Lucie Branco, tailleure de pierre et Compagnon du devoir

Lucie Branco a été la première femme reçue Compagnon du Devoir, comme tailleure de pierre. Elle a dû faire preuve de beaucoup de persévérance et de pugnacité dans un univers très masculin.

Lucie Branco a fait un parcours exceptionnel. ©Pascale Lourmand

Pas facile d’intercepter Lucie Branco ! Surbookée, constamment occupée, « elle est très prise », précise Virginie Tostain, directrice du Musée du compagnonnage à Tours. C’est cette institution, coincée près du square Prosper-Mérimée, qui devait inviter Lucie Branco le 20 mars [En raison des conditions sanitaires actuelles, la rencontre a été annulée – NDLR].

Tailleure de pierre, elle est la première femme à avoir été intronisée Compagnon du devoir. « Et l’une des trois premières adoptées », précise-t-elle, une fois que l’on réussit à l’avoir au bout du fil.

Ce monde du compagnonnage, elle l’a découvert à Lille, d’où elle est originaire. En 1995. « J’ai rencontré des Compagnons du devoir dans un bar. Leur façon d’être m’a tout de suite fascinée. Ils étaient heureux, épanouis, bien, une joie de vivre et une sacrée confiance, retrace celle qui vit désormais à La Rochelle. Ça n’avait rien à voir avec les jeunes de mon lycée de l’époque. Surtout que quand on est ados, on n’est pas très bien dans sa peau. Là c’était totalement différent. »

Un monde très masculin

Elle a alors 18 ans et c’est le déclic : « Je m’y suis intéressée et suis tombée dans la marmite ! » C’est un nouveau monde qui s’ouvre à elle. Un monde qui peut paraître mystérieux aux yeux des gens, il est vrai. Lucie Branco éclaire : « Les Compagnons du devoir sont un organisme de formation, dans un esprit d’ouverture et de partage, avec un côté voyage. On forme différemment en faisant un tour de France. 90 % de nos jeunes ont un emploi à la fin de la formation. La transmission est notre axe principal. »

Mais dans un univers exclusivement masculin, difficile de se faire une place. « En étant une femme, c’est forcément différent. C’est plus long, plus compliqué. J’ai dû, à l’époque, faire deux fois plus mes preuves. »

On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues

A ses débuts, l’utilisation de la massette, cet outil de 1,5 kg, est très compliquée. « Très douloureux, oui ! », avoue-t-elle en riant. « Au départ, j’étais tellement fatiguée à la fin de la journée, que je rentrais et me couchais encore habillée, sans me laver ! » Peu importe le temps, qu’il vente, qu’il pleuve, Lucie Branco est sur les chantiers. À tailler la pierre. Une fatigue physique et non mentale, comme elle le dit. Mais elle est si heureuse d’avoir intégré cet univers que les efforts ne la rebutent pas.

Cette passion, son amour pour ce corps de métier, elle cherche également à le transmettre dans le livre qu’elle a écrit, « On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues ». L’ancienne timide devenue « grande gueule au tempérament affirmé », comme elle le dit, y retrace son parcours exceptionnel.

Quant aux lectrices qui seraient intéressées pour devenir tailleures de pierre, Lucie Branco a un conseil : « Il faut qu’elles aient confiance et qu’elles y aillent avec leurs tripes ! Affirmez-vous ! La confiance en soi est vitale, il faut être convaincue et ne pas se laisser abattre. »

Aurélien Germain

Apprentissage : la passion au bout des doigts

Quand l’apprentissage séduit 75 % des jeunes Suisses, la France peine à le valoriser. Ils ont entre 17 et 25 ans, ils travaillent dur mais gardent le sourire : ces huit apprentis tourangeaux nous ont expliqué leurs choix.

APPRENTIS_Paolo 7PAOLO BETTENCOURT, 17 ANS, APPRENTI PALEFRENIER-SOIGNEUR

Non, on ne va pas vous faire le coup de « L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux ». Ça collerait bien à Paolo mais c’est tellement cliché qu’on va résister à la tentation. N’empêche que l’apprenti palefrenier (avouons-le, pour les néophytes que nous sommes, ça sonne très Game of Thrones) est bien plus prompt à parler aux chevaux qu’aux journalistes. Ça tombe bien finalement, il devrait rencontrer davantage de spécimens de la première espèce que de la seconde. « Ils m’apaisent (les chevaux, pas les journalistes). Avec eux, je me sens bien », finit par lâcher Paolo.
Le jeune homme suit des cours au CFA (Centre de formation des apprentis) de Fondettes et fait son apprentissage à La Grenadière, le centre équestre de Saint- Cyr-sur-Loire. Son outil indispensable ? Le grattoir, sorte de large pelle, grâce auquel il nettoie les box.

OCÉANE SIMMONEAU, 20 ANS, APPRENTIE FLEURISTE

Océane a les fleurs dans la peau. Au sens propre comme au figuré : l’apprentie fleuriste s’est fait tatouer deux roses entrelacées sur l’avantbras. « J’ai toujours aimé les fleurs, c’est de famille : mon grand-père était passionné », glisse-t-elle. Depuis trois ans, la chic petite boutique de Dominique Beauchesne [qui vient malheureusement de nous quitter à l’âge de 65 ans, NDLR] de la rue Courteline à Tours, l’accueille en apprentissage. Elle y prépare son brevet professionnel, après un CAP qu’elle a décroché en juillet de cette année.
L’apprentissage, elle aurait voulu le commencer plus tôt, dès la 3e. Mais dur dur de décrocher si jeune un contrat en alternance ! « Dans la boutique, on est dans la réalité, c’est ce qu’il y a de mieux pour préparer à la vie professionnelle », commente-telle. Sa fleur préférée ? « La digitale, répond-elle sans hésiter, plantant (haha) ses yeux dans ceux de son interlocuteur. Jolie, mais mortelle ». Avec un sécateur entre les mains, Océane ferait presque flipper.

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GUILLAUME BUREAU, 17 ANS, APPRENTI TAILLEUR DE PIERRE

C’est au niveau de l’enceinte de la cité royale de Loches un beau jour de pluie que nous avons déniché Guillaume, en deuxième année de CAP de tailleur de pierre (en apprentissage entre le CFA de Saint-Pierre-des-Corps et l’entreprise Menet). Tout en se pliant à nos caprices (« On peut utiliser le compas, pour la photo ? Et la hache ? Ah oui, c’est bien la hache ! ») il a gracieusement expliqué qu’il a « voulu entrer en apprentissage parce qu’il détestait les cours ». Il a fait un stage de 3e dans cette même entreprise et le métier lui a plu.
« J’ai aimé travailler avec les monuments, je trouve que c’est quelque chose de chouette, la matière, la pierre, mais surtout ça a un côté artistique et ancien. Quand on dit qu’on travaille sur les monuments historiques, c’est forcément bien vu. Un seul problème : la pluie. »

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SOULEYMANE OUATTARA, 17 ANS , APPRENTI BOUCHERAPPRENTIS_Souleymane Ouattare credit Chloe Chateau 1

En le trouvant couteau en main à désosser un énorme morceau de viande, on ne s’attendait pas à sa timidité. Au milieu des gigots, palerons, et autres jambons de la boucherie-charcuterie Dufresne, place Velpeau, nous comprenons que Souleymane est pragmatique. Il nous explique en effet qu’il a choisi le CAP Boucher du CFA de Joué-lès-Tours « parce qu’en boucherie c’est difficile de chômer et qu’en apprentissage on est payé. »
Au CFA il se sent « favorisé : je trouve ça mieux que de rester au lycée pendant trois ans où on fait beaucoup moins de pratique. » Actuellement en première année, il apprend à différencier les morceaux de viande, leur temps de cuisson… et ne dirait pas non à un bon morceau de filet de bœuf.

HÉLOÏSE BARBE, 21 ANS, APPRENTIE CORDONNIÈRE

On est loin du cordonnier voûté sur une machine à peine éclairée dans un boui-boui aussi sombre qu’un cendrier usager. Héloïse, en apprentissage à l’Atelier de la Cordonnière, à Tours, est fraîche, sympa, et symbolise à elle seule le renouveau de la profession. Elle travaille auprès de Cindy, jeune et dynamique cordonnière, tout juste installée.
« En arrivant ici, j’ai eu l’impression de me jeter dans le vide, témoigne Héloïse. J’apprends à répondre vite et facilement à la demande du client… » Le seul bémol, dit-elle, c’est d’alterner semaines de cours et semaines de travail. « Ça met dans une position d’entre-deux parfois inconfortable, on peut perdre le fil de travaux en cours, c’est un peu frustrant. Mais ça donne envie de travailler ! Et c’est en entreprise que j’apprends le plus ».

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SIMON PIETRZAK, 20 ANS, APPRENTI SOMMELIER

Quand Simon dit que ça sent le sous-bois, c’est rarement à l’occasion d’une balade en forêt. Le jeune apprenti sommelier, au Bistrot des Belles caves à Tours depuis septembre, dégaine son tire-bouchon plus vite que son ombre, visiblement à l’aise dans son tablier de sommelier.
« J’ai une semaine de cours au CFA et deux semaines en entreprise, explique le jeune homme. La formation me donne une bonne base théorique pour la connaissance des vins mais c’est très important d’être sur le terrain : ici, David, mon maître d’apprentissage, m’apprend le vin mais aussi le service, ce qui est le premier métier du sommelier ». Le jeune homme au nom imprononçable apprécie tout particulièrement la liberté que lui laisse l’équipe du Bistrot sur le choix des vins : « Ça me donne une grande confiance en moi ! Ici, j’apprends à être autonome et à bosser en équipe. Quand j’entrerai dans une entreprise, je serai prêt ».

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HUGO LANDI, 19 ANS, APPRENTI CARROSSIER

« Les voitures, je m’en fous ». On est à Veigné, dans le garage Auto Classique Touraine, et c’est donc Hugo, apprenti carrossier depuis deux ans, qui nous parle. Qui nous décontenance, plus précisément. C’est-à-dire que dans un entreprise spécialisée dans la carrosserie de voitures anciennes, on s’attend à un autre type d’entrée en matière. Mais finalement non, Hugo n’est pas mal luné, il est juste (un poil) brut de décoffrage. « Ce que j’aime, poursuit-il, c’est travailler la taule, et c’est sur les voitures qu’il y a le plus de technique, c’est ici que c’est passionnant ». Ah, on a eu peur…
Hugo préfère même de loin être au garage qu’en cours. Son rythme : deux semaines en classe (au CFA de Tours-Nord), quatre semaines en entreprise. « Rester assis sur une chaise, très peu pour moi. L’apprentissage, ça me permet de travailler, d’être payé et de faire un truc que j’aime ».

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APPRENTIS_Audrey 1AUDREY FRUTEAU DE LACLOS, 24 ANS, APPRENTIE PÂTISSIÈRE

Audrey n’est pas gymnaste, enfin pas à notre connaissance, mais elle maîtrise parfaitement le grand écart : l’apprentie pâtissière, avant de coiffer sa toque et de manier le fouet, a d’abord suivi des études d’architecture à La Réunion. Rien à voir, donc. « Ça ne m’a jamais plu, l’architecture », lâche-t-elle. « Mais me lever pour faire des gâteaux, ça me met de bonne humeur. » Ni une ni deux, elle passe son CAP, intègre les compagnons du devoir à Paris puis, dans le cadre de son tour de France, atterrit dans le petit (mais fameux !) laboratoire de la pâtisserie-chocolaterie Bigot à Amboise. Il y a pire, comme destination !
« C’est une ambiance familiale, mais il y a un bon esprit de travail, c’est très rigoureux, c’est tout ce que j’aime dans la pâtisserie ! Et travailler en entreprise, c’est comme ça qu’on apprend le plus vite. »

Textes : Chloé Chateau et Gaëlle Le Roux
Photos 1, 2, 5 à 8 : Gaëlle Le Roux / Photos 3 & 4 : Chloé Chateau