Aurélia Mengin pose sa caméra en Touraine pour Fornacis

Pour son dernier film, Fornacis, la réalisatrice réunionnaise Aurélia Mengin a intégralement tourné en Touraine, de Chambray à Athée-sur-Cher en passant par la forêt d’Amboise. Quand la région et le cinéma de genre font bon ménage…

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La réalisatrice Aurélia Mengin

Vous êtes habituée à tourner à La Réunion ou à Paris. Pourquoi avoir choisi la Touraine pour Fornacis ?
Au départ, je devais réaliser Fornacis à Munich. Les repérages et le casting étaient même déjà faits. Mais je me suis rendue compte qu’il serait financièrement difficile d’emmener toute mon équipe technique française et le matériel. Mon sound designer Nicolas Luquet, qui est Tourangeau, m’a alors proposé de tourner chez vous : s’y trouvaient les lieux de son enfance et de sa grand-mère Mauricette, de grands hangars complètement dingues que j’ai pu transformer. Je suis également tombée en extase sur les routes d’Athée-sur-Cher et la Forêt d’Amboise. Là, je me suis dit : ok, c’est bon ! Il fallait réussir à transformer ces lieux pour les amener dans mon univers. C’est important de mettre mon empreinte des îles dans un paysage français.

Dans une interview à Cinéma Fantastique, vous parlez de « la velouté des paysages de Touraine ». Qu’entendez-vous par là ?
La Touraine possède une lumière veloutée et douce. En filmant des acteurs, les ombres sont douces, la lumière est diffuse sur leur visage. Lors du tournage, il y avait une douceur malgré la canicule [il s’est déroulé d’août à septembre 2016 – NDLR]. Mais ce n’est pas agressif comme chez moi à La Réunion, où le soleil éclabousse tout.

FORNACIS de Aurélia Mengin - Photo 7

Quels ont été les lieux retenus ?
Il y a donc Athée-sur-Cher. D’ailleurs, le maire et l’adjoint à la culture ont été hyper enthousiastes. Ils ont bloqué les routes et installé des groupes électrogènes. On aperçoit également beaucoup la forêt d’Amboise. Il n’y en a pas de telles à La Réunion où c’est trop verdoyant ! Là, l’architecture des troncs et la verticalité de la forêt m’a plu. Ça se traduit dans Fornacis qui est compartimenté en sept chapitres sur le deuil. J’ai aussi filmé des paysages de Chambray-lès-Tours pour des couchers de soleil et pour les intérieurs. C’était génial, car certains habitants disaient : ‘’Oh, il y a un film d’horreur dans les maisons !’’. Parfois, après une scène, ma comédienne entrait dans un café avec sa grosse cicatrice ! (rires)

Dans vos films, la lumière est un personnage à part. Comment avez-vous abordé cet aspect avec les couleurs de notre région ?
Ça n’a rien à voir avec La Réunion, mais ça a marché à merveille. Le chef opérateur a assuré. Il y a une création de la lumière aboutie, des néons visibles comme le film Neon Demon. Il n’y a pas de dialogues dans Fornacis, les acteurs parlent avec leur corps. La création sonore et la composition sont importantes. Un gros étalonnage a été réalisé pour les extérieurs. Le ciel bleu de Touraine de départ est ici électrique. Il fallait bien filmer le coin et l’amener dans mon univers caniculaire. J’aimerais que les Tourangeaux voient Fornacis : vont-ils reconnaître les lieux filmés ?

Fornacis signifie « fournaise ». C’est un film sulfureux ?
Fournaise, c’est l’image du volcan. Dans Fornacis, l’héroïne développe une maladie – imaginaire ou pas ? – se transforme, sa peau brûle et se change en sable noir. C’est l’incandescence de l’amour. L’amour-haine est dévastateur mais beau. Le côté sulfureux ne vient pas de la mise en scène des corps : il y a du désir, mais c’est un désir contrarié. C’est brûlant, mais glaçant.

FORNACIS de Aurélia Mengin - Photo 9

Côté casting, y a-t-il eu des collaborations avec des gens d’ici ?
Oui, tous les figurant(e)s sont Tourangeaux. Il y a par exemple un couple gay de Tours qui a fourni un travail exceptionnel et qui a répondu présent suite à une annonce parue dans tmv ! Seuls les acteurs principaux ne sont pas de Touraine. Sinon on a travaillé avec un garage de Tours, Emmaüs Touraine, etc. Dans l’équipe technique, mon assistant David Roulet est Tourangeau, tout comme la maquilleuse Sandrine Legrand et bien sûr Nicolas Luquet au son.

Vous jouez avec la fantastique Anna d’Annunzio. Comment s’est faite la collaboration avec elle ?
Il y a eu un truc avec elle. Elle a tout amené en douceur. Elle apporte une féminité au spectre. Le casting a été facile, l’osmose parfaite. Emmanuel Bonami, par exemple, joue d’habitude des personnages durs. Mais là, c’était touchant, il joue sur sa féminité, il a cassé sa carapace. On questionne la notion de « genre ».

FORNACIS de Aurélia Mengin - Photo 2

Le film commence à tourner en festival…
Oui ! Fin septembre, Fornacis a reçu le Prix de la mise en scène lors de la 30e édition du Festival international du cinéma de Girona en Espagne. Et on part le présenter en Roumanie mercredi ! [interview réalisée le 10 octobre – NDLR]. J’ai également appris qu’il serait en compétition en Inde en novembre.

Alors qu’en France…
Eh bien malgré ça et les bonnes critiques, en France, aucun festival ne l’a encore pris. C’est un film indépendant et autoproduit : ça pose problème ! La France est aux abonnés absents. On fait tout tout seul : je n’ai pas de distributeur – d’ailleurs, j’en recherche un ! – ce qui n’est pas évident, car ils ont du réseau. Nous, on arrive comme des outsiders ! (rires) Et sans piston. C’est dingue que personne ne se réveille ici, même si je le sais, mon cinéma est moins facile à vendre.

Parce que la France est frileuse sur le cinéma de genre ?
Ce n’est même plus être frileux à ce stade… Le cinéma indépendant est toujours tenu par les mêmes gens. S’ils ne nous ouvrent pas leurs portes, on crève la gueule ouverte.

L’idéal, maintenant, serait également de le proposer aux cinémas Studio, à Tours, non ?
Oui, je rêve de pouvoir le présenter au festival Désir…Désirs ! Fornacis a tous les éléments pour aller dans ce festival. En plus, ce serait une première française… et dans la région où j’ai tourné !

LA CRITIQUE DE FORNACIS

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On avait laissé Aurélia Mengin en 2015 avec Adam moins Eve, court-métrage archi-stylisé se déroulant dans un univers post-apocalyptique et qui nous avait durement accroché la rétine au Festival Mauvais Genre de Tours.
Cette fois, la réalisatrice réunionnaise, également organisatrice et maman du festival Même pas peur, revient derrière la caméra… mais pour se frotter à l’exercice du long-métrage. Fornacis suit Anya, jeune femme endeuillée et obsédée par la disparition de Frida, sa compagne. Dans son roadtrip, elle voyage avec une urne. Rongée par la tristesse, Anya va basculer dans un monde confus, parallèle, où souvenirs et souffrances s’épousent, et où elle va rencontrer Wolf. Deux âmes égarées…

Disons-le tout de go : Fornacis n’est pas forcément facile d’accès pour tout le monde. Mais c’est pourtant là l’un des points forts du film. Car Aurélia Mengin, fidèle à ses habitudes, offre un véritable spectacle psychologique, qui bouscule, chamboule. Décalé mais authentique, particulier mais exigeant. En un mot, Fornacis est original.
Dans cette plongée radicale intégralement tournée en Touraine, la cinéaste offre une expérience perturbante. L’image du deuil est partout, tout le temps, avale l’image constamment. Le désir est au cœur de la Mort, Aurélia Mengin filme l’ensemble avec brio.

Esthétiquement sublime, Fornacis possède sans conteste la patte reconnaissable de sa génitrice : lumières saturées, travail sur l’image comme pour de la peinture, utilisation de néons… Jouant sur les symboles et l’ambiguïté, le film se rapprocherait presque de l’art contemporain, monde dans lequel a d’ailleurs baigné grâce à son père. Quasi « arty » dans son approche, le long-métrage se vit également à travers le son – que d’expérimentations ! – qui pourrait même être perçu comme un personnage à part (ce cri strident…).

Ce cinéma complexe ne serait cependant rien sans son casting. On retrouve ici l’incroyable et spectrale Anna d’Annunzio (vue dans L’Étrange Couleur des larmes de ton corps), Philippe Nahon et son regard bleu terrifiant (même si son chapitre est toutefois un poil plus fragile que les autres) ou encore un Emmanuel Bonami à contre-emploi.
Enfin, impossible de faire l’impasse sur la réalisatrice elle-même, Aurélia Mengin étant aussi actrice et jouant ici le rôle d’Anya. Solaire et magnétique, à la fois torturée et sensuelle, elle représente à merveille les notions d’amour et de deuil. Les deux traits (d’union) de cette néo-tragédie grecque dévorante.

Aurélia Mengin : « Le cinéma est un espace de jeu où tout est possible »

La réalisatrice réunionnaise Aurélia Mengin vient de poser sa caméra en Touraine pour tourner son prochain film. À cette occasion, tmv s’est entretenu avec cette cinéaste passionnante et passionnée.

Aurélia Mengin : le cinéma lui colle à la peau.
Aurélia Mengin : le cinéma lui colle à la peau. (Photo Vincent Mengin)

Pour votre nouveau film, vous avez décidé de tourner pour la première fois en Touraine. Pourquoi ?
C’est vrai que d’habitude, je tourne sur Paris ou à la Réunion. Ça a été compliqué, car j’ai écrit cinq versions de ce long-métrage. Il était d’abord prévu à Munich, avec un casting à 100 % allemand. Je voulais emmener toute mon équipe, mais c’était trop cher. Il y a 3 mois, je me suis dit que ça n’allait pas être possible. Nicolas Luquet qui travaille avec moi depuis 2010 (un Tourangeau interviewé sur tmvtours. fr en février 2016 – NDLR) m’a dit que la Touraine était canon ! Ses grands-parents sont d’anciens vignerons et possèdent un hangar, une petite maison, etc. Il fallait tout vider, mais je me suis dit que c’était top : c’était tout ce que je voulais, car je construis tous mes décors. Sa famille, hyper généreuse, nous a prêté les lieux. On a pu recréer un loft industriel, un bar étrange, une chapelle mystique…

Il y a quelques mois, une annonce avait été diffusée dans tmv pour compléter l’équipe. Vous avez pu trouver ?

Emmanuel Bonami sera de la partie pour le prochain film d'Aurélia Mengin (Photo unifrance)
Emmanuel Bonami sera de la partie pour le prochain film d’Aurélia Mengin (Photo unifrance)

Oh oui ! J’ai rencontré la Tourangelle Sandrine Legrand, une des deux maquilleuses qui a déjà travaillé avec le réalisateur Bertrand Mandico. J’ai aussi trouvé le couple gay qu’il me fallait à Tours, ainsi que mon premier assistant et des enfants du coin. Sans oublier la famille de Nicolas Luquet, M. Georget – « ma bonne fée » – qui m’a beaucoup aidée, la mairie de Chambray qui a accueilli le projet. Celle d’Athée-sur-Cher qui a permis de bloquer les routes durant le tournage. On filmera aussi dans la forêt d’Amboise pour le côté mystique.

L’an dernier, votre film Adam moins Eve était projeté au festival Mauvais Genre de Tours. On y trouvait un côté post-apocalyptique très prononcé. Votre nouveau long sera dans cette veine ?
Pas du tout. Je change constamment. Il y a toujours ce surréalisme, ce côté étrange. Mais je suis forcément influencée par la région où je tourne. Et la Touraine n’est pas très post-apocalyptique ! (rires). Ce film racontera l’histoire d’amour particulière entre un fantôme et une vivante, à travers un road-movie et des personnages atypiques. Il s’appellera Fornacis qui, en latin, signifie « fournaise ». Un hommage à la Réunion (d’où est originaire Aurélia – NDLR). J’ai auto-produit mon film. Je veux garder le pep’s que j’ai en tant qu’artiste. Un jus sans compromis ! Je veux rester une femme libre. Être réalisateur, ce n’est pas être assisté, c’est un métier passionné, il faut la gnaque ! Je ne pleurniche pas quand on ne m’aide pas.

Anna d'Annunzio, vue notamment dans l'Etrange couleur des larmes de ton corps.
Au casting, Anna d’Annunzio, vue notamment dans l’Etrange couleur des larmes de ton corps.

Pour en revenir à Fornacis, quel est le casting ?
Il y aura Philippe Nahon : j’ai écrit un rôle spécialement pour lui. C’est aussi la première fois que je travaille avec Emmanuel Bonami. Je suis curieuse de voir comment l’emmener dans mon univers. C’est un homme étonnant. Doux, alors qu’il joue souvent les méchants. C’est un guerrier au coeur tendre. Enfin, il y a Anna d’Annunzio, vue dans l’Étrange couleur des larmes de ton corps. Elle est sublime, a du charisme, une folie. Elle aime provoquer, titiller. Je pense qu’elle n’a peur de rien, elle possède un instinct animal et lit entre les lignes. Elle est l’enjeu du film. Elle incarne la beauté et le danger sans tomber dans la caricature. J’aime être troublée par les comédiens. Je les aime vraiment.

D’ailleurs que vous faut-il pour choisir vos comédien(ne)s ? Une bonne entente, des « gueules » de cinéma ? Je pense notamment à Jacky Berroyer avec qui vous avez tourné
Des gens que j’aime, avec qui je le sens. Je ne peux pas travailler dans une manipulation étrange, surtout si les scènes sont dures. Moi-même j’étais comédienne et je n’aimais pas souffrir. Après, c’est vrai que mes comédiens ont souvent « une gueule » ! J’ai du mal, je pense, si je ne trouve pas de personnage atypique. Un visage est un voyage. Ma caméra ne voyage pas si j’ai un visage lambda. Je me fiche des acteurs « bankables ». En France, on filme trop les M. et Mme Tout-le-monde. On a aussi un rapport à la femme assez macho : elle doit être belle, effrontée mais pas trop, fragile, à protéger. Je ne veux pas de potiches, j’ai une haute image de la femme.

Votre univers est assez « cru ».Pensez-vous que la création doit avoir des limites, ne pas aller trop loin ?

"Pour être réalisateur, il faut avoir la gnaque" (Photo Vincent Mengin)
Aurélia Mengin : « Pour être réalisateur, il faut avoir la gnaque » (Photo Vincent Mengin)

La création doit être totale et libre. Le cinéma français est dans le formol, globalement. Je n’ai pas de leçons à donner, je ne suis pas moraliste, attention ! Mais je suis activiste. Ma vie est engagée dans un sens différent : le festival Même pas peur que j’ai créé présente des films différents. Je préfère prendre des risques.

C’est votre père qui vous a transmis l’amour du cinéma, non ?
Oui, oui, oui ! J’ai travaillé avec lui dès mes 16 ans. Il était passionné de Buñuel , Dali, Godard… Il m’a emmenée vers ce cinéma-là, celui de la liberté. Le cinéma est un espace de jeu où tout est permis.

Le corps est toujours très présent dans vos films. Pourquoi ?
Oui, il est omniprésent. J’ai un rapport compliqué avec le corps. Je l’aime sans habits, mais je ne m’aime pas trop. Donc j’ai besoin de le filmer. C’est peut-être une forme de thérapie pour moi. Quand je regarde les gens, je les vois profondément. Il y a un rapport bestial mais sans vulgarité. J’aime enlever l’humain de son écorce sociale. Le corps est le miroir et le contre-miroir de l’âme.

Un dernier mot sur votre nouveau film… Une chance qu’il soit projeté à la Réunion au festival Même pas peur ? Ou même à Tours ?
Je ne sais pas. Honnêtement, je n’y pense pas encore. Là, je ne fais que penser au tournage. Je n’y réfléchirai qu’à la fin du mixage son au mois de mars. Pour le moment, l’important est que le 4 septembre, tout soit mis en boîte pour le tournage. Et sans regrets.

Propos recueillis par Aurélien Germain

Trailer d’Adam moins Eve, le précédent film d’Aurélia Mengin :

[vimeo]https://vimeo.com/109175668[/vimeo]