De la Traviata à La Muerte via The Moonfingers

De la Traviata à la pop des Moonfingers, Doc Pilot a passé une bonne semaine.

(Photo Carmen Morand)
La Muerte (Photo Carmen Morand)

La Traviata à l’Opéra de Tours

Splendeur et chute d’une courtisane, Violetta, en déclinaison de toutes « les dames aux camélias » qui firent et diluèrent l’Histoire, victorieuses dans la fête et l’illusion, toujours perdantes face aux sentiments et aux hommes. Ce drame intemporel est magnifiquement exposé dans La Traviata, intense dans cette courte introduction où l’on voit l’héroïne si fragile avant « d’aller au combat » de la fête et des excès, puis dans ce dernier acte où la maladie et la mort s’imposent ; une maladie incurable, celle de l’amour bradé, de l’amour trahi, sacrifié. Eleonore Marguerre est fascinante en Violetta, surtout dans les scènes de passion, d’amour et de déchéance ; ma préférence instinctive va à l’interprétation de Kristian Paul dans le rôle de Giorgio Germont. Je suis très réservé sur le choix de la mise en scène à installer le drame dans la période de la « collaboration » au Lutecia, et faire, au final, le parallèle entre l’épuration, la chute et la fin de Violetta. Il me semble ici ( et ceci n’a bien sur rien à voir avec la beauté du livret et de la partition, créés en 1853 !!), voir s’exprimer une méconnaissance historique de cette période (1941/44), assortie d’un déni du « mourir d’aimer universel», entaché d’une notion de « faute » très réductrice, machiste et moralisatrice. Reste trois heures de grand plaisir au spectacle de cette représentation « haut de gamme ».

The Moonfingers à OK Game (Ockeghem)

Sous la contrainte du “son” très particulier de la salle OK Game se donne le concert de sortie du nouvel EP de The Moonfingers dans une ambiance très “copains”, avec le handicap d’un peu trop de temps laissé aux “groupes copains”, Ladybird d’abord, formation vocale dédiée à l’interprétation de standards du jazz avec un accompagnement guitare/clarinette basse… sSympa certes, convivial mais sans plus… Puis Fare thee well, trio dans la ligne country où se révèle la voix exceptionnelle de Agathe Henry… Et enfin, enfin, enfin… The Moonfingers, quartet hors du temps dédié en la perfection à la relecture de cet instant charnière que fut le passage des sixties aux seventies sur la côte ouest ; on pense bien sûr au Buffalo Springfield de Neil Young et Stephen Stills, aux Byrds de David Crosby, aux Eagles, le tout enrobé dans la douceur d’harmonies vocales initiées par les Beach Boys. En clair, nous sommes transportés dans le temps et loin de toute caricature du style, les pieds dans le Pacifique, la tête dans la fumée bleue : un America continental. C’est beau, c’est bien, on en sort heureux mais on aurait aimé en écouter un peu plus.

La Muerte, Ela Orléans & Super au Temps Machine

Dernière soirée intramuros de la saison, et dernière soirée programmée par Fred Landier, avec bien sur l’évidence de vivre la fin d’une époque. Belle affiche dans un style très intense et très « artistique ». Ela Orléans offre un univers global au feeling néo-gothique parsemé de fulgurances romantiques empruntant autant aux poètes maudits et à leurs paradis artificielles, qu’ à la macumbo sous ergot de seigle des mystiques les plus tendancieux ; ce trip allie musique électronique du 20e, images référencées dans la déviation des enfers supposés, et une voix, signature de l’artiste dans son offre d’un concert global et borné. Ca sent le drame, la douleur, le sang… Super nous ramène à la légèreté des duos bubbles du milieu des 80’s, petite machine à tubes et à danser, aux textes assez légers pour surtout ne pas nous troubler dans notre simple envie d’en jouir. Point fort, la parfaite utilisation en direct du synthé Korg monophonique : je connais assez le sujet technique pour vous confirmer la dextérité et l’inventivité du monsieur… Final brillant avec La Muerte, un magicien, un séducteur, un artiste capable d’embarquer son monde sur tous les types de scène, de transcender la culture club au delà du « pousse-bouton » et des « passeurs de galettes » en usant en direct et en action de « la gloire des machines », en relisant l’histoire du début des 80’s dans ses strates les plus festives et les plus imparables. On sent l’esprit de D.A.F bien sur, avec la force des années 10 à pousser le gimmick pour en tirer toute la substance jouissive induite par la musique sur la peau et sur les nerfs. Je pense à Lao Tseu d’en sa philosophie appliquée à l’amour physique car le concept joue ici sur l’idée de prolonger le plaisir ; cette musique à la classe et le feeling de ne pas vous laisser « en route » ; elle est endurante, respectueuse et habile pour vous rendre heureux et accros. La bande-son parfaite pour jouer à la bête à deux dos.

CD HELAS !
Bon, d’abord il faut le dire, Achille le leader de ce concept est un personnage, un acteur en la vie, un artiste bourré de présence et de charisme, et toute cette exagération de l’être transpire dans cet EP, dans cette écriture de fin de nuit où l’ivresse inspire les talentueux et abêtit les stupides, dans cette poésie beat, psyché et néo-réaliste, giclée à la manière de celle du jeune Christian Descamps (Ange) ou des « glissades » de Léo Ferré aux débuts des seventies, dans un phrasé et une expression qui amènent bien sûr à penser à Dominique A sur la forme (mais pas sur le fond). La musique en support à cette éclate verbale participe de cette nouvelle « prog » de plus en plus présente dans les années 10 : mélodies et furie dans la sauce, fulgurances techniques assorties de bizarreries harmoniques en collages contre-nature, extension du domaine de la chute aux formats traditionnels de la chanson française. C’est pas banal et c’est bien.

CD HAXIS happy

Dans son design de roses déclinés, cet EP est une friandise, la matière à se retrouver dans du bubblegum de lycée pour un après-midi volé à l’âge adulte. Faussement naïf et réellement tubesque, ces cinq titres sont maçonnés par l’envie de plaire, de jouer, d’offrir des images au delà de l’électronique, et des odeurs au delà du synthétique. On passe d’une voix féminine au grain un rien salace, à une voix masculine à peine muée ; on pousse ici l’adulescence en fer de lance d’un concept attractif, on mise sur de la nostalgie mélangée à de l’affectif en allant piocher dans les années 80’s et leurs emprunts détournés aux sixties ; on oublie le vinyle pour poser le diamant sur un rond de réglisse noir. En son centre le sucre : un titre fantôme, une cover de Depeche Mode. Y’a de l’Happy, y’a d’la joie, bonjour, bonjour les demoiselles.

CD THE MOONFINGERS Room 505
Le nouvel EP de Moonfingers enfonce le clou avec une collection de titres en relecture de cet instant béni du passage des sixties aux seventies, mélange des racines folk amenées d’Europe, avec le blues des esclaves et sa déclinaison vocale dans le gospel, le tout sous perfusion vitaminée du rock n roll et du bop, sous influence hippie : ben oué !! la Pop !! Nous sommes admiratifs de la rigueur avec laquelle les tourangeaux rendent témoignage en reprenant le flambeau de formations tels que Buffalo Springfield, Byrds, Crosby Stills et Nash, Eagles. Nous sommes ici en présence d’un concept totalement basé sur la beauté des arrangements, des harmonies, de la recherche de l’enchaînement qui tue. Nous sommes dans de l’histoire et de l’exercice de style, pourtant nous sommes aussi dans de la passion et de l’appropriation magique dans l’écriture de titres originaux. Les fans de cette époque vont se passer et se repasser cet ep ; d’autres découvriront ce style au travers de cet hommage nourri de respect et de talent. Ce « retour vers le futur » est une friandise et une madeleine de Proust ; c’est troublant et c’est bon.