était pas mêlé. Parce qu’au départ, World War Z (appelons la bête WWZ) est un roman de Max Brooks qui avait tapé dans l’œil de Brad Pitt : un bouquin causant d’un rapport de l’ONU rempli de témoignages sur l’après-guerre entre vivants et morts-vivants, avec une petite touche de géopolitique. Notre Brad chéri a voulu l’adapter tel quel. Pas franchement du goût de la Paramount qui refuse et l’envoie finalement jouer les experts/sauveur du monde en pleine guerre zombiesque.
Et très vite pendant WWZ, on s’aperçoit que l’horreur n’est pas dans les morts-vivants rendus dingues par un virus inconnu et qui vous bouffent tout cru. L’horreur, elle est déjà dans la façon de filmer de Marc Forster. Une sorte de caméra à l’épaule en mode maladie de Parkinson sur un bateau qui tange qui : a) vous file la nausée ; b) vous permet de ne rien comprendre à l’action et rend illisible la lecture ; c) vous donne envie d’offrir au réalisateur « Comment savoir filmer pour les Nuls ».
Pourquoi filmer ainsi ? Parce WWZ, c’est aussi un classement PG-13 (aux Etats-Unis, l’équivalent de « interdit aux moins de 13 ans »). Donc la caméra évite soigneusement les gros plans, multiplie les vues aériennes lors des attaques, il n’y a aucune goutte de sang, ni plan gore (les zombies croquent seulement la main et laissent une petite trace…). Bref, un parti-pris inapproprié au genre et au public visé…
Les zombies boivent Pepsi
Paraît-il que l’argent ne fait pas le bonheur. Et ne fait pas les bons films. WWZ a beau aligner les dollars (plus de 180 millions de budget), son rythme est d’une faiblesse rare dans le film d’infectés. Et ce n’est pas -le pourtant excellent- Brad Pitt qui arrive tirer le film vers le haut. Encore moins quand l’ex-anti héros de Fight Club sombre dans le ridicule le plus total avec un placement de produit en plein film. Comprenez une pub paaas du tout subtile : pendant l’attaque de zombies dans le Centre mondial de l’OMS, Brad Pitt, fier avec sa petite cicatrice (oui il s’est vautré dans un crash d’avion ouvert en deux, mais n’a rien), prend le temps de passer devant un distributeur… avec des dizaines de Pepsi, avant de s’ouvrir une petite canette bien fraîche en plan rapproché, tête penchée (!!!). Aberrant, honteux ou pitoyable ?
Au final, WWZ n’est qu’une production pleine de gros billets verts, où le moins bon côtoie le pire durant deux heures très longues. En voulant revisiter le film de zombies, Forster a accouché d’un film plus mort que vivant, bien loin d’un « 28 weeks later », avec un final torché en 10 minutes chrono (dur, dur d’avoir des idées apparemment…), sans aucune explication. Le pire, c’est qu’on prévoie une trilogie de ce machin foutraque. Le « Zombie » du maître George Romero doit se retourner dans sa tombe…
Aurélien Germain
World-War-Z-1