« L'anglais ne s'apprend pas seulement à l'école »

Enseignant-chercheur au département d’anglais de l’université de Tours, Guillaume Cingal explique le retard des Français dans la langue de Shakespeare.

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Les Français sont-ils vraiment nuls en anglais ?
Les Français ne sont pas mauvais. Mais les résultats sont alarmants par rapport à notre statut géopolitique. Quand on compare avec des pays similaires, nous sommes en retard. La France a stagné quand les autres progressaient. Pour donner un chiffre, et selon nos statistiques, en 2011, un tiers des étudiants qui entraient dans nos filières d’anglais à la fac n’avaient pas le niveau requis en classe de seconde.
Est-ce que l’apprentissage commence assez tôt ?
L’anglais a sa place dès le CE 1. Mais on ne commence vraiment l’instruction de l’anglais qu’à partir de la 6e.
Qu’est-ce qui cloche donc en primaire ?
Il n’y a pas de cohérence pédagogique. On a tendance à refaire en CM 1 ce qu’on a déjà travaillé en CE 1. Parce que l’approche de la langue est très ludique, à travers des ateliers. Et surtout, parce que les instituteurs ne sont pas assez formés sur ce point. Ils doivent avoir le niveau 2 du CLES (Compétences en langues de l’enseignement supérieur), mais c’est une vérification minimale. C’est comme si on demandait à quelqu’un d’enseigner la géométrie parce qu’il connaît très bien ses tables de multiplication…
Et nos parents, est-ce qu’ils suivaient des cours adaptés ?
Dans les années 70-80, il y a eu un âge d’or. On travaillait beaucoup sur l’oral et l’interaction, au travers de méthodes audiovisuelles. Ce qui manque aujourd’hui à tous les niveaux. Il y a eu un retour à l’écrit à partir du début des années 90.
Mais on ne peut pas mettre toute la faute sur l’école, si ?
Non, au contraire ! Le gros problème français, il est surtout en dehors. Nous ne sommes pas assez confrontés à la langue anglaise.
C’est-à-dire ?
Au Danemark, une large partie des programmes télé pour les petits est en anglais et sous-titrée en danois. On observe un double effet : une meilleure alphabétisation de la langue maternelle et une accoutumance à entendre la musique d’une langue étrangère. L’anglais devient normal puisqu’on a l’habitude de l’entendre.
Doit-on, alors, sortir de l’apprentissage classique ?
Oui ! Il faut arrêter de croire que l’on apprend l’anglais seulement dans le cadre scolaire. Psychologiquement, c’est déjà une barrière ! Par exemple, si les entreprises veulent faire progresser leurs employés dans cette langue, il vaut mieux les envoyer outre- Manche en mission que leur payer des cours. L’idée, c’est de s’immerger dans un bain linguistique pour progresser.
Existe-t-il d’autres barrières psychologiques à casser ?
Déjà, arrêtons de dire que les Français sont nuls en anglais. Si on se dit que l’on est nul, forcément, on ne va pas progresser. Nous sommes schizophrènes. On veut être bon, mais on n’arrête pas de se dire qu’on est mauvais. Comme si c’était une fatalité. On ne dit jamais : « Je suis nul en histoire-géo, comme toute ma famille ». Mais pour l’anglais, c’est une excuse toute trouvée…
Et même si on y arrive, l’anglais n’est-il pas trop différent de notre français ?
L’anglais a une sonorité et une accentuation qui sont éloignées de notre langue. Mais c’est loin d’être insurmontable. L’essentiel n’est pas là dans ce débat.
Ne sommes-nous pas aussi trop attachés à notre langue, qui a rayonné dans le passé ?
La défense de la francophonie, c’est un débat d’élites. Franchement, je ne pense pas que cela soit la préoccupation du Français lambda. On est dans quelque chose de politique. Vous regrettez le manque de place pour l’oral.
Avec les nouvelles technologies, les jeunes ne peuvent-ils pas plus facilement apprendre de manière audiovisuelle ?
Je ne suis pas sûr que nos adolescents utilisent beaucoup plus ces ressources, qui se sont considérablement développées. Sur Internet, j’ai l’impression qu’ils passent toujours plus par l’écrit.
Quels conseils donneriez-vous aux Tourangeaux qui souhaitent progresser ?
S’immerger progressivement dans l’anglais. Chaque jour, lire cinq minutes en anglais sur un sujet qu’ils aiment. La version anglophone de Wikipedia est de qualité. Ils peuvent regarder des vidéos. Au fur et à mesure, le déclic va se faire. Qu’ils délaissent les problèmes de vocabulaire ou de grammaire. Ils doivent se lancer et foncer !
Propos recueillis par Guillaume Vénétitay