Animaux en ville : « Faisons attention en sortant du confinement. Car nous allons rentrer dans une grande ‘nurserie »

Est-ce le retour de la nature et des espèces animales dans nos rues depuis le confinement ? Entretien avec Nicolas Gilsoul, auteur de Bêtes de villes, petit traité d’histoires naturelles au cœur des cités du monde.

On a vu des dauphins dans le port de Cagliari, des pumas dans les rues au Chili, nos petits canards qui se baladent dans les rues en France, etc. Peut-on pour autant parler de nature qui reprend ses droits ?

Nicolas Gilsoul : Non. Il est évidemment très agréable d’entendre les oiseaux. Voir des rorquals dans les Calanques m’a scié. Mais, par exemple, apercevoir des sangliers n’a rien d’étonnant. Ils étaient déjà là. Avec le confinement, nous sommes plus silencieux et discrets. Mais les animaux, eux, viennent manger plus loin qu’habituellement. Il n’y a pas de retour de la nature en ville à proprement parler, mais une incursion de la faune.

Beaucoup s’émerveillent ou sont surpris d’entendre par exemple les oiseaux. Mais finalement, n’est-ce pas étonnant de s’en étonner ?

On a beaucoup perdu notre rapport à la nature et au vivant. On est très urbains. Philippe Descola racontait qu’en Amazonie, les enfants de certaines tribus connaissent jusqu’à 300 espèces d’oiseaux et savent même les imiter. On a perdu ça, on a vingt espèces d’oiseaux maximum dans le ciel parisien. Bien moins qu’avant. Je mets un bémol à cet enthousiasme, car ça ne va pas changer la donne. L’homme a mis le bazar. Ce n’est pas un confinement de deux fois quatre semaines qui relancera la machine.

« Les animaux osent s’aventurer plus loin »

Une nature qui resurgit ainsi, et finalement assez vite, est-ce uniquement parce que l’Homme se fait discret ?

C’est certain. Mais restons réservés. Voir un cerf, une biche, un blaireau, c’est quand même « normal ». Que des pumas se retrouvent dans des rues à Santiago, ça l’est aussi, car beaucoup vivent aux environs et autour de la ville. Nous Français, on va s’en étonner, mais eux, moins. Nous sommes discrets, certes. Il y a également moins de bruit d’avions, moins de transports. Il avait déjà été montré que les oiseaux avaient adapté leurs chants pour chanter plus fort que le vrombissement des voitures, c’est une parade pour eux. À Rome, ils chantent même en fonction des atterrissages et décollages, c’est dingue. Ils se sont adaptés à nos codes. Là, en plein confinement, l’humain n’est pas là, donc ils osent s’aventurent plus loin.

(photo Adobe stock)

« La plupart des animaux étaient déjà là avant »

Comment imaginez-vous l’après-confinement ?

Il faudra faire attention quand on sortira. Car nous allons rentrer dans une grande  »nurserie » après tout ça, avec toutes ces naissances. Il faut prévoir de nombreuses reproductions, car c’est la période. Les oiseaux peuvent nicher au sol, dans des parcs, les renards sont moins chassés, les hérissons moins écrasés par les voitures. Donc les familles animales sont en hausse.

Certains animaux auront fait leurs premiers pas sur des routes vides ou dans les rues. Et nous, on va reprendre notre mobilité à 300 %. L’autre problème, c’est que cette faune sauvage adaptée aux villes reste toutefois fragile. Le Covid et le confinement nous donne l’opportunité de changer.
La présence de la nature en ville est une bouffée de fraîcheur pour tout le monde. Il faut que l’on ouvre les yeux pour concevoir la ville de demain.

« On a un pacte à faire avec la nature »

Pensez-vous que l’homme s’est déconnecté du vivant ?

Il l’est, oui ! On a perdu des choses simples, par exemple comprendre pourquoi tel animal ne sort que la nuit ou se nourrit de telle ou telle manière. On a beaucoup de préjugés et de méconnaissances. Je milite pour que cela revienne dans nos écoles. Nos grands-parents effectuaient beaucoup de sorties en forêt. Ça manque chez nous. Cela devrait être au cœur du programme de l’Education nationale.

Au Chili, alors qu’un couvre-feu était de vigueur, un puma a été retrouvé dans les rues désertes de Ñuñoa, un quartier résidentiel de Santiago. (Photo capture écran Youtube / La Tercera)

Il y a un peu d’espoir dans tout ça ?

Je ne suis pas sombre. On a la « chance », dans cette crise, de se rendre compte que la nature est en ville. Elle était là avant, on a un pacte à faire avec elle, pour qu’elle et nous puissions exister et survivre. Demain, nous serons tous urbains : il faut donc accueillir la nature en ville et trouver un équilibre. Nous sommes les seuls animaux ayant du mal à changer ! Mais nous sommes obligés de changer, on peut le faire. Il y a un cap à prendre.

Propos recueillis par Aurélien Germain

> Nicolas Gilsoul est architecte, paysagiste et docteur en sciences à l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement à Paris. Il est l’auteur de Bêtes de villes, petit traité d’histoires naturelles au cœur des cités du monde (Fayard, 2019).