4 métiers de l'ombre, 4 portraits

Ils font fantasmer ou sont tout simplement mystérieux. Ces métiers, tout le monde les connaît mais personne ne sait vraiment comment ils se pratiquent au quotidien.

Yann Le Briéro
Magicien
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Ses mains s’agitent. Comme une extension de sa vie sur scène, il parle avec le sourire, essaye parfois de détourner les questions. Gentiment. Sans brusquer. Comme si c’était la décision de l’autre. Yann La Briéro a la sympathie du magicien bien ancrée. Il a envie de faire découvrir son métier. Magicien, artiste, Yann le Briéro se produit dans tout le département. « J’ai la chance de ne pas travailler à plus de 30 km de chez moi », sourit le quadra. Il gagne bien sa vie, mais ne peut jamais se relâcher. « Même malade, j’y vais. » Métier baigné de lumière, la magie a aussi sa part cachée. Il y a bien sûr les tours que les professionnels s’engagent à ne pas dévoiler. Mais ce sont surtout les heures de travail que Yann Le Briéro met en avant. « Je peux parfois travailler pendant des mois sur un seul tour de carte, à raison d’une heure tous les jours avant de réussir. Pour moi, il faut au moins le réaliser 40 fois devant un public pour qu’il soit parfait. » Le geste exact. Assister à un spectacle de Yann Le Briéro, c’est aussi ne pas voir qu’il vous manipule. « Maintenant, quand je viens à une table, lors d’un mariage par exemple, j’identifie en quelques secondes le timide, la forte tête, le gentil, le curieux. Ça m’aide pour mes tours, je sais sur qui m’appuyer. »
Ombre et lumière
A mi-chemin entre la lumière et l’ombre, le cerveau du magicien tourne à plein régime sous le calme apparent de ses gestes mesurés. En représentation, il calcule, tout en souriant. Yann Le Briéro exerce ce métier depuis 17 ans. Une passion née d’une boîte de magie offerte à ses cinq ans… et de Gérard Majax. « J’ai pu le rencontrer par la suite, mais c’est lui qui m’a donné, le premier, envie de faire de la magie. » Le deuxième maître, il le rencontre des années plus tard. Yann Le Briéro fait des études d’ostéopathie. Un des étudiants, lui, est en reconversion. C’est un ancien magicien professionnel. « Il m’a dit : si pendant un an tu me fais un tour de magie toutes les semaines et que ça me plaît, je t’apprends tout ce que je sais. » Il réussit le challenge et devient son disciple. Yann le Briéro continue sa carrière d’osthéopathe, mais éprouve devant une audience, ses tours le week-end. En quelques années, la magie prend toute la place. Il se lance. « On ne pense pas forcément à ça quand on me voit faire des tours, mais une grande partie de mon temps, je la passe en rendez-vous ou à passer des coups de téléphone pour décrocher des spectacles. » Spécialiste du close-up (ou magie rapprochée), le magicien tourangeau ne rentre jamais dans les détails. Peur de trop se dévoiler, de donner l’indice de trop. Il évite encore en rigolant, parle d’internet comme d’un moyen d’apprendre beaucoup de tours. « Quand je suis sur scène, je me suis aperçu qu’il y avait une sorte de dédoublement de personnalité. Je parle beaucoup plus fort. » Plus exubérant. Yann Le Briéro décrit un monde de techniques, de grandes illusions, d’entraînements intenses. « Je renouvelle sans cesse ceux que j’ai déjà présentés. Ça s’oublie vite un tour. » De nouveau papa depuis seulement quelques semaines, Yann le Briéro prend souvent sa femme à témoin. « C’est mon premier public. Au début, elle était émerveillée ! » Il rigole encore. Ses grands doigts bougent au rythme de ses phrases. Il finit par lâcher : « Je n’arrête jamais vraiment de travailler. »
 

David Lecharpentier
Projectionniste
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Le bruit est assourdissant. Il provient du projecteur numérique installé dans cette petite salle sombre. Les images en mouvement passent à travers une petite vitre, pour ensuite être projetées sur l’écran du cinéma. David Lecharpentier fait visiter son lieu de travail, à l’étage du deuxième bâtiment des Studio. Loin du regard des spectateurs. Un ordinateur, un poster du Boulevard de la Mort de Quentin Tarantino et cette soufflerie, omniprésente. « Le bruit des pellicules était quand même plus agréable, ça berçait plus. » David Lecharpentier est projectionniste depuis 10 ans. Il a vu l’arrivée du numérique dans les salles de cinéma. Moins de manipulations techniques, de réglages, plus d’informatique. Derrière les salles obscures, la profession s’est adaptée. « Je suis plus polyvalent aujourd’hui, je travaille toujours autant mais j’ai des tâches différentes. Je dois nettoyer les lunettes 3D par exemple. » Nouvelle ère, nouvelles pratiques : la nostalgie du 35 mm n’est jamais très loin, même si David Lecharpentier avance sans trop s’apitoyer sur le sort du 7e art. Le projectionniste de 44 ans parle vite, sans vraiment reprendre son souffle. Phrases saccadées, il raconte son ancien métier d’intermittent, d’ingé son et lumière. La technique l’a toujours fasciné. Savoir comment ça marche. La lumière de lascène ne l’intéresse, en revanche, pas beaucoup. « J’étais dégoûté par ce côte réseau, il fallait manger avec untel, téléphoner, montrer que j’étais là. »
Réorientation
David Lecharpentier se réoriente vers le métier de projectionniste. Une formation à Château-Renault et un stage aux Studio lui ouvrent les portes de la cabine de projection. Ce métier de solitaire lui plaît. Il ne déteste pas les horaires de nuit. « Beaucoup de projectionnistes sont arrivés par hasard dans le métier. » Au début, il réceptionnait les bobines, notait sur une fiche d’éventuelles observations. Ensuite venait le réglage de la focale, « chaque film avait sa spécificité. En fonction de l’usure de la pellicule, la vitesse de lecture changeait. Il fallait faire attention à ne pas non plus la casser. On pouvait aller voir un film deux fois de suite et assister à deux versions différentes : les couleurs, les contrastes, la vitesse changeaient à chaque séance. » Le numérique, depuis, a tout bouleversé, lissé. Aujourd’hui, les films transitent de disques durs en disques durs, ne se détériorent plus. Planifier, vérifier s’il n’y a pas de bug, les machines ne demandent presque aucun réglage. Spécificité des Studio, les anciens projecteurs n’ont pas été enlevés. Ils servent parfois lors de festivals ou de séances de la cinémathèque, vestige d’une époque encore récente. Dans l’ombre du cinéma, le projectionniste reste encore à part, seul aux manettes des séances. Trait d’union entre le réalisateur de cinéma et le public, c’est encore lui qui appuie sur le bouton final. Caché au-dessus des spectateurs, il scrute encore de temps en temps si tout se passe bien. Gardien du 7e art.
 

Valérie Fouchaux
Conseillère pénitentiaire
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« Quand on est dans la pénitentiaire, on fait attention. » Valérie Fouchaux s’exprime posément. Des paroles mesurées qui visent à ne pas trop en dévoiler. À 43 ans, elle a passé 17 années dans différents services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Depuis 2011, elle travaille à Tours. Tout débute par des études de droit à Tours et l’envie de devenir magistrat. Elle tente le concours, mais cela ne lui sourit pas. Dans une revue, elle tombe sur un article consacré aux conseillers pénitentiaires d’insertion et probation (CPIP). Nous sommes en 1995 et la profession est redessinée par une réforme. Exit les éducateurs des prisons et les agents de probation de l’extérieur. Désormais, il y aura des conseillers capables de travailler en milieu ouvert et fermé. « Je rejoins la première promotion de l’École nationale de l’administration pénitentiaire qui formait à ce nouveau métier. » Après deux ans de formation, elle se retrouve affectée à Fleury-Mérogis. « La plus grande prison d’Europe. » «Au début, à Fleury, je n’étais pas sur liste rouge. Un jour, un détenu a appelé à mon domicile. Il venait de sortir de prison et sollicitait de l’aide pour un logement. » Depuis, Valérie prend des précautions. «Quand je quitte le travail, je ferme la porte. » Sa manière de dire que vie professionnelle et personnelle sont dans des compartiments étanches. « Je n’ai pas de profil Facebook. Quand je vends quelque chose sur leboncoin. fr, je n’indique pas mon nom. »
Dimension sociale
Il y a une dimension sociale dans le métier de CPIP. Sa mission principale est le contrôle de la bonne application des condamnations et des obligations. Et favoriser l’insertion par la suite. « Il faut trouver un juste milieu entre l’aide et le contrôle. » À l’entendre, on se dit que les contours du métiers sont encore flous. «Par exemple, si une prison appelle et me dit : “ Il faut que tu reçoives tel détenu, il va péter un câble ”, cela ne relève pas des compétences du CPIP. Je ne suis ni pompier ni psy. » Depuis plusieurs années, Valérie travaille en milieu ouvert. Ce qui représente les deux tiers de l’activité du Spip. Elle est affectée au pôle TIG. Le travail d’intérêt général est un peine prononcée par un tribunal pour des faits « mineurs ». Une alternative à l’incarcération. Dans le jargon, on parle de « tigiste » pour qualifier ce type de condamné. « Ils ont souvent conduit sans permis ou alcoolisé, ou commis de petits vols. » Valérie s’échine à trouver des structures où les condamnés travaillent en réparation des préjudices causés. « Des collectivités territoriales, des associations comme Emmaüs, les Restos du coeur, les maisons de retraite ou la SNCF. » Elle essaie de répartir au mieux ses dossiers. « On cherche à convaincre les mairies d’arrêter de donner les espaces verts aux “ tigistes ”. Ce ne sont pas que des bras cassés. Beaucoup ont fait des études. Le tigiste, c’est monsieur Tout-le-monde. » « Il faut composer avec les compétences du condamné, mais aussi son emploi du temps. Certains ont un travail et ne sont disponibles que le week-end. D’autres ne disposent d’aucun moyen de locomotion. » Un vrai casse-tête. Si on la questionne sur sa profession, elle répond qu’elle est fonctionnaire. « Point barre. » D’ailleurs, elle a pensé à changer de métier. S’orienter vers la fonction publique territoriale. Au lieu de cela, elle demande une mutation tous les 4 à 5 ans. « On évite de s’encroûter. »
 

Fabrice Brault
Détective
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Ni Sherlock Holmes ni Magnum. Et pourtant, Fabrice Brault, 40 ans, exerce le même métier : détective privé. Depuis sept ans, il travaille seul à la tête de Fabrice Brault Investigation. Oui, oui, comme FBI, l’agence américaine de renseignement intérieur. « Mais, on prononce à la française, sourit-il. Forcément, je me suis beaucoup fait charrier par des confrères. » Fabrice est avenant. Souriant. Rasé de frais, les cheveux courts. Il a un petit air de Xavier Gravelaine, l’ancien footballeur reconverti en commentateur sportif. Son physique passe-partout lui permet de se fondre dans la masse. Ses premières enquêtes, il les a menées au sein du service recouvrement de Cétélem. Il espérait être embauché par l’entreprise de crédit. Ça ne s’est pas fait. Hasard de la vie, il est devenu détective grâce à une petite annonce. « J’ai postulé à une offre d’emploi pour être enquêteur. Je ne savais pas vraiment à quoi cela correspondait. » Très vite, il fait ses armes avec un « artisan » du métier. Il n’a alors que 21 ans. Petit, « j’ai baigné dans les émissions de Jacques Pradel à la télé (Perdu de vue, NDLR). » Aujourd’hui, Fabrice passe à l’écran. Il a participé à six tournages, principalement pour M6 (C’est ma vie, Zone interdite). « C’est une cliente désireuse de retrouver sa soeur qui m’a demandé de travailler avec la télé. » Ses clients sont des particuliers ou des entreprises. « Souvent des recherche de personnes disparues », son domaine de prédilection. Il peut s’agir de séparations familiales ou de la recherche d’un héritier. « Je me rappelle avoir trouvé un SDF sous un pont de Paris. Je lui ai annoncé qu’il venait d’hériter de 500 000 €. »
Enquêtes
Il mène aussi des enquêtes conjugales. « On vérifie les suspicions d’infidélité. Pour les entreprises, l’objet des recherches diffère. Fabrice vérifie la fiabilité ou la probité de certains salariés. « Par exemple, un employé du bâtiment en arrêt maladie que l’on trouve en activité sur un chantier voisin. » Fabrice Brault se pose systématiquement la question de la légitimité du client. « Je vérifie leur identité. Beaucoup se présentent sous une “ fausse qualité ”. » Ensuite, sa seule règle est de rester dans la légalité. « L’activité est bien plus cadrée en France qu’à l’étranger. » Le nombre d’enquêteurs privés a chuté de 3000 en 2000 à 800 en 2014. « L’agrément est délivré par le Conseil national des activités privées de sécurité et nous sommes régulièrement soumis à des contrôles de la Direction centrale du renseignement intérieur. » On est loin de Nestor Burma. L’idée du privé véhiculée par les fictions est très éloignée de la réalité. « Il n’y a pas de grande gueule dans la profession. En revanche, il faut de la sagacité, de la curiosité, de l’intuition et de l’empathie. Un peu de culot aussi. »
 
BONUS Pour le plaisir, on a rapidement fait le portrait de Chloé Vernon, notre chroniqueuse Gastro.
Chloé Vernon
Chroniqueuse resto
Elle n’était pas très partante pour qu’on parle d’elle. Chloé Vernon n’aime pas trop se trouver sous les projecteurs. Impossible de vous la décrire ni de vous donner son âge. Ce serait la trahir, lui enlever son anonymat, son outil de travail, son sésame qui lui permet de vous faire découvrir de nouvelles adresses. Sans ça, impossible de goûter aux plats, sans passe-droit, ni avantage. Il paraît qu’un jour, un restaurateur l’a reconnue. Eh bien Chloé Vernon a refusé d’écrire l’article. Droite dans ses bottes. Si, on peut vous dire qu’elle adore le lapin à la moutarde et la tartiflette. Mais rien ne la fait plus craquer qu’une bonne crème brûlée au Nutella. Bon, on lâche un dernier indice au risque de la fâcher (elle est très susceptible) : la Tourangelle ne finit jamais un repas sans dessert.