Loi sur le renseignement : pourquoi Jean-Patrick Gille a voté contre

Le député PS Jean-Patrick Gille, a voté contre la loi de surveillance qui était présentée la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Il nous explique ce choix.

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Pourquoi ce non, alors que la majorité des députés PS ont voté pour ?
Je comprends tout à fait que le gouvernement légifère pour moderniser le renseignement en France. Mais cette loi pose l’éternelle question : à quelles libertés doit-on renoncer pour plus de sécurité ? J’ai voté contre au nom de la défense des libertés publiques et de l’individu. J’ai la conviction qu’il n’y a pas assez de garanties notamment sur ces fameuses boîtes noires. Il sera impossible de voir le contenu de vos messages mais l’idée, c’est de faire des connections avec les personnes que vous contactez ou les sites que vous visitez.

Qu’est-ce qui vous gêne précisément ?
Quand vous créez une loi sur le renseignement, ce qui est compliqué, c’est que les procédures se passent avant d’entrer dans le domaine judiciaire. Aucune des demandes n’est encadrée, dans ce projet, par la justice. Au moment où vous mettez quelqu’un sur écoute, c’est l’exécutif qui est directement responsable, ce qui veut dire que les pratiques sont en fonction de qui est au gouvernement. Une démocratie existe quand il existe des contre-pouvoirs. Là, il n’y en a pas. Je pense qu’il faudrait réintroduire la présence d’un juge.

Le projet de loi met pourtant en place une commission qui devra valider les demandes ?
J’ai été ébranlé par la position de Jean-Marie Delarue qui est l’actuel président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Il déclare que la future commission aura moins de pouvoir que celle qui opère actuellement et que le projet de loi prévoit qu’en cas d’urgence, on puisse carrément l’outrepasser. Je ne fais pas de procès de mauvaises intentions à mes camarades au gouvernement. Je pense juste que c’est la pratique qui va dicter l’utilisation de cette loi. Et l’Histoire nous montre bien qu’un gouvernement peut en abuser.

Loi sur le renseignement : « Des dispositions liberticides »

Christopher Talib est chargé de campagne à la Quadrature du Net. L’association défend les droits de l’Homme dans la société numérique. Interview.

Logo de la Quadrature du Net
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Le 19 avril, François Hollande a annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel pour la loi sur le Renseignement…
Tout le monde a été surpris qu’il annonce ça. Le problème, c’est qu’il y a saisine sans raison. Il est possible que le Conseil constitutionnel ne voit pas où est le problème ici. Il faut montrer que telle ou telle disposition pose un souci. Il a fait ça pour effacer le débat public.

Tout le monde ne connaît pas votre asso. Quelle est la position de la Quadrature du Net sur ce projet de loi ?
On est contre ! (rires) Nous sommes une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Donc contre cette loi aux dispositions liberticides et cette surveillance de masse. Il y a un manque de contrôle citoyen ! Des tonnes de données vont être ratissées, alors qu’on nous dit que c’est pour aider dans la lutte contre le terrorisme… Tout sera couvert par le Secret défense. Un citoyen ne pourra donc pas savoir lesquelles de ses données ont été récupérées…

Une disposition crée vraiment la polémique : les boîtes noires…
Ce n’est pas une petite boîte noire, c’est une immense armoire ! (rires) On place ça au coeur du réseau, afin de brasser les données. On nous dit que ça fonctionne avec un algorithme. Or, ils vont devoir regarder tout le monde pour identifier ces comportements suspects. Ils disent que celles-ci seront détruites. D’accord, mais… le problème de base, c’est qu’ils les aient !

Si je masque mon adresse IP, je suis potentiellement suspect ?
Pour avoir des suspects, il faut déjà les modéliser, une norme. Que va-t-on faire des comportements alternatifs ? Ceux qui naviguent sur Tor (qui permet de surfer anonymement, NDLR), ou XMPP (un protocole de messagerie instantanée) ?

C’est utopique de dire qu’il est possible de contourner cette loi ?
C’est faisable. Si on construit un mur pour se protéger, il ne servira à rien si l’attaque est aérienne… Quand on voit les réseaux d’Al Qaïda, ils savent comment se cacher et ne pas être fichés.

Si j’écris un message privé sur Facebook à quelqu’un, on pourra le lire ?
Non, la NSA les lit déjà.

Vous dites donc qu’on est tous épiés ?
Les géants du web qui se plient aux services secrets, c’est une violation des libertés individuelles. Est-ce qu’on accepterait, dans la rue, d’avoir une grande plaque autour du cou avec toutes nos données, notre identité, d’où on vient, ce qu’on a fait ? Non.

Vous utiliseriez le terme de « dangereux » pour cette loi ?
Clairement. J’ai découvert que ce projet de loi était dans les cartons depuis longtemps. Seule la disposition sur les boîtes noires est récente. Les hébergeurs n’ont même pas été contactés au début.

Selon vous, le gouvernement passe-t-il en force ?
Oui. Le renseignement doit être modernisé, c’est évident. Mais ça ne se fait pas dans l’urgence. Il faut un vrai débat pour respecter la liberté des gens. Il faut des gardes-fous, car un service de renseignement peut toujours déraper.

Plus d’infos sur le site de la Quadrature du Net.

→ Retrouvez notre dossier intégral sur la surveillance Internet par ICI.

Internet : mais que fait Big Brother ?

Les députés devraient adopter, sans surprise, le projet de loi relatif au renseignement lors d’un vote solennel le 5 mai. Mais entre cette loi, les Google, Facebook et consorts, doit-on se demander si l’on est tous et toutes surveillé(e)s ?

Libéréééé, surveillééé…

Image17La loi sur le renseignement continue de faire débat. Encore plus après l’attentat déjoué à Villejuif (un suspect a été arrêté le 19 avril). Les pro et les contre s’affrontent. Les premiers en sont certains : la loi est nécessaire pour prévenir et lutter contre le terrorisme. Les seconds y voient une loi liberticide et une surveillance de masse.
Officiellement publié le 19 mars, puis discuté le 13 avril (30 députés sur 577 étaient présents ce jour-là…), le projet de loi relatif au renseignement est une étape supplémentaire dans l’après-Charlie. But assumé ? Légaliser les pratiques – jusque-là illégales – des agents de renseignement. Comment ? En autorisant la pose de micros dans un appartement ou un véhicule, écouter les communications téléphoniques (avec les IMSI-catchers qui fonctionnent dans un rayon d’un kilomètre), utiliser des balises GPS… Le tout, sans l’accord d’un juge. Le gouvernement veut détecter les comportements « suspects ». Le renseignement pourra donc désormais récupérer les métadonnées des échanges électroniques et surveiller le clavier de n’importe qui perçu comme suspect.

Cela ne concerne pas uniquement la lutte anti-terroriste. Car quand on parle de renseignement, on y inclut d’autres domaines (scientifique, économique…). « L’espionnage industriel, par exemple, fait partie du renseignement », rappelle Christopher Talib, de la Quadrature du Net. Vent debout contre certaines mesures (grâce à des boîtes noires, il sera possible d’espionner à la source, par exemple chez les fournisseurs d’accès), certains hébergeurs ont menacé de quitter le pays.
« Oui, mais si on n’a rien à se reprocher ? » Certes. Mais l’ensemble du trafic étant surveillé (puisqu’il faut déceler ces fameux comportements suspects), vous le serez tout autant. À vrai dire, les géants du web vous épient déjà. Facebook vous connaît mieux que votre môman et sait tout de vous (d’après les conditions d’utilisation, section 2.1, vous acceptez que vos données leur appartiennent). Le scandale Prism a prouvé que la NSA pouvait avoir un œil sur vos conversations. Google monnaye vos données aux publicitaires. En cliquant sur « j’accepte » en jouant à Candy Crush, vous les laissez accéder à un paquet de vos infos.
En 2013, l’un des boss de Google, Vint Cerf, un des pères fondateurs d’internet, disait qu’il serait de plus en plus difficile pour eux de garantir la vie privée. « La vie privée peut être considérée comme une anomalie », clamait-il fièrement. Visionnaire ?

>>> CLIQUEZ SUR LA PHOTO POUR DÉCOUVRIR LA SURVEILLANCE SUR LE WEB EN CHIFFRES :

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→Retrouvez ici l’interview de Christopher Talib, de la Quadrature du Net, à propos de la loi sur le renseignement

69 % des Français pensent que la loi sur le renseignement est utile (sondage Odoxa pour Le Parisien). 54 % pensent cependant qu’elle porte atteinte aux libertés et seulement 34 % font confiance au gouvernement pour protéger la vie privée.

>>LA PHRASE « Personne ne pourra écouter votre conversation, aucun service, sans demander une autorisation. » François Hollande, sur Canal + le 19 avril, à propos de la loi sur le Renseignement. Il a promis de « saisir, au terme de la discussion parlementaire, le Conseil constitutionnel ».

→ NEUF CLASSIQUES DU « JE TE VOIS »

Parce qu’à côté de ces neuf œuvres, films et livres, la loi sur le renseignement, c’est vraiment de la gnognotte ! Pfeuh.

DOSS_IMAGE1Minority Report
Inspiré d’une nouvelle de Philippe K.Dick, le film de Spielberg parle d’un système de prévention sophistiqué. Une brigade Pré-Crime et ses précogs prévoient les crimes à l’avance. Certains le comparent à notre loi du renseignement. Avec Tom Cruise en moins.

1984 DOSS_IMAGE2
Roman culte de George Orwell (1949) : c’est à lui qu’on doit le fameux Big Brother (vas-y, regarde-moi, oh oui !) dans une société de surveillance, de réduction des libertés et de « télécrans ». Référence pour journalistes en panne d’inspi (nous y compris).

DOSS_IMAGE3Citizenfour
Un docu signé Laura Poitras sur l’ancien employé de la NSA, Edward Snowden. Le lanceur d’alerte est maintenant reclus à Moscou. La réalisatrice, elle, est exilée à Berlin. Morale ? Balancer que nos communications sont espionnées coûte cher en déménagement.

Les Simpson – le film DOSS_IMAGE4
Dans l’adaptation ciné de la série, la famille Simpson découvre que la NSA et le gouvernement surveillent leurs conversations. Le scandale PRISM des écoutes de la NSA éclatera en 2013. Le film, lui, date de 2007… Edward Snowden/Edward Simpson ? #complot.

DOSS_IMAGE5La grande surveillance
ADN, caméras de surveillance, internet, portables… Argh, n’en jetez plus : vous êtes tous et toutes fliqués, espionnés, fichés. Grâce à l’enquête de Claude-Marie Vadrot, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas. Un petit verre de parano ? Volontiers.

Ghost in the shell DOSS_IMAGE6
Manga futuriste de Masamune Shirow, avec un cyborg et un cybercriminel qui prend le contrôle d’un humain, via le Réseau numérique mondial, soit l’évolution d’internet. Ça vous apprendra à faire confiance au web (et aux cyborgs). Prends ça Mark Zuckerberg !

DOSS_IMAGE7Open Windows
Un jeune fan (Elijah Wood) accepte d’espionner sa star préférée via son ordinateur. Avant d’avoir de grooos problèmes. Un film qui prouve que 1) même un ordi éteint vous espionne, 2) c’est pas bien de mater, 3) l’ex-star du porno Sasha Grey est devenue sage.

La zone du dehors DOSS_IMAGE8
Roman de Damasio sur une société fliquée, où les gens sont formatés et se surveillent même entre eux. Sauf un groupuscule contestataire qui va faire son bazar. De quoi calmer les pseudo-révolutionnaires sur Facebook, car il n’y a plus de frites à la cantoche.

DOSS_IMAGE9Projet échelon
Le film de Martelli se focalise sur des opérations de surveillance de masse, dirigées par la NSA (encore eux !) : ou comment permettre à ses agents d’écouter et voir n’importe qui, via un téléphone même éteint. Pire que Facebook et que votre maman réunis.

→ BOÎTE NOIRE : KEZAKO ?

3 QUESTIONS À… Laurent*, développeur en Touraine

On a beaucoup parlé des boîtes noires pour la loi sur le renseignement. Mais qu’est-ce que c’est ? Comment ça fonctionne ? Image18
Ça se place au niveau d’une infrastructure réseau, au plus bas en terme de protocole. Comme c’est un protocole réseau, c’est casse-pied à étudier, analyser et mettre en oeuvre. Concernant sa mise en place, la boîte noire voit passer tous les flux, c’est-à-dire les échanges sur le réseau. Elle regarde les « paquets ». On va regarder à quoi ressemblent les données. En fait, c’est le principe du colis à La Poste : il y a l’adresse et le nom sur l’extérieur et le colis en lui-même. Pour cette loi sur le renseignement, on ouvre les « paquets ». Comme si on ouvrait le colis à La Poste. Et on regarde le contenu.

On a beaucoup parlé d’algorithme. Vous pouvez l’expliquer simplement ?
C’est une recette de cuisine ! Avec cette loi, en fonction du contenu des « paquets », on cherche tel type de mot. Est-ce que le mot « attaque » est proche du mot « Paris », par exemple. On peut voir combien de fois un terme est employé et répété.

En tant que développeur, quel est votre avis sur la loi ?
La question est vaste et sensible. Je pense qu’ici, ce ne sont ni les bons outils, ni la bonne façon de faire. De plus, ce fonctionnement peut être mis en défaut. Avec des canaux chiffrés, des services qui servent à chiffrer un tunnel de communication ou simplement se voir dans la vraie vie… En fait, là, on légalise simplement certaines pratiques déjà courantes. Croyezmoi, certaines entreprises et sociétés ont déjà des boîtes noires…
* (le prénom a été modifié)

Vidéosurveillance : souriez, vous êtes filmés

Tmv a fait une petite balade… sous l’œil des caméras. Levez les yeux, elles sont plutôt nombreuses et pas forcément où on les attend. Visite guidée et paroles de Tourangeaux

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Il paraît que les murs ont des oreilles… mais aussi des yeux. Si, si, regardez un peu à droite, à gauche, les façades des bâtiments. Mais aussi les poteaux, le tramway, les lampadaires. Vidéosurveillance pour les uns, vidéoprotection pour les autres : peu importe la terminologie, le débat a toujours agité Tours. Pendant la campagne des municipales, Serge Babary (lire notre interview ICI) a répété vouloir de nouvelles caméras dans les rues, notamment dans des « zones sensibles ».
Le bas de l’avenue Grammont est plutôt vide, en matière de caméras, à part autour de la Maison d’arrêt de Tours. Arrivée à la place de la Liberté : les petits yeux sont là. Des boules, appelées « caméras Dome », sont posées sur le réseau du tramway et son environnement. Elles sont gérées par Kéolis, un opérateur privé. Vous ne les voyez pas forcément (d’un côté, qui se balade le nez en l’air ?). Mais curez-vous le nez dans la voiture, vous êtes vus. Embrassez goulûment votre dulcinée à l’arrêt Liberté, en attendant le tram, vu aussi !
Un peu plus loin, en plein quartier du Sanitas, la vidéoprotection hérisse le poil de certains habitants. « Il y a des caméras partout ! Au Palais des sports, au Centre de vie… Le Sanitas, c’est Big Brother ! », lance Ibra.
Accompagné de son ami Jonathan, il traîne dans le quartier et fait la moue à chaque caméra. « C’est pas ça qui va arrêter la délinquance. Ceux qui croient le contraire ne réfléchissent pas. Un type qui voudra voler un autre n’aura qu’à le faire un peu plus loin », souffle-t-il, dépité.
Inefficace, donc ? Catherine Lison- Croze, présidente de la Ligue des droits de l’homme Touraine (LDH37), le pense aussi. « Les caméras ne dissuadent pas. J’étais avocate pendant 40 ans et j’ai bien vu que les gens savaient s’adapter aux moyens de dissuasion. La loi oblige à prévenir de la présence des caméras. Donc on ne fait que déplacer le problème. » Avant d’asséner que « ce qui est ciblé, ce sont les couches populaires, les plus pauvres ». Récemment, Jean Germain, à l’origine de la vidéoprotection à Tours, se justifiait en rappelant que « les gens ont le droit de se promener en ville sans être ennuyés ».
« Le Sanitas, c’est le royaume des caméras. Je ne suis pas contre la vidéosurveillance, mais il ne faut pas exagérer… », soupire André, septuagénaire, vivant dans le quartier depuis une dizaine d’années. Trop de caméras, alors ? Non, d’après quelques habitants croisés. Notamment pour deux étudiantes, Marjorie et Leïla, qui estiment pour leur part que « la vidéoprotection a apporté un bénéfice au quartier. Pas seulement pour la sécurité, mais ça a poussé certains à respecter un peu les bâtiments, les gens, la tranquillité de tous… »
La balade continue. Le soleil tape. On se retrouve devant la gare, baignée par le soleil et où l’on peut apercevoir des caméras « boîtes » : de longs boîtiers, les plus répandus, que l’on voit souvent sur les bâtiments publics. Dites-vous que quand vous courez comme un dératé pour attraper votre train, vous êtes filmés ! Idem tout autour des arrêts de l’arrêt gare du tramway.
Une présence qui ne semble pas beaucoup déranger ici : « C’est même plutôt rassurant, surtout sur le parvis de la gare, le soir. Quand on rentre, seule, on a un peu la trouille… », raconte Sarah, 19 ans. « Et je me mets à la place de quelqu’un qui va se faire piquer son portefeuille. Moi, ça m’arrangerait bien que les vidéos aident à retrouver le voleur ! »
La gare oui, mais le tramway… c’est visiblement plus problématique. En apercevant la petite caméra suspendue à l’arrêt, exploitée par Kéolis, Pierrick, Tourangeau de naissance, se sent « épié et pas à l’aise ». Chaque rame compte deux caméras extérieures et huit intérieures. Ces dernières sont indiquées par de petits écriteaux, au-dessus de vos têtes quand vous validez votre ticket. Sans compter celles disposées aux abords, tout le long de la ligne, Joué-lès-Tours y compris. Un système qui avait, par exemple, permis à la police, en novembre dernier, d’éplucher les bandes vidéos et d’arrêter trois femmes coupables de nombreux vols à la tire dans le tramway.
Début mars, MobiliCités (portail des transports publics et de la mobilité) expliquait que, suite à une demande de Kéolis Tours, le préfet avait autorisé le transporteur à installer 22 caméras aux abords des stations. Seule condition : l’exploitation des images serait du ressort des pouvoirs publics.
S’appuyant dessus, La Rotative, site collaboratif d’informations locales, s’interrogeait sur la visualisation des images filmées sur la ligne de tramway, plus uniquement réservée aux compétences de la police, mais aussi désormais aux agents de Kéolis. En citant un arrêté préfectoral du 20 décembre 2013, qui faisait disparaître la référence de « visualisation de l’image ». « Celle-ci n’est donc plus réservée aux flics (sic), et les agents de Kéolis pourront passer leurs journées à regarder la ville depuis leurs écrans de vidéosurveillance », écrivait La Rotative. Or, la loi stipule bien que le public doit être informé de la présence de vidéoprotection. Si c’est bien le cas à l’intérieur des rames du tramway, tous les arrêts que nous avons visités ne présentaient pas de panneaux pour l’annoncer.
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Alors pour se reposer un peu, direction les quais, au bord de la Loire. On finirait presque par s’habituer à tous ces petits objectifs. En grignotant votre sandwich, sur les marches de l’Hôtel de ville, vous pouvez voir quelques caméras si vous levez un peu les yeux. Il y a aussi celles collées aux banques le long de la rue Nationale, autour du commissariat rue Marceau ou encore aux lycées René-Descartes et Paul-Louis-Courier.
Il est 15 h et une dizaine de collégiens, 16 ans à tout casser, sirotent des bières. Ça fume aussi (mais chut, il ne faut pas le dire). En attendant, une vingtaine de caméras observe tout ça. Julie, en classe de 3e, en rigole : « Bah, de toute façon, ça ne filme pas, c’est juste pour faire peur ! » Sa copine Sandra rétorque : « Au moins, depuis les caméras, c’est devenu plus calme et tranquille ici. »
Un couple, posé au bord de l’eau à bouquiner, ne se dit « pas dérangé » par cette vidéoprotection le long de la Loire. « Il ne faut pas polémiquer pour rien. Le Tourangeau est parano ! Si on n’a rien à se reprocher, où est le problème ? »
Le problème, pour Catherine Lizon-Croze, présidente de la LDH37, c’est le trio effet-coût-liberté. « La vidéosurveillance est inefficace. En plus, c’est une politique onéreuse dans une période de pénurie et d’économie. Et c’est attentatoire aux libertés individuelles. » Un débat loin d’être tranché. « La vidéosurveillance n’est qu’un outil, il ne faut pas caricaturer. Il faut en ajouter, mais ce n’est qu’un outil. La priorité c’est la prévention », a encore récemment rappelé Serge Babary dans la presse locale.
ALLER PLUS LOIN
tours.sous-surveillance.net
Projet né sur le web, c’est une cartographie participative et collaborative qui recense toutes les caméras de vidéosurveillance de Tours. Construit à la manière d’un Google Maps, ce plan indique aussi le nom de l’opérateur, public ou privé, ainsi que l’endroit précis filmé et l’apparence de la caméra (boîte, Dome…)
LES DÉBUTS C’est au Royaume-Uni que s’est généralisée la vidéosurveillance, suite aux attentats de l’IRA. Il reste d’ailleurs le pays d’Europe le plus « télésurveillé », avec au moins 4,2 millions de caméras installées depuis 1990. Londres, la capitale, est la ville qui en compte le plus.
À TOURS Aujourd’hui, il existe près d’une soixantaine de caméras dites de « vidéoprotection », dans la ville. Une quarantaine surveille les bâtiments communaux. Les enregistrements sont archivés durant un mois et détruits ensuite, sauf si la police demande à les consulter.
OBLIGATIONS Depuis la loi du 21 janvier 1995, le public doit être informé de manière claire et permanente de l’existence d’un système de vidéoprotection. De plus, il faut savoir que chaque citoyen a le droit de demander à la municipalité les images enregistrées le concernant.

Serge Babary : "La caméra est un outil périphérique"

Serge Babary, nouveau maire de Tours, préconise d’augmenter le nombre de caméras de surveillance dans la ville.

DOSSIER BABARYAvant votre élection et pendant la campagne, vous avez dit vouloir doubler le nombre de caméras. Est-ce toujours d’actualité ?
La situation est la suivante : il y a soixante-cinq caméras officielles dans la ville de Tours. Sur ce chiffre, il y en a quarante qui surveillent les bâtiments municipaux. Et vingt-cinq sont positionnées dans des coins sensibles. Mais c’est insuffisant. J’en préconise une vingtaine de plus, ce qui porterait à 80-90. Une grande partie est utilisée pour la surveillance. La caméra est un outil, mais la politique de sécurité, ce n’est pas que ça, c’est plus vaste. Il y a aussi la prévention auprès des familles, des plus jeunes, la dissuasion, la police municipale… La caméra de surveillance est un outil marginal, périphérique. S’il n’y a personne derrière les écrans, ça ne sert à rien. Mon souhait est de renforcer, moderniser le suivi, la lecture des images. Il faut plus de réactivité pour la police et une réelle mission du personnel.

Pouvez-vous entendre les gens qui pensent en terme de liberté individuelle, de vie privée ou qui sont gênés d’être filmés ?
On peut raconter ce que l’on veut, mais n’oublions pas qu’il y a une durée de stockage, une restriction à l’accès des images, un floutage de visages, etc. De nos jours, on peut tracer tout le monde ! On peut savoir où vous êtes si vous payez par carte au péage… En ville, il y a aussi des caméras privées, aux distributeurs, bijouteries, soumises aux mêmes réglementations. C’est très strict.

Comme la présence de caméras est indiquée, ne déplace-t-on pas les problèmes ?
Je n’ai pas envie de les déplacer. 85 % de la délinquance se trouvent dans le vieux Tours, rue Colbert et dans le quartier de la gare. Il faut alléger la charge de délinquance là-bas. Quand on surveille, ça trouble juste les gens qui font des choses illégales. On les pourchassera. Je veux amener la tranquillité à la population.

Londres, la pionnière de la vidéosurveillance, a été critiquée, car les résultats n’étaient pas là. Vous n’avez pas peur de subir le même résultat à Tours ?
Non. Je souhaite un résultat positif. Tours est une ville moyenne. Une vingtaine de caméras en plus ne vont pas changer la taille de la ville, je ne me compare pas à Londres. Il faut plutôt se comparer à Orléans et leur centaine de caméras. C’est réussi, pour eux, en matière de contrôle de surveillance.

La Ligue des droits de l’homme nous a dit que c’était beaucoup d’argent pour peu d’efficacité. Que répondriez-vous ?
Je les connais très bien. Je suis preneur de toutes les solutions pour réduire la délinquance. Je ne veux pas fouler du pied les libertés publiques. Je veux juste que Tours vive tranquille.

Caméra de surveillance : que pensait la municipalité

Interview de Patrick Desard, le directeur de la prévention et de la gestion des risques de la ville de Tours. C’était en mai 2011.

Comment a été pensé le système de surveillance de la ville ?

Nous l’avons créé dans un esprit de protection des citoyens et pas de surveillance. Nous avons installé les caméras dans les lieux où nous pensons que les Tourangeaux peuvent rencontrer des difficultés.
Pourtant on utilise souvent l’expression de vidéo surveillance.
Le terme a évolué. De vidéo surveillance, nous sommes passés à vidéo protection.
Comment fonctionne ce système à Tours ?
Nous avons un centre de surveillance à la mairie de Tours. Il n’est relié à aucun accès internet pour éviter le piratage. Nous avons dix fonctionnaires qui ont prêté serment devant le tribunal. Ce n’était pas obligatoire mais le maire a tenu à ce qu’ils le fassent. Deux d’entre eux sont en permanence dans le centre. Dès qu’ils détectent une anomalie, ils peuvent zoomer. Chaque mouvement de la caméra est enregistré dans la main courante. Ensuite, ils contactent directement la police. Le central a des écrans reliés qui permettent de retransmettre ce que nos caméras captent. Ensuite, les policiers prennent le relais s’ils jugent opportun d’intervenir. Sinon, nous pouvons avoir loupé quelque chose. À ce moment-là, la police judiciaire peut faire appel à nous afin de récupérer les archives. Elles sont conservées un mois dans notre système et ensuite elles sont détruites.
Que pensez-vous des critiques prononcées à l’encontre de la vidéo surveillance ?
Le maire de Tours est très respectueux de la liberté individuelle. Lorsque nous avons installé la vidéo protection, nous avons pensé à des moyens de ne pas entrer dans la vie privée des habitants. Par exemple, sur les images provenant des caméras, des flous grisés apparaissent pour masquer l’intérieur des appartements ou des maisons. Lorsque nous actionnons le zoom, les prises de vue « chutent ». C’est-à-dire qu’elles filment seulement le rez-de- chaussée, jamais au-dessus.
La mairie a lancé un appel d’offres pour l’installation de onze nouvelles caméras (en décembre 2011, NDLR), vous pensez qu’elles sont nécessaires à Tours ?
Oui, j’en suis persuadé. La ville est devenue plus calme. C’est jugé nécessaire, nous n’en mettons pas pour le plaisir d’en installer. Nous ne voulons pas empêcher de faire la fête ni restreindre les citoyens, nous veillons juste que la tranquillité des uns ne soit pas gênée par d’autres.

Tours : caméras de surveillance, vous en pensez quoi ?

En mai 2011, nous avions demandé à des Tourangeaux de quel œil ils voyaient les caméras installées par la municipalité de Tours. Et aujourd’hui, vous, vous en pensez quoi ?

Vous saviez qu’il y avait des caméras de surveillance en ce moment sur les bords de Loire ?

Chantal : « Non, c’est fou, je ne les avais pas vues. En tout cas, ça me fait un peu peur. Je n’aime vraiment pas ça. C’est quand même triste d’en arriver là. On se croirait pisté, non ? Je ne crois pas qu’il y a plus d’agres- sions en ce moment. Je suis persuadée qu’installer ce type de systèmes de surveillance accentue l’angoisse et la peur de l’autre. Avant que vous me dites qu’il y avait des caméras, je me sentais bien et libre. Maintenant, je vais ranger mon livre et changer d’endroit. Se sentir surveillé, je trouve que c’est un sentiment horrible. »

Vous lisez quoi ?

David : « Un livre de science-fiction tendance cyber-punk. Le thème de la surveillance, du fichage est très développé dans ce type de littéra- ture. C’est pour cela que je ne suis pas étonné qu’il y ait des caméras qui me filment en ce moment. En même temps, je trouve qu’elles ne servent pas à grand chose à Tours. C’est une ville très calme. Je suis originaire de Blois et là, il y en a peut-être plus besoin. Les quartiers chauds touchent le centre-ville et il y a plus d’insécurité. Même si, au final, les caméras ne sont pas franchement efficaces pour lutter contre la délinquance. Et puis, en extrapolant, on peut arriver à des abus de la part de ceux qui nous surveillent. Il faudrait trouver le juste milieu, en mettre vraiment là où il y en besoin. »

Pensez-vous que les caméras de surveillance réduisent la délinquance ?
Guy : « Je ne sais pas si c’est efficace car le débat est, pour moi, autre part. D’accord, il y a des bagarres de temps en temps sur les bords de Loire, un peu de drogue et de fêtes alcoolisées, mais pour résoudre cela, nos élus ont tendance à trop simplifier. Il n’y a pas de subtilité dans la manière de penser à la sécurité en France. Il faut faire de la prévention, engager plus de policiers de proximité. Mettre des caméras de surveil- lance, sans savoir si ça marche, c’est franchement ne pas prendre le temps de réfléchir. »

Pour vous, à quoi sert la vidéo surveillance ?
Idylia : « C’est simple, ça évite qu’il y ait des problèmes, c’est dissuasif. Moi, je n’ai pas peur, je m’en fiche si je suis observée, je ne fais rien de mal. Je ne crois pas qu’il y ait de la curiosité de la part de ceux qui ont installé ces caméras. C’est plus de la prévention que du voyeurisme pour moi. »