Aurélia Mengin : « Le cinéma est un espace de jeu où tout est possible »

La réalisatrice réunionnaise Aurélia Mengin vient de poser sa caméra en Touraine pour tourner son prochain film. À cette occasion, tmv s’est entretenu avec cette cinéaste passionnante et passionnée.

Aurélia Mengin : le cinéma lui colle à la peau.
Aurélia Mengin : le cinéma lui colle à la peau. (Photo Vincent Mengin)

Pour votre nouveau film, vous avez décidé de tourner pour la première fois en Touraine. Pourquoi ?
C’est vrai que d’habitude, je tourne sur Paris ou à la Réunion. Ça a été compliqué, car j’ai écrit cinq versions de ce long-métrage. Il était d’abord prévu à Munich, avec un casting à 100 % allemand. Je voulais emmener toute mon équipe, mais c’était trop cher. Il y a 3 mois, je me suis dit que ça n’allait pas être possible. Nicolas Luquet qui travaille avec moi depuis 2010 (un Tourangeau interviewé sur tmvtours. fr en février 2016 – NDLR) m’a dit que la Touraine était canon ! Ses grands-parents sont d’anciens vignerons et possèdent un hangar, une petite maison, etc. Il fallait tout vider, mais je me suis dit que c’était top : c’était tout ce que je voulais, car je construis tous mes décors. Sa famille, hyper généreuse, nous a prêté les lieux. On a pu recréer un loft industriel, un bar étrange, une chapelle mystique…

Il y a quelques mois, une annonce avait été diffusée dans tmv pour compléter l’équipe. Vous avez pu trouver ?

Emmanuel Bonami sera de la partie pour le prochain film d'Aurélia Mengin (Photo unifrance)
Emmanuel Bonami sera de la partie pour le prochain film d’Aurélia Mengin (Photo unifrance)

Oh oui ! J’ai rencontré la Tourangelle Sandrine Legrand, une des deux maquilleuses qui a déjà travaillé avec le réalisateur Bertrand Mandico. J’ai aussi trouvé le couple gay qu’il me fallait à Tours, ainsi que mon premier assistant et des enfants du coin. Sans oublier la famille de Nicolas Luquet, M. Georget – « ma bonne fée » – qui m’a beaucoup aidée, la mairie de Chambray qui a accueilli le projet. Celle d’Athée-sur-Cher qui a permis de bloquer les routes durant le tournage. On filmera aussi dans la forêt d’Amboise pour le côté mystique.

L’an dernier, votre film Adam moins Eve était projeté au festival Mauvais Genre de Tours. On y trouvait un côté post-apocalyptique très prononcé. Votre nouveau long sera dans cette veine ?
Pas du tout. Je change constamment. Il y a toujours ce surréalisme, ce côté étrange. Mais je suis forcément influencée par la région où je tourne. Et la Touraine n’est pas très post-apocalyptique ! (rires). Ce film racontera l’histoire d’amour particulière entre un fantôme et une vivante, à travers un road-movie et des personnages atypiques. Il s’appellera Fornacis qui, en latin, signifie « fournaise ». Un hommage à la Réunion (d’où est originaire Aurélia – NDLR). J’ai auto-produit mon film. Je veux garder le pep’s que j’ai en tant qu’artiste. Un jus sans compromis ! Je veux rester une femme libre. Être réalisateur, ce n’est pas être assisté, c’est un métier passionné, il faut la gnaque ! Je ne pleurniche pas quand on ne m’aide pas.

Anna d'Annunzio, vue notamment dans l'Etrange couleur des larmes de ton corps.
Au casting, Anna d’Annunzio, vue notamment dans l’Etrange couleur des larmes de ton corps.

Pour en revenir à Fornacis, quel est le casting ?
Il y aura Philippe Nahon : j’ai écrit un rôle spécialement pour lui. C’est aussi la première fois que je travaille avec Emmanuel Bonami. Je suis curieuse de voir comment l’emmener dans mon univers. C’est un homme étonnant. Doux, alors qu’il joue souvent les méchants. C’est un guerrier au coeur tendre. Enfin, il y a Anna d’Annunzio, vue dans l’Étrange couleur des larmes de ton corps. Elle est sublime, a du charisme, une folie. Elle aime provoquer, titiller. Je pense qu’elle n’a peur de rien, elle possède un instinct animal et lit entre les lignes. Elle est l’enjeu du film. Elle incarne la beauté et le danger sans tomber dans la caricature. J’aime être troublée par les comédiens. Je les aime vraiment.

D’ailleurs que vous faut-il pour choisir vos comédien(ne)s ? Une bonne entente, des « gueules » de cinéma ? Je pense notamment à Jacky Berroyer avec qui vous avez tourné
Des gens que j’aime, avec qui je le sens. Je ne peux pas travailler dans une manipulation étrange, surtout si les scènes sont dures. Moi-même j’étais comédienne et je n’aimais pas souffrir. Après, c’est vrai que mes comédiens ont souvent « une gueule » ! J’ai du mal, je pense, si je ne trouve pas de personnage atypique. Un visage est un voyage. Ma caméra ne voyage pas si j’ai un visage lambda. Je me fiche des acteurs « bankables ». En France, on filme trop les M. et Mme Tout-le-monde. On a aussi un rapport à la femme assez macho : elle doit être belle, effrontée mais pas trop, fragile, à protéger. Je ne veux pas de potiches, j’ai une haute image de la femme.

Votre univers est assez « cru ».Pensez-vous que la création doit avoir des limites, ne pas aller trop loin ?

"Pour être réalisateur, il faut avoir la gnaque" (Photo Vincent Mengin)
Aurélia Mengin : « Pour être réalisateur, il faut avoir la gnaque » (Photo Vincent Mengin)

La création doit être totale et libre. Le cinéma français est dans le formol, globalement. Je n’ai pas de leçons à donner, je ne suis pas moraliste, attention ! Mais je suis activiste. Ma vie est engagée dans un sens différent : le festival Même pas peur que j’ai créé présente des films différents. Je préfère prendre des risques.

C’est votre père qui vous a transmis l’amour du cinéma, non ?
Oui, oui, oui ! J’ai travaillé avec lui dès mes 16 ans. Il était passionné de Buñuel , Dali, Godard… Il m’a emmenée vers ce cinéma-là, celui de la liberté. Le cinéma est un espace de jeu où tout est permis.

Le corps est toujours très présent dans vos films. Pourquoi ?
Oui, il est omniprésent. J’ai un rapport compliqué avec le corps. Je l’aime sans habits, mais je ne m’aime pas trop. Donc j’ai besoin de le filmer. C’est peut-être une forme de thérapie pour moi. Quand je regarde les gens, je les vois profondément. Il y a un rapport bestial mais sans vulgarité. J’aime enlever l’humain de son écorce sociale. Le corps est le miroir et le contre-miroir de l’âme.

Un dernier mot sur votre nouveau film… Une chance qu’il soit projeté à la Réunion au festival Même pas peur ? Ou même à Tours ?
Je ne sais pas. Honnêtement, je n’y pense pas encore. Là, je ne fais que penser au tournage. Je n’y réfléchirai qu’à la fin du mixage son au mois de mars. Pour le moment, l’important est que le 4 septembre, tout soit mis en boîte pour le tournage. Et sans regrets.

Propos recueillis par Aurélien Germain

Trailer d’Adam moins Eve, le précédent film d’Aurélia Mengin :

[vimeo]https://vimeo.com/109175668[/vimeo]

Mauvais Genre : carnet de bord (jour 5)

Avant-dernier jour du festival Mauvais Genre : on est passé de l’ennui profond, à un superbe road-movie, en jetant au passage un œil sur une série de courts-métrages 100 % frenchy.

Jour 5 : Pâques fait son mauvais genre

C’est devenu un rituel. Désormais, nos pas nous guident automatiquement vers le Petit Faucheux. Pour l’avant-dernier jour de festival, le programme est encore costaud. Le public est de plus en plus chaud… mais va vite être refroidi par la première séance :

> Alpha (compétition) se lance. Pour info, il s’agit du premier film grec financé par crowdfunding. L’équipe, emmenée par le réalisateur Stathis Athanasiou, a eu la gentillesse de faire parvenir une vidéo de remerciement. Sympa. Sauf que le film aurait pu l’être, lui aussi. Au lieu de ça, Athanasiou a accouché d’un long-métrage pseudo-arty, experimentalo-bizarroïde. Emballé dans un noir et blanc sublime (ça, on ne peut pas le nier), Alpha raconte l’histoire d’une femme qui refuse de cacher un fugitif poursuivi par des miliciens. Geste qui va la condamner. Sur un pitch pourtant prometteur, cette caricature de film d’auteur se gargarise, patauge et se noie, entraîne le spectateur avec : d’un ennui profond, ces 80 minutes en paraissent le triple. Même le texte narré (d’une voix off étrange mais ridicule), d’une justesse et d’une profondeur pourtant remarquables, ne sauve pas ces interminables plans expérimentaux. Quel dommage.

Les réalisateurs français pour la séance Mad in France. (photo tmv)
Les réalisateurs français pour la séance Mad in France. (photo tmv)

>Cette année, le magazine Mad Movies a encore ramené quelques jolis courts-métrages 100 % frenchy dans sa valise, pour la séance Mad in France. On commence par Témoignage de l’indicible (Thomas Pernollet) : un court-métrage de 6 minutes, minimaliste, uniquement basé sur des plans d’une maison, et une voix-off qui raconte une légende cauchemardesque. Un peu simple, mais étonnamment accrocheur et captivant.

Suit Lune Noire (Gallien Guibert), véritable marche funèbre vers la folie pour 3 hommes qui recherchent un trésor. Sympathique, étonnant (le rappeur Oxmo Puccino a un rôle !) mais gâché par un son pas très bon (venant de la salle ou du court lui-même ??).

Notre coup de cœur va à NOCT (Vincent Toujas), 15 minutes durant lesquelles un insomniaque ressent une étrange présence : un bourreau qui, paradoxalement, le libère. Certaines scènes font parfois penser à La Mouche de Cronenberg. NOCT joue la carte de l’atmosphère et du fantastique à fond. Mais surtout, produit avec brio une montée en tension palpable et une vraie créature réalisée sans effets numériques. Chapeau !

On enchaîne sur Le Hall des pendus (Christophe Deroo), une histoire de drogue de synthèse, de couvre-feu et de SDF mystérieusement pendus à des lampadaires. Le coupable, lui, n’a rien d’humain. Fortement influencé par le cinéma asiatique (ça se passe à Tokyo), étrange, mais ultra-pro et esthétique.

Le mot de la fin sera pour Adam moins Eve (Aurélia Mengin). Le plus long des courts (26 min) et le plus difficile à cerner. Un post-apo admirablement filmé, archi-stylisé (photographie sublime, des tons rouge/vert/bleu qui rendent l’atmosphère irrespirable, gros plans qui ont la classe…), dans lequel un prêtre est hanté par une voix divine. Il trouvera le corps meurtri de Eve, sous des décombres… On n’en dit pas plus pour ne pas trop en dévoiler, mais le court d’Aurélia Mengin vaut le détour !

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>Young bodies Heal Quickly clôt la journée, à 22 h 30. Bon. 22 h 50, ok. Avant-dernier film de la compétition, ce magnifique road-movie d’Andrew Betzer suit deux frères complètement paumés (et plutôt doués pour faire des bêtises), renvoyés de chez leur mère. Ils vont sillonner les Etats-Unis en voiture. Simple, épuré, mais beau, ce Young Bodies… est percutant. Une vraie petite surprise, étonnant de bout en bout, portée par de superbes acteurs hauts en couleurs. Dommage que les dernières vingt minutes de ce Huckleberry Finn des temps modernes s’étirent un peu trop en longueur.