Migrants : après l’expulsion, où en est-on ?

Manifestation et sit-in ont eu lieu après l’expulsion de migrants des locaux inoccupés du Clous.

(Photo NR)
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Les semaines se suivent et malheureusement… se ressemblent. À Tours, les alertes se sont répétées, mais le constat est toujours le même : chaque nuit, des migrants, des familles et des mineurs isolés dorment dehors et sont à la rue.

Ces derniers jours encore, les forces de l’ordre ont évacué les occupants de l’ancien Centre des œuvres universitaires (Clous), au Sanitas. Les locaux inoccupés avaient été investis par des migrants qui y avaient trouvé refuge. L’expulsion a beaucoup fait causer. A beaucoup surpris et choqué. Surtout en période de trêve hivernale.

Le lendemain, le samedi, plus d’une centaine de personnes ont manifesté dans les rues de Tours en déposant des matelas pour alerter les passants. Dans un communiqué, l’élu EELV Emmanuel Denis, s’est demandé : « Fraternité ? Dans notre Métropole, a-t-on oublié le sens de ce mot pilier de notre République ? »
Avant de réclamer qu’État et « élus de tous bords » s’emparent impérativement de cette question.

En face, des associations comme le collectif Utopia56 continuent de se démener pour aider ces migrants. Et continuent d’espérer les mettre à l’abri.

Mineurs étrangers non-accompagnés en danger

L’accueil des mineurs étrangers non-accompagnés pose toujours problème. L’association Utopia 56 tire la sonnette d’alarme.

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C’est un véritable cri d’alerte qu’a lancé l’association Utopia 56. Face à une situation de plus en plus critique, ses bénévoles ont indiqué ne plus avoir la possibilité « de pallier les irrégularités du système d’accueil français des mineurs non accompagnés et arrêtent les mises à l’abri chez des hébergeurs solidaires ».

Appelant les pouvoirs publics dans un communiqué « à prendre leurs responsabilités », Utopia 56 souligne que l’association, puisqu’elle est non subventionnée et composée de simples citoyens, « n’est plus en capacité d’assurer bénévolement ce que le Département et l’État ne font pas ».
Utopia 56 est effectivement sur le front et au premier plan depuis plus d’un an et demi, aidant sans relâche à l’accueil des personnes mineures étrangères.

Vendredi dernier, la réunion des élus du Département a abordé le sujet, précisant que l’État devait gérer le dossier. Jean-Gérard Paumier, président du conseil départemental, a assuré : « On fait tout ce que l’on peut. »
Et tandis que Département et État se renvoient la balle, le problème, lui, n’est toujours pas résolu…

Mineurs étrangers non-accompagnés : le cri d’alarme

Les élus du département s’alarment : l’accueil des mineurs étrangers non-accompagnés devient difficile.

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Le dossier de l’accueil des mineurs étrangers non-accompagnés devient de plus en plus explosif…

Récemment, les élus du département ont poussé un « cri d’alarme ». Le président du conseil départemental, Jean-Gérard Paumier, a indiqué : « On ne pourra pas continuer à ce rythme ! »
Le nombre d’arrivées a en effet été multiplié par trois selon lui. Preuve en est, la semaine dernière, quatre mineurs non-accompagnés n’ont d’ailleurs pas pu être reçus au bureau d’accueil du Champ Girault, à Tours, le personnel étant débordé.

« Depuis le début 2018, on fait face à un flux de plus en plus intense, devenant intenable sur les conditions et les moyens d’évaluation, de mise à l’abri, de prise en charge », a souligné Jean-Gérard Paumier, ajoutant que sa collectivité ne pouvait pas être « sans compensation financière, le guichet sans limite des détresses du monde ».

Le budget du conseil départemental consacré à cela devrait se chiffrer à 20 millions d’euros cette année. Un chiffre qui a littéralement explosé en quatre ans.

Migrants mineurs, enjeu majeur

Depuis un an, l’Indre-et-Loire connaît un afflux de jeunes migrants. Le quota du Département est déjà dépassé. C’est pourquoi des familles se mobilisent pour aider les mineurs étrangers à être reconnus et à se reconstruire.

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Réfugiés mineurs cherchent familles. Le conseil départemental de la Vienne en appelle au bénévolat pour confier des mineurs isolés à des familles d’accueil. » Mardi 16 mai 2017, la une de Centre Presse est sans équivoque. Le Département voisin encourage les foyers à faire preuve de solidarité pour « contribuer au développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant ». Les volontaires sélectionnés, après un entretien individuel et une visite de l’habitation, perçoivent des indemnités en échange : 14,22 € par jour (nourriture, habillement et fournitures) ainsi que d’autres allocations.

Changement d’ambiance. Trois jours plus tard, en Indre-et- Loire, une session du conseil départemental aborde ce même thème. C’est l’heure des comptes : en 2017, 117 mineurs isolés étrangers « se sont déjà présentés pour solliciter une prise en charge. On sera à 600 si on poursuit sur cette ligne en fin d’année. Un volume insupportable pour nos finances », explique son président, Jean-Gérard Paumier, à La Nouvelle République. Une enveloppe de 5,7 millions d’euros leur est allouée, soit un peu moins de 1 % du budget prévisionnel total du Département.

CaptureSur les 117 demandes depuis janvier, 58 ont été acceptées par le Département, qui déclare faire face à « une poussée exponentielle du nombre des arrivées ». La situation est critique. « Avec des charges qui augmentent, […] à un moment donné, on n’aura plus de solutions », prévenait il y un mois, au micro de TV Tours Val de Loire, Sylvie Giner, conseillère départementale en charge de la protection de l’enfance. Dans une lettre ouverte, publiée à la mi-mai, RESF, Chrétiens migrants, Utopia 56, La Cimade, Coup d’pouce aux migrants et la Ligue des droits de l’homme fustigeaient cette absence de marge de manœuvre. L’Indre-et-Loire demande des contributions supplémentaires à l’État pour s’en sortir.
Mais, exceptés les centres et les foyers, il n’y a pas eu de dispositif de volontariat semblable à celui de la Vienne déployé en Touraine. En réponse, des familles viennent porter secours à des migrants mineurs depuis la fin de l’année dernière. Un réseau d’hébergement citoyen s’est peu à peu mis en place, l’« accueil durable et bénévole d’un enfant par un tiers » ayant été autorisé par un décret d’octobre 2016. L’objectif est de loger ceux qui ne sont pas pris en charge, le temps du recours à la régularisation devant le juge des enfants.

Être reconnu mineur pour ces étrangers représente une étape indispensable. Ils peuvent ainsi faire valoir leurs droits. Mais tous n’ont pas le réflexe de se rendre à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), une branche du Département, quand ils rejoignent la France. Cette entité a pour but de « mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs en danger ». Elle apporte un soutien « matériel, éducatif et psychologique ».

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De bouche à oreille, le concept s’est étendu. Une discussion entre collègues au travail a convaincu Éric* et Christine* de franchir le pas, il y a plusieurs mois. Tout est allé très vite. Un soir, alors qu’ils prenaient un verre dans un bar et discutaient du sujet avec des membres d’une association, un Africain s’apprêtait à passer la nuit près de la gare de Tours. Éric est allé à sa rencontre et l’a invité à table. « Dans la même soirée, nous l’avons ramené à la maison. Je pensais qu’il devait repasser chercher ses affaires. En fait, non. Il n’avait que ses vêtements sur lui et un sac en plastique à la main. »

« ON A REÇU UNE LEÇON DE VIE »

Le père de famille avoue avoir eu des réticences au départ. « Où est la vérité ?, s’interroge-t-il. Je ne suis pas candide. Un conditionnement s’opère auprès des passeurs. Mais bon, il ne faut pas globaliser. Chaque individu a son propre passé. » Aujourd’hui, avec le recul, Éric considère qu’il est devenu plus humble et tolérant. Lui, sa femme et ses enfants ont appris à confronter les cultures. « On a reçu une leçon de vie. » Ils accompagnent Samuel* dans sa recherche de documents d’identité. « On s’inquiète pour lui. Ses problèmes deviennent les nôtres. C’est un membre de notre famille. »

Juridiquement, le migrant mineur qu’ils hébergent ne compte pas comme une personne à charge. Aucune aide ne lui est versée. L’autonomie passe pourtant par l’indépendance financière. La scolarisation et le sport permettent aussi aux jeunes de s’intégrer. Plusieurs prennent ce chemin avec la volonté d’assimiler les codes de la société. Les familles bénévoles souhaitent développer le réseau qu’elles ont structuré. Mais des ménages sont freinés par leur manque de moyens. Cette initiative représente un coût. « Si on recevait des compléments, le problème ne se poserait plus. » Les associations du coin n’ont qu’une envie : « Collaborer avec les collectivités locales. »

(*) Les prénoms ont été modifiés.

>Si vous êtes intéressés par cette démarche, envoyez un message collectif aux associations via cette adresse : UTOPIA.TOURS.HEBERGEMENT@GMAIL.COM 

Enquête : Simon Bolle & Philippine David