« À Emmaüs, on trouve ce qu’on n’est pas venu chercher »

#VisMaVille Patrick a rejoint la communauté d’Esvres, il y a une dizaine d’années. Il réceptionne, trie, classe et vend des objets donnés. Sa spécialité : les livres. Sa vie : un roman.

Des magasins de Tours-Nord ou Saint-Pierre-des-Corps à celui d’Esvres-sur-Indre, c’est bien de travail dont il s’agit. Si vous déboulez un samedi sur les coups de 14 heures à l’ouverture des magasins d’Emmaüs, le rideau tombe et c’est le grand rush garanti.

À Esvres, du côté des meubles d’occasion, vous tomberez sur Simon, compagnon, plaisanterie en bandoulière et éclats de rire assurés. Un peu plus loin, aux Bibelots, c’est Danièle (une bénévole d’Emmaüs, ancienne de France Télécom) qui bichonne les verres, les vases et belles assiettes.

Pas loin, on retrouve Patrick et Odilon. Ils s’occupent des livres. Autant Odilon, la quarantaine, originaire du Congo Brazzaville, arrivé en France au début des années 2000, est calme et observateur, autant Patrick porte haut l’élégance vestimentaire et le verbe.

Des chemins particuliers

Ces deux-là s’entendent bien. Tôt le matin, lorsque je les ai retrouvés dans un des hangars de la communauté d’Esvres, ils réceptionnaient des kilos de cartons remplis de bouquins. D’un côté, une benne pour évacuer (et recycler) et de l’autre une pile d’ouvrages divers qui seront mis en vente. Patrick connaît son affaire. « Des bouquins, dans ma vie, j’en ai acheté 7 000, 8 000… », assure-t-il.

On imagine déjà le prof de lettres, ou quelque chose dans le genre : « Non, je suis diplômé en droit des affaires ; j’ai été avocat, expert- comptable, haut placé à la Générale des eaux, au crédit foncier. » Une carrière et une vie peu commune. « Aujourd’hui, je suis retraité, malade aussi, Emmaüs m’apporte une sécurité. Comme j’ai tout eu en biens matériels avant, je n’ai pas besoin d’autre chose que ce que je trouve ici. »

À bien y regarder, la cinquantaine de compagnons d’Esvres ont tous des chemins particuliers qui les ont menés ici. Patrick y trouve son compte. Son expertise sur les livres est sa richesse. « Avant 1800, les livres se vendaient en vrac, aux feuillets. Ce sont les acheteurs qui les faisaient relier. Par la suite, tout s’est industrialisé. J’aime moins. »

Dans une remise au chaud, jouxtant le hangar, Patrick et Odilon classent, rangent et donnent un prix à chaque ouvrage. « En moyenne, on vend à un quart du prix neuf. » Sous les beaux livres reliés, j’aperçois une collection complète de la série écrite par George Martin, Game of Thrones. Les cinq tomes, en parfait état, partiront pour le prix d’un seul volume neuf. De retour dans la salle des ventes, Odilon réceptionne les achats tandis que Patrick discute, explique, conseille.

« Depuis le temps, je connais les habitués », insiste-t-il. Mais à côté des collectionneurs, il y a monsieur et madame Tout-le-monde à la recherche d’un titre particulier… L’autre jour, quelqu’un voulait un livre sur la langue bretonne, il est reparti avec la bio souvenir de Michel Drucker. Car comme le dit Patrick : « À Emmaüs, on trouve ce qu’on n’est pas venu chercher ».

Thierry Mathiot


> En règle générale, les dons peuvent être déposés les jours d’ouverture le matin et tous les jours à Esvres. Tél. 0247264325. www.emmaus-touraine. org

 

Cannabis social club : hymne à la feuille

À quelques kilomètres de Tours, ils font pousser du cannabis au vu et au su de tous. Leur mouvement fait tâche d’huile un peu partout en France. Rencontre.

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Dominique, 43 ans, est père de deux enfants. Depuis vingt ans, c’est un consommateur régulier de cannabis. Mais c’est aussi un producteur, un vrai. Tout commence en 1990 où un séjour en prison l’empêche d’assister à la naissance de son fils. À partir de ce jour, Dominique en fait un point d’honneur : plus jamais il ne veut avoir de contact avec le marché noir. Ce jardinier de profession commence alors à faire pousser la plante chez lui, à Esvres, à quelques kilomètres au sud de Tours.
Très vite, il est rejoint par plusieurs amis qui, comme lui, sont décidés à se passer des dealers. Au départ, l’entreprise est fastidieuse : les semis ne donnent rien, les feuilles fanent. Mais, d’essais en essais, les plantes s’épanouissent et le nombre des cultivateurs aussi. Et C’est ainsi que naît le Cannabis Social Club, un petit groupe au nom un brin provocateur qui ne tarde pas à essaimer un peu partout en France. Il y aurait aujourd’hui, la bagatelle de 300 CSC dans le pays.
Auto-production
Après des années de clandestinité, ce groupe d’auto-producteurs a décidé de lever le voile et d’assumer son action aux yeux de tous, pour clamer haut et fort que « produire son propre cannabis est un geste responsable qui réduit les risques ». Le message, atypique, inédit, trouve un écho dans les médias nationaux. Dominique Broc a les honneurs de Libération, du Monde, de l’AFP, qui viennent faire le portrait de ce briseur de tabous. Même Canal + et TF1 font le déplacement à Esvres. Après la tentative (avortée) de Vincent Peillon de remettre sur le devant de la scène le débat sur la légalisation du cannabis, l’aubaine médiatique est trop belle.
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Mais, pour se faire entendre, Dominique et ses camarades n’entendent pas en rester là. Le même jour (la date sera fixée début février), chacun des 300 Cannabis Social Club de France va déposer son statut d’association loi 1901 auprès des préfectures de France et se déclarer officiellement en tant que cannabiculteurs. »
L’activité étant illégale, les demandes ont, naturellement, toutes les chances d’être rejetées. Mais l’essentiel n’est pas là. « En nous dénonçant auprès des préfectures, nous cherchons avant tout un dialogue avec le gouvernement » explique Dominique, qui se trouve à la tête de ce mouvement. « Notre action est responsable et réfléchie. Le CSC réclame le droit de cultiver son herbe en s’appuyant sur une transparence irréprochable. C’est-à-dire en tenant un cahier de culture, imposant un suivi rigoureux de la production, de la consommation par personne et une traçabilité au gramme. Ainsi le club s’assure qu’il n’y a aucun commerce, ni aucune revente et peut montrer patte blanche aux autorités à tout moment. Car le mot d’ordre de tous les CSC est clair : pas de business. »
Anti-dealers
Eviter toute forme de commerce pour couper l’herbe sous le pied (si le jeu de mots nous est permis) aux dealers de tous poils. C’est tout le sens de ce débat que Dominique Broc et son CSC veulent relancer.
Et puis, bien sûr, il y a l’aspect thérapeutique… Car le cannabis possède des propriétés antidouleurs, anti-spasmes, anti-vomitives reconnues par la médecine. « Une personne de notre groupe souffre d’une maladie orpheline neurodégénérative. Lorsqu’elle consomme du cannabis avec nous, son visage se décrispe, ses membres se détendent et ses tremblements diminuent. Une autre souffre de sclérose en plaques, et soulage ainsi sa douleur. » Et Dominique de rappeler que le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse ainsi que plusieurs états des États-Unis se sont laissés convaincre par l’utilisation du cannabis thérapeutique. Actuellement en France, l’usage du cannabis à titre médical est réservé à quelques dizaines de patients qui disposent d’une autorisation temporaire d’utilisation. Ils peuvent donc prendre du Marinol, un médicament à base de cannabis synthétique, le moins dosé du marché. Pour le reste, la réponse de l’état est toujours la même et ce quelle que soit la couleur politique du gouvernement : c’est non, en dépit des divers appels en provenance d’associations ou de médecins.
Les planteurs iconoclastes des CSC, de Touraine et d’ailleurs, parviendront-ils à relancer ce vieil et épineux débat ? Début de réponse en février, sur au bureau des associations de la préfecture…