L’Échappée rose : elles roulent contre le cancer (2)

Du 30 septembre au 6 octobre, vingt femmes ayant subi des traitements pour un cancer vont relier Tours à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) en vélo. Soit 300 km en 6 étapes pour cette aventure, intitulée L’Échappée rose. Rencontre avec ces participantes aussi admirables que pleines de vie. (partie 2)

SYLVIE

Sylvie était une grande sportive. Elle faisait du vélo, de la plongée sous-marine. Et puis en une petite journée, c’est le grain de sable qui a grippé la machine. « Avec la maladie, tout s’est arrêté. Physiquement, ça n’allait plus », souffle Sylvie. Cela fait partie du passé, désormais.

La preuve, pour notre rendez-vous, Sylvie a descendu de la Tranchée jusqu’à Jean-Jaurès à pied. Cheveux courts nourris de légères boucles, sourire apaisant, lunettes aux montures multi-colores posées sur le nez (et chaussures de sport aux pieds !), Sylvie, bientôt 53 ans, retrace son histoire autour d’un café, en terrasse. Son cancer du sein, elle s’en est aperçue un jour en vacances.
« En enfilant mon maillot, j’ai senti une boule. J’ai eu une suée et pris rendez-vous dès mon retour. Le médecin m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’un kyste. » La mammographie, faite en urgence, prouvera que non. « Puis, tout a été très vite. » Biopsie, chirurgien, rendez-vous. La phrase, glaciale, du médecin tombe comme un couperet : « Il m’a dit cash : vous avez un cancer. Je suis sortie en pleurs. »

Sylvie a été soutenue par son patron et ses amis. D’ailleurs, elle a réussi à vendre 45 t-shirts pour L’Échappée rose !
Sylvie a été soutenue par son patron et ses amis. D’ailleurs, elle a réussi à vendre 45 t-shirts pour L’Échappée rose !

Sylvie ne réalise pas au début. Elle est abattue. Il y avait eu ce cancer de la thyroïde à l’époque. Et là, le sein. Mais le soutien qu’elle reçoit sera décisif. « C’est ultra important », sourit-elle. Que ce soit sa famille ou son patron, elle est accompagnée. Même par ses animaux : un chat qui ronronne sur le ventre, un chien qui se repose à ses pieds, Sylvie y trouve un réconfort extraordinaire et simple.

« Je vais m’échapper »

Elle est opérée le 14 septembre 2016. Un an plus tard, Sylvie Perier (il y a quatre Sylvie dans l’équipée !) va donc monter sur son vélo pour l’Échappée rose, elle qui a repris son emploi à mi-temps dans un bureau d’études à Saint-Cyr il y a 3 semaines. « Cette aventure porte bien son nom ! Je vais m’échapper ! Au début, j’avais des doutes. En plus, il me restait plein de rayons à faire pour mon traitement.
Puis ça s’est estompé. Là, je suis pleine de confiance, boostée au maximum. » Évidemment, pour Sylvie, il y a un peu d’appréhension. Peur d’oublier quelque chose au départ et de faire 50 km par jour. « Mais le côté groupe nous porte. On est bien entourées… Ce n’est pas une compétition », relativise Sylvie, en rappelant que la fine équipe est aussi très bien suivie par des coachs. Et puis, motivation supplémentaire, elle n’a qu’une hâte : « Voir la mer. »

Une jolie façon d’oublier le cancer, les pertes de mémoire que les traitements impliquent (« c’est ce qui m’embête le plus ! »), de laisser les mauvais souvenirs de côté et simplement profiter. « Parce qu’il faut vivre au jour le jour et profiter de la vie », philosophe celle qui est redevenue la grande sportive qu’elle était. L’Échappée rose est un objectif pour elle : « Si je réussis, je serais contente et j’aurais gagné contre la maladie. »

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BRIGITTE

« Quand j’ai su la maladie, ça m’a fait un choc : j’ai toujours fait attention à moi… » Brigitte déroule son récit méticuleusement. N’oublie pas les détails. Sport, vélo, pilates, nourriture bio, elle faisait tout ce qui fallait. Ce qui n’a pas empêché le cancer de la rattraper. Les chimios s’enchaînent alors. Douze au total.
À côté de ça, elle découvre la Ligue contre le cancer et les massages à l’hôpital. « Mon corps était en souffrance. Là, je revivais avec la douceur », indique Brigitte.

Elle apprend aussi le shiatsu chez son kiné. C’est d’ailleurs la remplaçante de ce dernier qui, un beau jour, lui tend un flyer. Celui de l’Échappée rose. « J’étais intéressée, car je voulais faire la Loire à vélo. » Ni une ni deux, la voilà embarquée dans l’aventure. logo-rose

La place Jean-Jaurès grouille de monde ce jour-là. Derrière de petites lunettes bleues, Brigitte regarde au loin. Elle est toute chic, bien habillée. Ses jolies boucles d’oreilles se balancent quand elle parle. Lorsqu’on lui demande quel est son état d’esprit avant le grand départ, elle sourit. « Il y a de l’excitation. Je suis très contente, c’est un super projet. On ne va pas que pédaler : il y a aussi l’à-côté. On est en groupe et surtout, on prend du temps pour soi. »
De toute façon, Brigitte est fin prête. Elle n’a pas trouvé les entraînements trop difficiles. À part, peut-être, ce 46,5 km d’affilée un matin. « C’était un peu raide, je ne suis pas vraiment matinale ! »

« Mon mari m’a beaucoup aidée »

Discuter avec Brigitte revient à percevoir le cancer différemment. C’est aussi, et notamment, grâce à son mari. « Il m’a beaucoup aidée. Pour lui, c’était une maladie comme une autre et il m’a dit que je guérirai. Je n’ai pas eu de colère. J’ai été… libérée d’un poids », concède-t-elle. L’appui viendra aussi de l’antenne psy à Trousseau.
C’est grâce à celle-ci que Brigitte s’est mise « à la méditation pleine conscience pour mieux gérer le stress », ainsi que l’hypnose. « J’ai pris tout ce que je pouvais prendre », résume-t-elle. Brigitte paraît un peu discrète. Être prise en photo pour l’article ne la tente pas vraiment d’ailleurs. Tout comme dévoiler sa profession. Mais quand il faut parler de la maladie, elle le fait « librement, car ce n’est pas tabou ». En reprenant le credo dicté par son mari, elle dit qu’il « faut prendre cette maladie comme une autre. Il n’y a pas un cancer, mais des cancers et tous sont différents. Ça ne se compare pas ».

Aux personnes touchées, elle leur conseille de ne pas voir que le médical au niveau des soins. « Intéressez-vous aux supports qui font travailler le mental : le sport, la méditation… Cela a un impact sur les gènes. » Pour Brigitte, c’est l’organisme Sport et santé qui semble avoir beaucoup aidé. À se redonner confiance, déjà. Et à garder le goût des activités physiques. Ce qu’elle mettra en pratique sur son vélo pendant 300 km. « Un énorme projet et une fierté » pour Brigitte. « Avec l’Échappée rose, on est dans la vie et pas dans la maladie. »

Portraits réalisés par Aurélien Germain

>> Relire la partie 1 : c’est par ici ! 

L’Échappée rose : elles roulent contre le cancer (1)

Du 30 septembre au 6 octobre, vingt femmes ayant subi des traitements pour un cancer vont relier Tours à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) en vélo. Soit 300 km en 6 étapes pour cette aventure, intitulée L’Échappée rose. Rencontre avec des participantes aussi admirables que pleines de vie.

VÉRONIQUE 

La place Plumereau est inondée d’un doux soleil de septembre ce matin-là. Véronique est tout aussi rayonnante. Elle sourit. Constamment. Elle a fait près d’une heure de route pour rejoindre Tours – elle habite Marçay, près de Chinon – juste pour l’interview. Mais ça ne la « dérange pas du tout ».
De toute façon, Véronique voit désormais la vie différemment. Depuis la maladie, sa vision des choses a changé. « Vous savez, il ne faut pas se prendre la tête pour un oui ou pour un non. Il y a des choses plus graves dans la vie ! » Désormais, « un rayon de soleil ou observer les cygnes sur la Loire peut me faire du bien ». Des bonheurs simples.

La vie ne fait parfois pas de cadeau. Pour mieux comprendre Véronique, il faut revenir en arrière. Véronique avait senti une grosseur elle-même dans sa poitrine. Une mammo et une écho au programme, mais « le radiologue m’a dit que je n’avais rien du tout ». Pourtant, au fond d’elle, elle en est persuadée : il y a quelque chose. « C’est bizarre, mais, comment dire… je le “sentais’’. J’en étais sûre et certaine. »
Au deuxième rendez-vous, elle apprend qu’elle a deux cancers dans le même sein. Chimio et « traitement lourd » ouvrent la marche.
Effet papillon oblige, tout s’enchaîne : « J’étais secrétaire médicale à Chinon, mais j’ai été virée à cause de ma maladie. » Puis, son mari s’en va. Et le problème de logement suit. Véronique, qui a eu 50 ans en juillet, est donc retournée vivre chez ses parents. Elle recherche un emploi – elle adorerait être auxiliaire de vie scolaire – et a la gnaque : « Je suis une battante ! », dit-elle dans un sourire.

Véronique dit qu’après la maladie, les envies ne sont plus les mêmes. Désormais, elle a un besoin fou d’être dans l’eau.
Véronique dit qu’après la maladie, les envies ne sont plus les mêmes. Désormais, elle a un besoin fou d’être dans l’eau.

Véronique s’arrête quelques instants dans son histoire. S’excuse par avance : « Je suis désolée, mais il se peut que je devienne subitement aussi rouge que mon pull en raison de bouffées de chaleur. C’est mon traitement qui fait ça… » Au final, durant tout l’entretien, elle ne rougira pas une seule fois. Tout juste quelques mots qui lui restent sur le bout de la langue. Parce qu’outre une fatigue plus importante, son hormono-thérapie implique aussi « un manque de concentration ». Embêtant, mais pas autant que la perte de cheveux, le plus difficile selon elle. « C’est symbolique de la féminité », traduit Véronique. Ses trois premières chimios ont été bien encaissées. « Après, c’était horrible et j’ai failli arrêter. »

« Je donnerais tout pour mes nièces »

La perte de poids n’aide pas. Véronique, qui faisait énormément de musculation et de vélo avant la maladie, maigrit beaucoup trop. Mais le temps passe et cette battante reprend les activités petit à petit. Son frère, prof de sport, l’y aide physiquement. Mentalement aussi, c’est la famille qui la sauve… et surtout ses nièces ! « Je leur donnerais tout », s’exclame Véronique. L’amour qu’elle leur porte se traduit dans ses yeux qui s’embuent. Âgées de 7 à 17 ans, ses nièces sont son bonheur, sa vie. En écoutant son récit, on sent que c’est grâce à ces jeunes filles que Véronique a pu évacuer son « atroce colère » comme elle la nomme, celle qui l’a envahie à l’annonce de la maladie.

Aujourd’hui, Véronique se dit zen. Avec le recul, elle conseille à celles et ceux touchés par la maladie de « surtout en parler et ne pas se renfermer. Il faut se battre ». Même si, elle l’accorde, ce n’est pas toujours facile : « Des fois, on a l’impression d’être contagieux. Le regard des autres est dur, mais on s’en fiche ! » En tout cas, pendant l’Échappée rose, personne ne se dévisagera. Le projet l’a aidée à reprendre confiance en elle. Alors oui, le trajet est long. « Mais je vais me prouver à moi-même que j’en suis capable ». Véronique est surexcitée de partir. « Je suis comme une gamine ! », rit-elle. « Je souhaite simplement profiter… et qu’il ne pleuve pas ! »

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VALÉRIE

Valérie va à cent à l’heure. Le temps est précieux, mais il passe vite. Et elle a des dizaines de choses à faire. À 53 ans, cette femme ultra-dynamique est artisan dans la pub chez Actu’Elle. C’est dans ses locaux, situés à La Membrolle-sur-Choisille, qu’elle reçoit. Valérie se marre souvent. Sourit tout le temps. En ce moment, « c’est la course », dit-elle, en gribouillant nerveusement de petits ronds au stylo sur son sous-main de bureau.
Elle est « débordée » et elle « a beaucoup de travail » avant de prendre la route en vélo dans quelques jours.

Valérie n’a aucun souci à revenir sur le passé, la maladie. « J’avais une douleur dans le sein. J’ai fait une première mammo’ et on m’a dit qu’il n’y avait rien de particulier. J’ai eu mal tout l’été, je ne pouvais même plus mettre de soutien-gorge. Je pensais être parano, vu qu’on ne m’avait rien décelé », remet-elle. De mai à décembre, elle attend. Et laisse faire le cours des choses. Mais décide finalement de redemander une mammographie. Le résultat tombe. Cancer.
« Les médecins n’avaient pas vu. Je n’ai pas dormi pendant 3 nuits. » Le salut viendra de Sigrid, sa « super copine ». Valérie lance dans un rire – et on rit avec elle – « Ah, on a un peu bu ce soir-là, oui ! ». Puis son amie la rassure, lui dit qu’elle va l’aider et l’accompagner. L’ironie du sort fera que quand Valérie ait fini ses soins, Sigrid tombe aussi malade. « Donc je l’ai aidée à mon tour ! »

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Valérie (à droite), accompagnée de ses employées, à la Membrolle-sur-Choisille.

Depuis, tout le monde va bien. Beaucoup mieux, même. Valérie carbure et croque la vie à pleines dents. Quand elle parle, on imaginerait presque un petit « carpe diem » se balader au-dessus de sa tête. « Bon, oui, j’avoue que je n’ai pas une conduite de vie très propre », glousse-t-elle.
De loin, on aperçoit un paquet de cigarettes dépasser de son sac. Le tabac, elle va essayer de l’oublier pendant l’Échappée rose. « Cette aventure va m’aider à arrêter de fumer. Et je vais manger correctement », indique celle qui se dit « très gourmande ». Car non, l’Échappée rose n’est pas un défi mental pour Valérie. « C’est plutôt une aide. Je vais m’échapper de mon travail, ne plus penser au stress. » Son bureau, ainsi que sa sympathique équipe, elle les retrouvera dans quelques jours.

Le travail, c’est la santé

Mine de rien, Valérie et le travail ne font qu’un. Elle aime ça. Elle avoue d’ailleurs que c’est ce qui l’a fait tenir. « Je n’ai pas arrêté de bosser quand j’étais malade. Des fois, je me reposais un peu », souligne-t-elle, en désignant un gros fauteuil en cuir noir, dans un coin du bureau. « En fait, je ne me sentais malade que lorsque j’allais aux rendez-vous à l’hôpital. »
Bien sûr, le traitement est difficile. Pour les trois dernières chimios, « j’ai eu la peau qui se décollait des mains et des pieds ». Bien sûr, ses batteries sont vite à plat : à 19 h, c’est dodo. Bien sûr, pour son entourage, elle en « fait trop ». Mais Valérie a continué à se battre et travailler.

D’ailleurs, quand on lui demande à quoi elle pense à quelques jours du départ pour l’Échappée rose, sa réponse fuse : « À ma compta’ et à gérer mon travail ! Je ne penserai au voyage que le matin-même. Vous savez, même à Noël, j’achète les cadeaux le jour même… » Elle rit. Encore une fois.

Portraits réalisés par Aurélien Germain