Les Religions se parlent (spécial #JeSuisCharlie)

Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, une douzaine de représentants des religions à Tours se sont réunis autour d’une même table pour parler de la tragédie. Dialogue interreligieux.

Dialogue interreligieux
Salah Merabti, président de la communauté islamique d’Indre et-Loire (à gauche) : « La majorité des musulmans aspirent à vivre dans la paix ».

Le couvent des Dominicains, rue Jules-Simon, est plongé dans la pénombre de cette nuit du jeudi 8 janvier. Silence nocturne en plein centre-ville. La réunion est prévue de longue date pour organiser un événement dans les mois qui viennent. L’actualité a rattrapé l’ordre du jour. Dans une petite salle du couvent, plusieurs musulmans de la mosquée de Bouzignac et de celle de la rue Lobin sont déjà installés. Ils discutent avec deux représentants bouddhistes zen et tibétain. Le décorum de la salle est d’une neutralité absolue. L’ambiance n’est pas forcément tendue, elle est plutôt respectueuse. L’attentat de la veille se lit sur tous les visages, le nom du journal qui a été visé n’a pas encore été prononcé. La conversation commence :
Père Jean-François Bour : « Même si les personnes changent, ce groupe est constitué depuis des années. On pourrait dire qu’il a réellement pris cette forme de rendez-vous réguliers depuis le 11 septembre 2001, un événement qui résonne aujourd’hui. »

Salah Merabti, président de la communauté islamique d’Indre-et- Loire : « Ce dialogue est indispensable pour le vivre ensemble. On se fait tout un film sur nos voisins mais c’est en discutant avec eux qu’on peut les comprendre, et même en faire des amis, des alliés. Je me rappelle des années 1980, au moment des attentats en Algérie. Nous étions déjà montrés du doigt. Nous ne pouvons pas nous justifier à chaque fois que des jeunes paumés commettent ce genre d’acte. La majorité des musulmans aspirent à vivre dans la paix. Cette minorité nous tient en prison. »

Paul Levy, président de la communauté juive de Tours : « Je suis persuadé que le vocabulaire concernant l’Islam a évolué depuis ces dernières années. Je crois que les gens sains d’esprit font la différence entre les radicaux et les musulmans. »
David Mitrani, pasteur de l’Église réformée de France à Tours : « Il faut que nous puissions envoyer un message fort : les religions sont un facteur de paix. »
dialogue interreligieux Salah Merabti : « Si vous prenez les grands ensembles, comme au Sanitas par exemple, le dialogue entre les religions se fait tous les jours, entre habitants, amis. C’est un dialogue qui n’est peut-être pas officiel mais il existe. »
Abderrahim Hami de la mosquée de Bouzignac : « Pour moi, ces jeunes qui ont attaqué le journal ne sont pas musulmans. À mon avis, c’est vers les jeunes personnes qu’il faut concentrer nos efforts, c’est avec eux qu’il faut discuter en priorité. »
Larbi Boucetta, musulman et impliqué dans le milieu associatif : « Il ne faut pas, je pense, mettre en avant les différences entre nous mais plutôt apprendre à se connaître, entre humains, avec le coeur. »
Jean-François Bour : « Tout à fait et en même temps, je suis persuadé que tout le monde vient d’un univers différent, je pense que pour avancer, nos différences sont une richesse. »
Tmv : « Que pensez-vous de Charlie Hebdo et des caricatures faites sur les religions ? »
Paul Levy : « Le rire fait partie de notre religion, les juifs sont les premiers à se moquer d’eux-mêmes (rires). »
David Mitrani : « Je respecte ce que fait Charlie Hebdo mais pour moi, j’ai toujours trouvé leur humour malsain. Ce que je défends aujourd’hui, c’est le principe de la liberté d’expression. »
Jean-François Bour : « Pour moi, les actes qui ont été commis sont un signe de faiblesse. Quand on est fort, dans sa religion, pas besoin de prendre les armes de se défendre par la violence. »
Jean-Pierre Dupont, pasteur évangélique à Tours : « Je comprends ce que peuvent ressentir les musulmans, toutes proportions gardées, car nous avons longtemps été considérés comme une secte et nous avons souffert d’insultes ou d’amalgames. »

Où en sont les catholiques ?

Vous n’avez pas pu échapper au visage du nouveau pape sur tous les écrans. A tmv, on a mis un coup de projecteur sur les cathos à Tours. Et ils nous ont parlé de tout… Vraiment tout.

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Au fond de son salon traîne une guitare et un piano. Robin Durieux, avec son look de quadra dynamique est à mille lieux des stéréotypes catho. Il est en charge de l’équipe de la pastorale à l’école de Notre-Dame-La-Riche. Pour les non initiés, la pastorale, c’est en gros, des cours de catéchisme au sein d’une école catholique. Mais ne dites surtout pas ça à Robin Durieux, il le prendrait mal. « Je fais tout sauf du cathé ! Je préfère le terme de culture religieuse. J’offre aux lycéens qui viennent à mes cours, des clés pour comprendre la vie grâce à la vision d’une religion. » Et quand le mot prosélytisme est lancé, le Marseillais renvoie directement dans les cordes : « Nous avons un véritable problème avec le terme laïcité en France. Ce n’est pas parce que L’État et l’Église sont séparés que tout le monde ne peut pas exprimer ses convictions religieuses. On atrophie le spirituel dans notre pays et pour moi, c’est une des souffrances des Français. » Dans ses cours de pastorale, il « s’arrête au seuil de conscience : après, c’est à eux de choisir s’ils veulent avoir une pratique régulière. Depuis Vatican II, les évêques ont compris qu’il fallait changer la manière de parler de notre religion. Nous sommes là pour dialoguer, parler avec le monde mais pas obliger des lycéens à suivre des cours de pastorale. »
Le catholicisme est la première religion en France, il est pourtant difficile de dire combien de personnes l’Église touche en France. « Disons que lorsque des sondages sont réalisés, 60 % des Français se revendiquent catholiques », explique l’Abbé Jean-Marie Onfray, le délégué à la culture dans le diocèse de Tours. « Mais qu’est-ce que ça veut dire être catholique ? Aller à la messe régulièrement ? Dans ce cas-là, le nombre de catholiques tomberait à 2 ou 3 % de la population. À Tours, ça représenterait environ 5 000 personnes. Pourtant, beaucoup plus de personnes sont en quête de sens dans leur vie et possèdent une foi catholique sans pour autant se rendre tous les dimanches à l’église. » Quête de sens. Le terme revient fréquemment.
Début d’explication avec Jean-Marie Onfray : « Nous vivons dans une société de consommation qui rend les Français assoiffés, de connaissance, de bouffe, de tout. Il manque juste le sens. L’Église apporte ce quelque chose d’humanité que beaucoup d’entre nous recherchent. Des catholiques non pratiquants, le père Jacques Legoux en rencontre régulièrement au sein de la paroisse de la cathédrale de Tours. « Ceux qui sont dans la demande de signes de la foi sont de plus en plus nombreux. Je les vois pour le baptême d’un enfant ou un mariage. Ils n’ont jamais vraiment mis les pieds dans une église. Je ne leur ferme surtout pas la porte. » Même son de cloche pour le diacre, Jean-Louis Bonnin. Assis sur une des chaises de l’accueil du presbytère situé derrière la cathédrale, il sourit : « Je viens de passer du temps avec un couple pour préparer leur mariage, choisir des textes. La jeune femme a fait du catéchisme mais n’a jamais vraiment pratiqué ensuite car elle avait un mauvais souvenir de ces années. Elle vient de sortir, ravie, elle m’a dit que sa vision avait changé. »
Alors, l’Église change ? Elle a un nouveau pape maintenant. Mais, d’après le père Jacques Legoux, elle n’aurait pas attendu François 1er pour évoluer. « Nous sommes là pour accompagner le monde, affirme le pasteur. Prenez Diaconia 2013, c’est une démarche initiée par l’Église depuis trois ans et qui demande aux catholiques d’être solidaires avec les autres. Nous ne sommes plus, désormais, dans la charité qui implique une forme de dépendance, mais dans un échange. Les autres, même ceux qui sont éloignés de l’Église, peuvent nous apporter des choses. » Pour l’Abbé Jean- Marie Onfray, « l’Église est, aujourd’hui, à une croisée des chemins. Soit elle se replie sur elle-même comme le veulent les 3-4 % de pratiquants et devient de plus en plus identitaire, soit elle se dit mais quelle bonne nouvelle j’ai à annoncer aux hommes pour leur apporter toujours plus de dignité ? » L’arrivée de François 1er au Vatican pourrait renforcer cette ouverture sur la société. « L’Église prend son temps. La société évolue très vite mais se casse la figure très vite aussi. L’Eglise, elle, reste prudente. Par exemple, elle prend en compte, seulement aujourd’hui, les avancées des sciences humaines du début du siècle, sur la psychanalyse, l’idéologie marxiste, la science historique ou encore la sociologie. Elle a le bénéfice de l’expérience. » Friedrich Nietzsche disait au XIXe siècle Dieu est mort. Le père Jacques Legoux rigole : « Je crois que le cadavre bouge encore ! »