La Langue des signes française, une langue à part… entière !

La Langue des Signes Française n’est pas un langage « faute de mieux », mais bien une langue. Longtemps interdite, reconnue officiellement par une loi française de 2005, elle a fait son entrée en option du baccalauréat en 2008. Une histoire longue et complexe, pour une langue d’une richesse insoupçonnée que l’interprète Amélie Hédin, de l’agence Tours2Mains, nous aide à comprendre.

On parle de LSF, Langue des Signes Française : chaque pays a donc sa langue des signes ?

Oui, et de ce que j’en sais, le vocabulaire varie d’un pays à l’autre, mais des similitudes existent dans la syntaxe (la construction des phrases). Deux sourds de pays différents ne mettront ainsi que deux ou trois jours à communiquer assez aisément ensemble. Il existe par ailleurs une langue des signes internationale, qui est utilisée dans des événements internationaux essentiellement.

Apprendre la LSF, est-ce très différent de l’apprentissage de l’espagnol, de l’anglais… ?

C’est comme pour toute langue : on peut avoir des facilités… ou non ! En ce qui me concerne, j’ai eu plus de facilités avec la LSF (et avec l’allemand) qu’avec l’espagnol ou l’anglais, mais cela ne s’explique pas. J’ai été séduite par cette langue et j’ai tout de suite eu de bons contacts avec la communauté sourde. Cela a joué sur mon amour de la langue, que j’ai apprise de manière intensive après une licence de lettres, avant un master d’interprétariat français-LSF.

Qui dit langue dit grammaire, conjugaison, vocabulaire : la différence est grande entre français et LSF ?

Les avis divergent sur la grammaire : certains disent que la langue des signes a une grammaire très figée, avec en premier le « où/quand/qui/comment », puis le développement, et à la fin de la phrase l’action, le verbe. D’autres trouvent que la LSF est assez souple et que la grammaire est aléatoire, avec plusieurs manières d’organiser les informations dans la phrase.

Mais quoiqu’on pense, la grammaire n’est pas la même en LSF et en langue française. Et on n’interprète pas mot à mot : on interprète du sens, comme pour toute langue. Vous n’interprétez pas « il pleut des cordes » au sens littéral en LSF, ni dans les autres langues, tout comme des expressions en LSF verront leur sens interprété en français. Sans oublier les expressions du visage et l’intensité des mouvements, qui sont l’équivalent de l’intonation pour la langue des signes.

Un sourd qui lit et écrit en français et s’exprime en LSF est donc en situation de bilinguisme ?

C’est comme si on vous demandait d’écrire en anglais et de parler en allemand, car la langue des signes française est bien une langue à part entière !

Propos recueillis par Maud Martinez

Sourds et malentendants : et si on les écoutait ?

Invisibles, les sourds et malentendants ? S’ils sont discrets du fait d’un handicap qui n’est pas décelable au premier coup d’œil, ils ont pourtant beaucoup à nous dire ! Avec la langue des signes française, nous pénétrons dans un nouveau monde. Suivez le guide !

Collège Léonard de Vinci. Des ados papotent dans la salle de classe. Shifa « parle avec les mains », en langue des signes française (LSF). Paul-Idriss s’adresse à nous oralement, et signe avec ses camarades. À eux deux, ils reflètent en partie la diversité du monde des sourds. Shifa est en effet sourde profonde, tandis que Paul-Idriss dispose d’appareillages lui permettant d’entendre le monde qui l’entoure, ce qui l’aide à « oraliser » : à utiliser sa voix pour parler.

Les treize élèves de l’Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire et ceux suivis par l’IRECOV dans ce collège reflètent les progrès de l’institution scolaire dans l’intégration des publics sourds et malentendants. « Ils suivent une partie de leurs cours dans la salle ULIS, ils ont des cours de LSF, et reçoivent le reste des enseignements dans leur classe de référence, avec un(e) interprète en LSF si les familles l’ont demandé », explique Cindy Thareau, coordinatrice du dispositif.

« Ma fille oralise, mais elle préfère utiliser la LSF »

Derrière l’éducation qui s’améliore, et avec elle des perspectives professionnelles qui s’élargissent, les familles sont en effet des moteurs. C’est à leur obstination qu’on doit l’arrivée du bilinguisme en langue des signes au collège il y a quatre ans et au lycée Vaucanson depuis l’an dernier.

Mais le choix de la LSF ne va pas forcément de soi, comme en témoigne Marie-Michèle, maman d’une ado diagnostiquée à 18 mois : « Notre fille a été opérée, son implant cochléaire lui permet d’entendre partiellement. Au début je voulais à tout prix qu’elle parle, c’était aussi l’avis des médecins. Mais quand on ne comprend pas son propre enfant, la LSF s’impose. Aujourd’hui ma fille oralise, mais elle préfère utiliser la LSF, car c’est dans cette langue qu’elle comprend et apprend le mieux. »

Pour certains sourds, la découverte de cette langue est ainsi un soulagement. Anne-Claire Prigent est de ceux-là. Appareillée dès la petite enfance, elle a reçu une éducation dite « oraliste » : « Grâce à l’orthophonie, on apprend à articuler en copiant ce qu’on voit, et je lis sur les lèvres. »

Enfance et adolescence se déroulent donc dans le monde des entendants. « Puis avec la LSF, j’ai rencontré des sourds et découvert un monde auquel j’appartenais sans le connaître ! ». Dans sa vie professionnelle de contrôleuse de gestion, elle n’hésite plus à faire appel à un interprète pour les réunions, quand les visages trop nombreux ne lui permettent pas de suivre les conversations.

Jeux de mains…

Oraliser pour être « normal » à tout prix ? C’est l’idée que le monde entendant a imposé aux sourds pendant près d’un siècle. Alors que la France a été pionnière dans l’éducation des sourds et la création d’une langue des signes avec l’abbé de l’Epée au XVIIIe siècle, le Congrès de Milan de 1880 a ruiné ces efforts en interdisant la langue des signes, considérée comme un obstacle à l’oralité. « Mon mari a connu l’époque où on attachait les mains des sourds pour les empêcher de signer ! ».

Devenue sourde à l’adolescence, Mireille Lecoustre a conservé l’usage de la parole à raison d’orthophonie et de théâtre, qu’elle enseigne avec la Compagnie du Bonheur. Elle n’en est pas moins engagée : « La LSF est notre langue naturelle, et le handicap est avant tout social ! Les “ sourdingues ”, ce sont les sourds qui devenaient fous car ils ne pouvaient pas s’exprimer. »

Un pôle santé pour personnes sourdes ?

Pour elle, le milieu médical a donc un rôle important à jouer, en étoffant ses connaissances sur la vie des sourds, pour renseigner au mieux les parents, leur laisser le choix, et ne pas opposer appareillage auditif et LSF. Pour Pascal Carré, président de l’Association Expression Tours, l’enjeu est aussi dans l’accueil des patients : « J’ai été emmené seul aux urgences pour un AVC, et pendant plusieurs heures, je ne savais pas ce qui m’arrivait. Ma souffrance, c’était de ne pas pouvoir communiquer. »

Suite à cette expérience, Pascal rêverait donc de créer un pôle santé pour personnes sourdes, ou au moins un accueil pour sourds à l’hôpital. Maintenant que l’éducation est possible en LSF, encore faut-il que les services quotidiens et la culture soient accessibles. Et pour cela, une solution : écouter ce que les sourds ont à dire !

Texte : Maud Martinez / Photos : Adobe Stock

Sourds : "éclater les barrières"

Pascaline Denis dirige la compagnie 100 voix. Elle organise les 28 et 29 novembre prochains Tours en signes , un événement bilingue langue des signes – français.

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Pascaline Denis est également comédienne. Elle jouera sa dernière pièce Signes et sons pendant Tours en Signes

Quel est l’enjeu culturel concernant les sourds et les malentendants ?
Depuis la loi 2005 sur l’égalité des chances, la culture doit être accessible à tous. On pense facilement aux handicaps physiques mais pour une personne malentendante, aller dans une salle de spectacle qui n’est pas équipée pour la recevoir est tout aussi problématique.
Comment améliorer l’accès au spectacle vivant ?
Toutes les nouvelles salles sont normalement équipées de boucles magnétiques. Cela permet de pouvoir régler son appareil auditif sur une fréquence précise et d’avoir un son concentré. Une personne mal entendante ne peut pas aller voir un concert, par exemple, sans ce genre de système. Au théâtre, elle perd 50 % de ce qui se dit. Au bout d’un moment, elle n’y va plus. Il existe aujourd’hui des boucles magnétiques individuelles, mais elles restent chères.
Quel est l’intérêt d’un événement comme Tours en signes ?
La culture permet de faire éclater les barrières. Les sourds et les malentendants ont tendance à se regrouper en communauté. Un mouvement tout à fait logique quand on sait que la langue des signes a été interdite jusqu’en 1991 en France. Tours en signes est fait pour tout le monde, sourds, malentendants mais aux autres aussi. C’est un événement qui fait découvrir la langue des signes à travers des spectacles, des livres, des initiations.
Pour retrouver le programme de Tours en Signes qui aura lieu au Centre de vie du Sanitas : cie100voix.fr
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