L'habitat participatif, c'est quoi?

Des citoyens qui veulent gérer eux mêmes leur immeuble ? Ce n’est pas un camp hippie mais un projet d’habitat participatif.

Et si ça ressemblait à ça l'habitat participatif ?
Et si ça ressemblait à ça l’habitat participatif ?

Bonjour, moi c’est Carmen ! J’ai entendu parler de ce projet d’habitat participatif lors d’une visite des anciennes casernes de Beaumont. Cette idée de vivre ensemble m’a beaucoup séduite, c’est comme cela que je me trouve devant vous aujourd’hui. » Carmen se présente face à une dizaine de personnes dans une petite salle du boulevard Tonnellé. Elle fait partie d’un groupe de Tourangeaux qui souhaitent créer un habitat participatif.

D’abord, l’association

À l’initiative de ce projet, l’association Habiter écologique en Touraine et Fernando Gaete. Assis parmi dans le public, cet architecte d’origine chilienne n’hésite pas à répondre aux questions. Cette réunion publique sert à expliquer aux curieux ce que veut dire habitat participatif. « Depuis 2009, nous avons le projet de créer une coopérative d’habitants dans la future zone d’aménagement concertée des anciennes casernes militaires de Beaumont. » Coopérative d’habitants ? Habitat coopératif ? Ce groupe de citoyens tourangeaux souhaite habiter dans une résidence où tout le monde voterait les décisions concernant l’immeuble. Un immeuble, d’ailleurs, où il y aurait également des lieux communs partagés entre tous les propriétaires. « Nous aimerions avoir un atelier pour réparer les vélos, une buanderie commune pour faire des économies d’eau ou encore un petit studio commun à tous qui permettrait d’héberger des amis ou de la famille de n’importe qui de l’immeuble, explique Fernando Gaete. Je souhaite habiter ces futurs logements. J’ai grandi à Santiago du Chili dans les années 1970 et je me souviens de l’animation qui régnait dans mon quartier. Les enfants pouvaient jouer sans forcément que les parents soient derrière eux. Tout le monde se connaissait. Avoir un habitat participatif permet aussi de recréer une véritable vie de quartier. »

Une buanderie partagée, un atelier de réparation de vélo commun : tout est pensé pour le vivre ensemble.
Une buanderie partagée, un atelier de réparation de vélo commun : tout est pensé pour le vivre ensemble.

Un peu d’écologie

Cela implique, outre de vivre en symbiose avec ses voisins, d’être également responsable écologiquement. « C’est un volet important de notre projet », confirme Laurent, un informaticien de 46 ans, lui aussi membre de l’association. Je m’intéresse à l’écologie depuis 20 ans, et je me suis rapproché de ce groupe pour pouvoir, un jour, habiter un logement qui laisserait une empreinte écologique faible en ville. » Le projet de l’association Habiter écologique en Touraine est loin d’être un doux rêve. « Nous réfléchissons au montage financier, aux plans pour la construction et nous allons réaliser un dossier de candidature sérieux, comme le ferait un promoteur immobilier classique, assure Fernando Gaete. Mais en plus, nous devons nous mettre d’accord tous ensemble pour aboutir à ce projet commun. Cela fait maintenant des mois que nous nous réunissons et organisons des groupes de travail. »

Projet inédit à Tours

Inédite à Tours, l’initiative de ces Tourangeaux n’est en revanche pas un cas isolé en France. « Des projets comme celui-ci, il en existe des centaines », précise Olivier Cencetti, un professionnel du Réseau national des acteurs de l’habitat participatif basé à Nantes. Il donne des conseils aux différents habitants ou collectivité territoriale désireuse de se lancer dans de telles aventures collectives. Si, aujourd’hui, il peut vivre de ce métier, c’est que « depuis le début des années 2000, ce mouvement prend vraiment de l’ampleur. » Il y a d’abord un but économique à se mettre ensemble pour créer des logements collectifs et participatifs. Le prix du mètre carré explose en ville, se réunir permet de le réduire et de maîtriser les coûts. « Un autre facteur important, ajoute Olivier Cencetti, c’est l’envie de connaître ses voisins. »

Et les institutions ?

« Partagée », « collective » ou encore « participative », les institutions s’intéressent aujourd’hui à cette nouvelle façon de vivre. Cécile Duflot, la ministre du Logement a même annoncé en 2012, lors des Rencontres nationales de l’habitat participatif à Grenoble, que cette question ferait partie du prochain projet de loi sur le logement. Car sur le plan juridique et financier, l’encadrement de l’habitat participatif est encore dans le flou. À Tours, Fernando Gaete a mobilisé la mairie pour la sensibiliser à ce projet. Alain Devineau, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, est particulièrement attentif aux appels de l’association. « Depuis 2011, je suis leur progression. Il faut encore que leur groupe se construise et que leur dossier soit solide sur le plan juridique et financier. Nous réserverons de toute manière une partie de la Zac de Beaumont à l’habitat participatif. Leur demande sera étudiée avec beaucoup d’attention. »

Habitat participatif : l’avis de la sociologue

Sociologue à Tours, Sylvette Denèfle travaille sur la question des habitats participatifs depuis plusieurs années pour le programme de recherche Alterprop (Alternatives de propriété pour l’habitat).

Sylvette Denèfle

Depuis quand l’habitat participatif est-il arrivé en France ?

En 2005, nous avons vu le mouvement devenir vraiment significatif. En France, nous avons recensé plus de 300 groupes qui sont dans ce mouvement des habitats collectifs. Et, quasiment chaque jour, j’entends parler de nouveaux projets qui nous étaient inconnus.

Comment est-il né ?

Que ce soit participatif, collectif ou encore autogéré, ce type d’habitat reflète une envie de vivre autrement, de se loger en dehors de ce qui se fait déjà. Disons que c’est une réponse idéologique de certains citoyens à une époque de basculement de notre système de valeur. Ce qui relevait de l’utopie, comme le partage des biens, la création d’une monnaie locale et le logement participatif, s’est généralisé dans les années 2000.

C’est aussi question économique, non ?

Avant les années 1980, presque tout le monde dans la société avait accès à un logement. Avec l’augmentation du prix du foncier, la situation s’est dégradée, tous les Français qui faisaient partie de la classe moyenne, les enseignants, les intermittents du spectacle ou par exemple les travailleurs sociaux, ont vu leur situation se dégrader. Dans les années 1990, aucun ne pouvait se permettre d’acheter un bien. Et cette idée toute simple est apparue dans les esprits de cette classe moyenne. »

Comment réagissent les institutions ?

Je dirais qu’elles se sont intéressées à ce mouvement à partir de 2010. D’ailleurs, lors des rencontres de l’habitat participatif de Grenoble en 2012, c’était assez étonnant d’analyser le discours de Cécile Duflot, la ministre du Logement, sur ce sujet. À l’entendre, ce serait elle qui aurait eu l’idée de créer des habitats participatifs.

Beaucoup d’élus montrent leur enthousiasme face à ce nouveau type de logement…

Le terme participatif plaît, en effet, aux politiques. Ils veulent promouvoir cela pour que les citoyens participent plus à la démocratie pour pouvoir se présenter en champion de la concertation. C’est de la communication politique. En même temps, je pense que les institutionnels sont pris à leur propre jeu. Ils veulent croire à ce modèle plus participatif. Mais l’habitat participatif ne touche malheureusement pas l’ensemble de la population.

Que voulez-vous dire ?

Demandez à des gamins défavorisés à quoi ressemble la maison de leurs rêves… Ils ne vous parleront pas d’habitat où tout le monde peut donner son avis, mais d’une villa énorme avec des robinets en or et où ils pourraient garer leur gros 4 x 4. Ce modèle est aujourd’hui construit par les classes dominantes et ne correspond pas aux attentes des dominés.

Pourtant, certains citoyens montent des projets sans l’aide des institutions ?

Oui, mais la plupart font partie de la classe moyenne et possèdent les codes pour mener à bien ce projet. Tous ceux qui réussissent à finaliser un habitat participatif par eux-mêmes savent parler aux institutions, possèdent le même langage, même s’ils n’en font pas partie.

 

– Le site d’Alterprop pour plus d’infos et surtout beaucoup de ressources : alter-prop.crevilles-dev.org

– Le site de Sylvette Denèfle : sylvette-denefle.fr