"Les métiers sont vivants" – Entretien avec Charles Gadéa

Charles Gadéa est professeur à l’Université de Nanterre. Il enseigne la sociologie des professions et il a co-écrit l’ouvrage Sociologie des groupes professionnels : Acquis récents et nouveaux défis.

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Les métiers anciens reviennent-ils au goût du jour ?
Ce qu’on appelle le déterminisme technique n’est pas essentiel. Il y a aussi tout le sens autour, l’amour du geste, de la nature, qui entraîne un regain d’intérêt pour les métiers anciens. Le maréchal-ferrant en est un bon exemple. Le retour de l’écrivain- public est lié à des motivations différentes : indépendance, forme de pourvoyance (métier exercé pour s’occuper des autres). En France, la crise marque durablement la société et la misère ramène des métiers disparus : voyez les porteurs d’eau sur le Champ de Mars. La crise anoblira peut-être les métiers de la réparation comme les cordonniers, ou du recyclage comme les ferrailleurs, le chiffonniers.
 
Si l’on exclut les besoins liés aux évolutions techniques, un métier peut-il mourir ?
C’est souvent dû à la pression d’une autre profession. Les métiers sont vivants, ils pratiquent une sorte de sélection naturelle et il arrive que certains en dévorent d’autres. Prenez les herboristes : ils s’étaient structurés entre les deux guerres et avaient donné un caractère scientifique à leur profession. Ils offraient des médicaments à moindre coûts. En 1941, les pharmaciens ont obtenu le monopole et l’interdiction de formation et d’installation de nouveaux herboristes. Ils ont donc disparu en France, mais perdurent en Allemagne, aux Pays-Bas, où ils font partie des professions de santé parfaitement officielles. Parallèlement, d’autres métiers apparaissent. Ils se créent face à l’opportunité d’un marché : les acheteurs immobiliers, les voitures de petite remise. D’autres naissent grâce à une volonté politique. Ce fut le cas des médiateurs sociaux. L’enjeu est ensuite de rendre la profession viable. Le management crée beaucoup de nouveaux métiers, comme le conseiller financier à La Poste. Ils ne sont ni gérant de portefeuilles ni guichetier. Mais des activités apparaissent avec un nouveau nom, alors qu’elles sont un avatar de professions existantes.
Ces nouveaux métiers possèdent-ils une vraie identité ?
Pendant un temps, l’identité est plaquée artificiellement mais il y a aussi, autour de ça, des dynamiques, des recrutements extérieurs, l’apport de chacun. Les professionnels constituent leur syndicat, mettent en place des formations et l’identité commune se forge petit à petit. Il y a des domaines très effervescents, dans lesquels les identités n’ont pas le temps de se créer : la communication, le numérique… Le community manager a encore peu de dimension collective et déjà, le web master, lui, a presque disparu.
Propos recueillis par E. S.