L'indépendante aînée

Portrait de Marie-Hélène, qui se bat pour rester autonome.

MARIE-HELENE
« Vous me donnez quel âge ? » Marie-Hélène Epailly rigole. « Mon cerveau fonctionne à 300 à l’heure. » Elle prévient aussi, dès le début de l’interview : « Si jamais j’oublie des dates ou j’ai un flou, vous m’excusez. » Atteinte d’une méningite il y À quatre ans, elle n’a presque pas gardé de souvenirs de cette période. La septuagénaire a été mise sous tutelle. Elle ne contrôle plus son argent. Ses journées, elle les passe à voyager dans la ville. « J’ai une boîte dans ma chambre avec des numéros, chaque matin, j’en tire trois. Je me rends ensuite à la gare et je prends les bus correspondants à ces numéros. J’observe autour de moi. » Sur ses doigts vieillis par les années, elle porte plusieurs bagues, dont une en forme de croix catholique. Autour de son cou, une étoile de David, mais aussi la main de Fatima, sur son manteau c’est un ruban rouge. « J’ai toujours été portée par les religions et les causes. Ces symboles que je porte sur moi, c’est aussi un moyen d’attirer le regard des autres, de provoquer une réaction, de commencer une conversation. Je participe à beaucoup de manifestations à Tours. Peu importe la cause, c’est un moyen de se distraire gratuitement. »
Une vie d’actrice
Comme une actrice, Marie- Hélène Epailly s’habille en fonction des circonstances, joue parfois le rôle d’une vie qu’elle rêve. « Aujourd’hui, je me suis habillée pour parler à un journaliste ! » Elle vit dans un foyer pour personnes âgées dans le quartier des Fontaines, elle a son propre appartement. Mais c’est de Chinon qu’elle parle avec passion, la ville de sa vie. Celle où elle s’est mariée, fille d’aristocrate, elle a cédé son nom à particule pour celui d’un avocat de 24 ans son aîné. « Il avait un physique à la Yves Montand, c’était un grand helléniste. Chaque vacances, nous partions en camping car sur les îles grecques. » Marie-Hélène Epailly l’a connu alors qu’elle collait des affiches politiques pour les présidentielles de 1965. Elle se dit royaliste, « même si aujourd’hui, je n’ai pas vraiment de candidat. » Combative. Elle a beaucoup milité pour la reconnaissance des écoles libres (privées), s’est occupée de Radio Chinon Val de Vienne.
Combat de vie
Elle ne souffre pas de solitude mais de manque d’autonomie. Elle ne comprend plus sa mise sous tutelle. « J’ai 50 euros par semaine pour manger. En décembre dernier, j’ai fait un voyage à Jérusalem, un des plus beaux de ma vie. J’ai dû faire un devis et rencontrer un psychiatre pour voir si j’étais apte. » Elle accumule les preuves de sa normalité, de son indépendance. Elle lance, « cet article en sera une de plus, non ? »
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Filmer les Invisibles

Portraits d’homosexuels et de lesbiennes âgés : ce documentaire réussi sort en pleine débat sur le mariage pour tous.

 

Portraits d’homosexuels et de lesbiennes âgés : ce documentaire réussi sort en pleine débat sur le mariage pour tous.

Aller voir un documentaire au cinéma, cela ne va pas forcément de soi. Par essence, c’est un genre qui semble plutôt destiné au petit écran. Le grand, lui, préfère largement la fiction. Plus divertissant, moins prise de tête. Avec des pop-corn, James Bond c’est plus sympa. A l’inverse de ces clichés, le documentaire a toute sa place dans les salles sombres. Quand il est bien fait, bien adapté au format long. Mais surtout, ce genre offre un rare plaisir pour le spectateur quand il possède les qualités d’Invisibles.

Nominé au festival de Cannes cette année, ce film n’a pas eu la faveur du jury et des unes de la presse. Pourtant, ces portraits de seniors « pas comme les autres » sont uniques. Uniques car peu de documents parlent de cette problématique : parti du constat que l’homosexualité est quasiment toujours abordée par le témoignage de jeunes trentenaires, Sebastien Lifshitz a eu l’idée d’interviewer des personnes plus âgées. Humour, tristesse, colère, il montre tout. Ses témoins se livrent sans complexe, même s’il est facile de deviner que des heures et des heures d’interviews ont été nécessaire pour arriver à ce résultat.

Sans jamais s’apitoyer sur leur sort, les témoins restent pudiques sur leurs blessures. Sebastien Lifshitz porte sur eux un regard attendri, sans jamais tomber dans le prosélytisme. Il essaye de comprendre ce que ces hommes et ces femmes ont vécu. Sans commentaire, il laisse la parole à ses personnages. Les plans de coupe, ceux entre les témoignages, sont souvent drôles, parfois amusants jamais larmoyants. Comment ne pas rire, sans moqueries, quand Pierrot, le doyen de ces protagonistes, lance un cri strident pour appeler ses chèvres et les traite de tous les noms.

Coïncidence de l’agenda et des débats de société, les Invisibles sort au moment du projet de loi sur le mariage pour tous promis par François Hollande pendant la campagne présidentielle. Le film ne jette pas d’huile sur le feu. Il donne seulement la parole à des Français que les médias ont oubliés.