Du CCC au Kommandoh Chamanik via le Festival de l’Intime et Pitchipoï

Doc pilot est partout, c’est bien connu. Cette semaine, une tonne de concerts à raconter. C’est la chronique culture.

CCC : Combey Pion, Mathieu Dufois, Massinissa Selmani

Collection de sculptures en papier de Combey Pion, de l’usuel exporté sur les terres de l’imaginaire, du sensible à juger sur l’échelle du temps, du périssable et du fragile. Ce sac à dos en symbole rempli de vide, de l’air, de l’ultime agrandi dans un rêve, celui d’un couple, d’un duo, Paule Combey et Patrick Pion. Et cette omniprésente impression de bien-être au spectacle de ces objets agrandis, peut-être un rappel de la prime enfance, du regard porté sur l’univers et le quotidien avant d’avoir atteint le mètre…

Joie d’enfance aussi, au spectacle de la maquette “ ruine ” de Mathieu Dufois, et pourtant l’impression d’arriver après le pire, après l’humain, à l’instant où les fumées retombent pour laisser place au spectacle du désastre, au matériel retravaillé par la folie de l’homme, le décor d’un film où il ne fait plus bon traîner, même si l’envie est intenable d’y trouver du vivant… En restera-t-il dans l’étape suggérée du “ Sally ” de Massinissa Selmani ? La projection de lumière ouverte obligeant à l’attente, à la supposition d’une erreur dans l’effroi du regard du modèle, avant la délivrance de l’arriver de l’Autre, celui venu mettre un point final au calme, apporter une alternative à l’action suspendue dans l’espace. Nous bâtissons la suite, témoin puis acteur du drame avec l’envie du pire pour nous soigner du quotidien : enfin, figurants dans un film, et toujours sous la férule de l’homicide et du sang.

Pitchipoï au Pale

Pitchipoi (Photo capture écran doc pilot)
Pitchipoi (Photo capture écran doc pilot)

Au Pale, place Foire le Roi, Pitchipoï fête la sortie de son premier disque, l’arrivée d’un premier né dans une famille. Il faut dire le couple Olivier Dams /Anne-Sophie Roullin, porteur de ce projet d’une manière emblématique, tant est chargé de sens ce nom de groupe emprunté aux heures les plus noires de l’histoire du peuple juif, a cette capacité à ironiser du pire pour y survivre.
Comme le disait Catherine Ringer, dans Le petit train : « et moi, je suis encore là… » Un défi aux nettoyeurs au service de toutes les églises… et toujours présente et increvable, la musique, la tradition, toujours d’Est en Ouest, toujours des larmes au rire, et dans l’ivresse abusée pour pouvoir encore tenir et ne pas se frapper la tête sur les murs de l’Histoire. Pitchipoï est « encore là » et il est festif. De cette joie vécue à danser sur un volcan sans rapport avec les fiestas du Sud. La perfection instrumentiste est au service de ce blues européen, de ce tango continental, de ce fado né sur les terres imbibées du sang des pogroms.
Il y a de l’urgence dans le mariage des violons et des cordes, cette impression que tout reste encore possible, le meilleur comme le pire et qu’il faut donc aller vite et de l’instant jouir. La scène est le point fort de la bande, la joie communicative du quartet et le spectacle de l’amour du couple leader deux atouts pour nous coller aux murs d’un Pale bondé ; le disque enregistré par le génial Fabien Tessier en est la photographie jaunie par le temps, le souvenir d’un arrêt sur l’image : à coup sûr, il va s’en vendre des centaines à la sortie des concerts.

La mélancolie des dragons au Theâtre Olympia

L’impression d’un théâtre de rue amateur, emmené sur une scène, du vide, du bricolage, des silences, un texte limité à l’extrême. De la dérision, une mise en scène lisible à la première minute et sans évolution : un concept. Je comprends le travail et l’expression de Philippe Quesne, mais c’est pas mon truc, c’est pas ma came. Et je m’y suis beaucoup ennuyé, attendant en vain la petite claque pour justifier l’attente et l’éveil. A voir alcoolisé ou sous hallucinogènes.

Le Festival de l’Intime

En première partie, Manu, l’ex-chanteuse de Dolly, attendue, magique, charismatique avec toujours cette voix si étonnante d’ingénuité et de rage mêlés. Des titres de Dolly bien sûr, des tubes, de nouvelles chansons dont une en japonais, le dialogue avec un violoncelliste inspiré, puis la venue du fils du regretté Mika en invité à la guitare.. trop court pour les fans de la Dame…

Au pied levé, la tourangelle Kundal remplace Peter von Peohl couché par la grippe : c’est en devenir, clairediterziesque, dans l’optique de mélanger beauté harmonique et technique à des textes gentiment osés, à suivre… Pauline Croze c’est la grande classe, une présence énorme, des textes à tomber, un jeu de guitare subtil et sans emphase, une voix envoûtante, une sorte de Dominique A au féminin, je n’en vois que 6 titres ( et oui , la vie n’est pas un long fleuve tranquille) mais dans la nuit glacée, j’avance avec l’image omniprésente de cette Barbara des années 10 : séduit…
Le lendemain, Boys in lilies balance avec audace et talent divers nouveaux morceaux à la couleur coldwave/ambient, glissade psychédélique sur les traces de Cure ou Dead Can Dance voire Cocteau Twin…
Concert assez énorme de Ropoporose, duo nowave au parfum Kas product voire No Unauthorized, aux guitares hachées en boucles superposées comme dans les premiers Talking heads ou le Fripp’s league of gentlemen, canaillement séducteur par l’usage de rythmes imparables et de réelles chansons punk/pop balancées avec une énergie rare et une passion artistique quasi vitale. De l’urgence et de la joie, de l’audace et de l’assurance : on sent le truc qui va péter le score sur toutes les scènes grandes ou petites… Final en pétard mouillé, avec l’ennuyeux concert de Jay Jay Johanson, le crooner de la sphère branchée, mal servi par une sono donnant la part belle aux drums en noyant textes et claviers dans l’omniprésence de la Ludwig : un enchaînement de mélodies prévisibles sans effort et sans passion… à mon oreille.

Kommandoh Chamanik en Arcades Institute

Au sortir de l’hiver (on peut rêver !), des Indiens dans les vieilles pierres, de la tradition épaulée par la technologie des années 10, de la free party chargée de sens et la danse omniprésente et salvatrice au milieu des œuvres de Zäzu, l’attrait compulsif des boucles électroniques magnifié par le souffle du didjerido et l’électricité fuzzée de la guitare électrique.
Les longues mantras nous invitent à la messe de la Terre mère, au souvenir de ses enfants projetés hors de l’histoire par la folie destructrice de l’homme blanc. Le contact et la philosophie mélangés en un rite de joie physique, nature, et toute l’audience embarquée dans la danse, le rythme, la force… On en sort rechargé à bloc ; on a décollé pendant deux heures loin de l’Ukraine, de la Syrie et de la Grippe.