Indre-et-Loire : paroles de télétravailleurs et télétravailleuses

[2/2] Un an après, entre déconfinement, reconfinements et couvre-feu, une bonne partie des Français vit encore sur un rythme boulot-dodo, où le métro (le vélo ou l’auto) ont disparu des radars. Et pour vous, ça se passe comment le télétravail ? Tmv a eu envie de vous poser la question…

FRANCK, FORMATEUR SÉCURITÉ SNCF

« Lors du premier confinement, on était en 100 % télétravail, ce qui n’est pas simple pour assurer des formations. Mais comme les personnes ont à nouveau le droit de se déplacer pour la formation professionnelle, je suis maintenant sur mon lieu de travail quatre jours par semaine, et en télétravail le vendredi. »

LES +

J’aime bien cette répartition 4 jours/1 jour, cela permet d’être en contact avec les collègues et les stagiaires. C’est quand même plus simple pour bien faire mon travail ! Lorsque nous étions en 100 % télétravail nous avions réfléchi avec d’autres formateurs sur la manière d’assurer une formation à distance sur Teams, en maintenant l’intérêt des stagiaires, avec des travaux de groupes par exemple. Et puis il y a le temps de trajet en moins !

LES –

Si c’était tous les jours, je ne tiendrais pas ! Certes cela donne une flexibilité sur les horaires, ça m’est arrivé de travailler le soir pour faire autre chose en journée, mais le lien social me manquait trop quand j’étais 100 % en télétravail. J’ai beaucoup utilisé les réseaux sociaux pour maintenir une vie sociale, une activité, car rester toute la journée à la maison me pesait beaucoup.

(Photo illustration NR – Julien Pruvost)

Hubert, sous-directeur RH à la Caf Touraine

« Depuis 2016, les salariés dont les missions sont télétravaillables peuvent travailler en “pendulaire”, avec deux à trois jours par semaine en télétravail. Et plus récemment nous avons aussi mis en place un accord sur le travail nomade : 24 jours possibles de télétravail par an. En mars 2020 nous sommes bien sûr passés en 100 % télétravail et, depuis mai dernier, certains salariés sont revenus sur site. Aujourd’hui, on estime à moins de 40 % de nos 260 agents ceux qui sont présents dans nos locaux. »

LES +

Avant même le confinement, nos premiers bilans montraient de grands avantages sur la gestion vie privée/vie professionnelle pour la cinquantaine d’agents qui travaillaient en pendulaire, avec aussi une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Et même si ce n’était pas l’objectif, il y a eu une hausse de leur productivité. Le passage en 100 % nous a poussé à accélérer certaines mutations avec la simplification de certaines procédures. Et cela nous a permis d’identifier plus finement les postes et les tâches qui sont télétravaillables.

LES –

Bien sûr nous avons mis un peu de temps à adapter le réseau pour que tous les agents puissent se connecter à distance. Et mettre tout le monde en télétravail a supposé des investissements : deux écrans et un casque par agent, en plus de l’unité centrale d’ordinateur et, pour ceux qui le souhaitent, une webcam ou une clé 4G et parfois un fauteuil. Si de nombreux agents apprécient le travail à distance, nous sommes attentifs à ceux qui souhaitent être sur place, car les conditions à domicile ou leur maîtrise des outils informatiques ne sont pas bonnes, ou parce qu’ils sont psychologiquement fragiles. Le télétravail ne convient pas à tout le monde.

(Photo illustration NR)

Patrick, enseignant en informatique et chef du département GEA – IUT de Tours

« Depuis mars 2020, nous sommes passés au télé-enseignement, avec les embûches que cela suppose tant pour les étudiants que pour les enseignants. Même si les enseignants ont l’habitude de travailler chez eux, pour toute la préparation des cours, donner son cours à distance ce n’est pas la même chose ! »

LES +

Cela amènera peut-être une réflexion sur l’évolution de l’enseignement supérieur. Je me demande par exemple si les cours magistraux en amphi, avec peu d’interactions, valent le coup d’être en présentiel ?

LES –

Je dresse tout de même un constat plutôt négatif de tout cela : outre les soucis d’adaptation des enseignants au tout début, qui ont dû appréhender de nouveaux outils, adapter leur pédagogie, sans compter les soucis techniques, c’est surtout l’absence d’interaction qui est déstabilisante et démotivante pour tout le monde. On fait cours face à du vide, un écran où les étudiants n’allument pas leurs caméras et sont peu réactifs. Et pour eux, c’est difficile aussi, devant leur écran toute la journée. On a d’ailleurs plus de décrochages que les années antérieures…

Propos recueillis par Maud Martinez
Photo ouverture : Jérôme Dutac – NR

Comment éviter que le télétravail se transforme en télé-calvaire

Les conseils de Chloé Archambault, psychologue du travail à Courçay.

On vous voit, assis dans votre canapé en caleçon à 10 heures du matin, en train de vous dire qu’il serait peut-être temps de vous mettre au boulot. Et vous aussi, là, à consulter vos mails à 23 h pour découvrir les remontrances de votre manager…

Pour éviter que le télétravail ne se transforme en télé-calvaire, nous avons demandé son avis et quelques conseils à Chloé Archambault, psychologue du travail à Courçay :

« La plupart d’entre nous n’a jamais “ appris ” à télétravailler et, en plus, le télétravail n’est pas très cadré d’un point de vue légal… C’est une découverte pour tout le monde ! Alors que les managers ont peur qu’on travaille moins, les télétravailleurs sont plus productifs, mais aussi plus stressés : au travail, si vous allez aux toilettes, personne ne vous tapote sur l’épaule pour savoir ce que vous faites, alors qu’à la maison on vous demande de rendre des comptes, on vous envoie des petites piques culpabilisantes, ce qui crée une pression supplémentaire. Il faut donc prendre des précautions et vous mettre d’accord sur tout cela avec vos supérieurs. Et pour les horaires, posez un cadre clair. Il faut éteindre l’ordinateur et le téléphone pro quand la journée est finie, car regarder ses mails avant de dormir en se disant « je n’aurai pas de mauvaise surprise demain », c’est la garantie d’un mauvais sommeil. Pour tout cela, il faut aussi que les employeurs prennent leurs responsabilités, pour respecter le Code du travail. Plutôt que de subir la situation en espérant un retour à la normale, mieux vaut essayer de s’adapter : cela rendra la situation plus confortable, et ce sera meilleur pour votre moral ! ».

M. M.


Quoi de neuf docteur ? La fatigue pandémique !

L’Organisation Mondiale de la Santé met en garde depuis quelques semaines les États sur un nouveau syndrome : la fatigue pandémique. Bon, on ne se lance pas dans une longue explication de texte, parce que c’est assez clair : c’est un combo gagnant de confinement + absence de vie sociale, culturelle et sportive + télétravail + anxiété liée aux risques pour notre santé.

Résultat de ce beau mix, de la dépression et une baisse de motivation quant aux respects des gestes barrières. Bonne nouvelle : les mutuelles santé ont annoncé qu’elles rembourseraient désormais jusqu’à quatre consultations chez un psychologue (sur prescription médicale). On attend que ce soit gravé dans le marbre et on en profite !

Télétravail : « Cela pose finalement la question du modèle-même du travail que nous connaissions jusqu’alors »

Est-ce que le télétravail modifiera durablement notre rapport au travail et à l’entreprise ? Pour le savoir, direction le bureau de Bernard Buron, sociologue du travail, des organisations et innovations à l’Université de Tours, où il étudie notamment l’impact des nouvelles technologies sur les professionnels de santé avec l’équipe Use Tech’Lab.

Bernard Buron est sociologue du travail. (Photo archives NR)

En tant que sociologue, quel est votre regard sur cette mise en place du télétravail ?

C’est un grand changement de nos habitudes. Le Code du travail indique que le salarié a une obligation de moyens et est présent dans l’entreprise. Même s’il ne fait rien (en faisant mine de travailler), l’employeur l’a sous les yeux et est rassuré. Ce n’est plus le cas en télétravail, il y a une perte de contrôle par le regard, et une incertitude pour la hiérarchie. D’ailleurs, cela peut remettre en cause l’existence de certains postes : si chacun sait ce qu’il a à faire et le fait en autonomie, à quoi sert le supérieur ?

Qu’est-ce que le télétravail peut changer pour le travailleur ?

Cela donne au travailleur l’apparente liberté de travailler comme il veut. Mais comme l’a dit le juriste Jean-Emmanuel Ray il y a déjà longtemps, “ si on peut travailler partout, c’est qu’on peut travailler tout le temps ”, et c’est le danger ! Il faut des repères temporels structurants, ce qui n’est pas simple : si je passe déjà toute la semaine chez moi, qu’est-ce qui fait la différence avec le weekend ? Les expériences individuelles sont variées, tout comme les réactions face à cette situation de télétravail et de pandémie.

Et pour l’entreprise, y a-t-il à y gagner ?

D’un point de vue comptable, bien sûr qu’on va économiser en mètres carrés utilisés et certaines entreprises ont déjà fait ce choix, qu’on retrouve aussi dans l’externalisation de certaines missions auprès de prestataires extérieurs. Mais on perd beaucoup ! Les interactions quotidiennes sont plus efficaces que des tickets et requêtes numériques. Si les gens ne se fréquentent plus, est-ce qu’on ne va pas perdre en compétence d’équipe, en expérience collective ? Cela pose finalement la question du modèle-même du travail que nous connaissions jusqu’alors.

On change donc de système ?

Depuis la révolution industrielle, le lieu de travail est séparé du domicile, sauf pour des métiers d’appoint, déqualifiés. L’entreprise, c’était donc rassembler au même endroit des moyens de travail, et du personnel. Il y a avait un lieu et un temps dédiés au travail, et tout cela était organisé par le droit. Avec le télétravail, ce modèle pourrait exploser…

M. M.

Indre-et-Loire : paroles de télétravailleurs et télétravailleuses

[1/2] Un an après, entre déconfinement, reconfinements et couvre-feu, une bonne partie des Français vit encore sur un rythme boulot-dodo, où le métro (le vélo ou l’auto) ont disparu des radars. Et pour vous, ça se passe comment le télétravail ? Tmv a eu envie de vous poser la question…

VANESSA, CHARGÉE DE PROJETS DANS LES ASSURANCES

« Je travaille à Paris, je prenais donc le TGV de 6 h 30 ou 7 h 30 le matin et je rentrais chez moi à 21 h, sauf le vendredi qui était déjà une journée télétravaillée. Depuis mars 2020, c’est 100 % télétravail ! Tout s’est fait assez facilement car l’entreprise était équipée pour cette transition : le partage en réseau a été simple, on nous a fourni des ordinateurs portables et des écrans et on touche une allocation pour compenser nos frais d’électricité, de forfait web et les repas. »

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On ne va pas se mentir : j’apprécie de me lever un peu plus tard et d’être chez moi dès 18 h ! Cela permet aussi un peu de flexibilité et, avec les collègues, on se prévoit des pauses café à distance ensemble. On a tout de même eu un rappel à l’ordre sur les horaires : certains envoyaient des mails à minuit et n’avaient plus de limites de temps de travail.

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Cela dure depuis trop longtemps : au début il y a eu une vraie hausse de productivité pour tout le monde, mais la lassitude se fait sentir, la démotivation est là, le lien social me manque beaucoup. Ça manque de voir des gens et d’avoir une soupape entre le travail et la vie privée. Surtout que le temps que je ne passe plus dans le TGV, je ne peux pas l’occuper pour des activités de loisirs, puisqu’on ne peut plus rien faire.


(Photo illustration NR – Jérôme Dutac)

Alexandre, analyste programmeur

« Depuis mars 2020, je suis en 100 % télétravail, je crois que je suis retourné au bureau trois fois en un an ! Mais pour ceux qui ressentent le besoin de voir les collègues, d’être un peu sur place, on est autorisés à passer une journée par semaine dans les locaux de l’entreprise. La direction a proposé à tout le monde de prendre le nécessaire : chaise, clavier, souris, écran, pour améliorer nos conditions de travail. J’avoue que d’avoir une pièce consacrée au travail chez moi me permet de faire une vraie coupure : quand je ferme la porte, ma journée est terminée. »

LES +

Être à domicile permet un peu plus de flexibilité sur les horaires (qui étaient déjà assez flexibles en présentiel), de ne pas être interrompu toutes les dix minutes par des questions, ce qui me permet d’être plus efficace… et j’économise bien sûr en frais d’essence !

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Ce petit moment dans la voiture, à écouter des podcasts pour décompresser et me changer les idées, ça me manque un peu quand même… Je crois que l’idéal ce serait d’alterner trois jours de télétravail et deux jours de présentiel, car ça fait du bien de voir du monde !


Frédérique, responsable commerciale dans le tourisme

« Je travaille en “ home office ” depuis 16 ans, c’est dans mon contrat de travail. J’ai longtemps travaillé avec un bureau dans la chambre ou dans le coin repas et aujourd’hui j’ai repris la chambre de ma fille, ce qui permet de marquer la coupure entre travail et vie privée. Le seul changement du confinement, pour moi, c’est l’absence de déplacements : j’étais en télétravail un jour par semaine, maintenant, c’est toute la semaine ! »

LES +

Pouvoir accompagner mes enfants à l’école quand ils étaient petits, faire les devoirs avec eux et finir ma journée de travail ensuite, c’est une flexibilité que j’apprécie, tout comme le fait de gagner le temps de transport. Et puis côté boulot, le fait de ne pas être interrompue fait que je suis plus efficace.

LES –

Mine de rien, cela occupe une pièce de la maison ! Et les compensations ne sont pas toutes au rendez-vous côté frais de chauffage ou d’électricité. Avec le temps, je sais qu’il faut être rigoureux dans les horaires, commencer tous les jours à la même heure, pour ne pas laisser le pro déborder sur le perso. Sans oublier une vraie pause dans la journée, pour prendre l’air, marcher, faire du vélo, c’est essentiel !

Propos recueillis par Maud Martinez
Photo ouverture : NR – Thierry Roulliaud