Reportage : au coeur de la Croix-Rouge

À l’occasion de la Journée mondiale de la Croix-Rouge, tmv s’est rendu dans l’antenne locale, Tours plus. Un véritable microcosme, le cœur de ces héros de l’ombre.

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(Photo S. Gaudard)

Un mardi après-midi, sous des trombes d’eau. La pluie dégouline des gouttières, le ciel est menaçant. Au numéro 25 de la rue Bretonneau, une foule hétéroclite se presse. Trempées de la tête au pied, une vingtaine de personnes, hommes et femmes de toutes nationalités, sont venues ici pour la distribution du courrier. Tous sont domiciliés ici, à l’antenne de la Croix- Rouge de Tours. « Non, monsieur, c’est tout nouveau. Madame devra venir chercher son courrier elle-même, vous ne pouvez pas le prendre. Désolé. C’est pour tout le monde pareil. » Dimitri (*), la quarantaine bien tassée, visage anguleux, voulait récupérer les lettres de sa femme. Mais ce n’est plus possible. Venu tout droit de Roumanie, il est arrivé à Tours il y a quelques mois. « Parce que… Des accidents de la vie », bafouille-t-il, dans un français hésitant. Il n’en dira pas plus. Et disparaît comme une ombre sous la pluie.

« Le mardi matin, on trie le courrier. L’après-midi, on le distribue à ces personnes. Ils sont demandeurs d’asile, sans domicile fixe, etc. », explique Patrick Choutet. Il est le président de l’unité locale de la Croix-Rouge, Tours plus. Voix posée, douce, il parle tranquillement, avec un petit sourire. Derrière ses petites lunettes, ses yeux foncés ont vu passer des centaines de gens depuis un peu plus d’un an, lorsqu’il a pris officiellement ses fonctions. Dans la salle d’attente du local, on s’aperçoit que la distribution du courrier est surtout un moment d’échange. On tisse du lien social, on aide. Quatre hommes attendent leur tour. Engoncés dans des vestes en cuir, ils se saluent, parlent fort, heureux de se voir. Une petite accolade, deux trois saluts de la tête en direction d’une jeune femme, assise. Eux sont Serbes et expliquent apprécier « ce moment sympa à la Croix-Rouge ».

S’il y a un souci avec le courrier, les bénévoles seront là pour les aider, les aiguiller. « Écoute, accueil et conseil », comme le répète en boucle Patrick Choutet. « La Croix-Rouge n’est pas là pour régler la détresse », mais pour tendre la main, « les remettre dans le droit commun, dans le circuit ». Preuve en est : « On ne les questionne pas sur leur passé. Ils en parlent s’ils veulent… Que quelqu’un soit en situation régulière ou pas, ait appartenu à un gang… ça arrive mais c’est quelqu’un qu’on doit accueillir. On n’a pas à faire le tri ! », précise le président. Chaque semaine, ce sont dix à vingt nouvelles inscriptions rue Bretonneau… « C’est beaucoup », avoue Patrick Choutet.

En 2013, d’après lui, il y avait 64 nationalités différentes, sur Tours. « C’est en fonction des conjonctures internationales… Il y a beaucoup de migrants qui viennent d’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Asie. » D’ailleurs, dans le local tourangeau, on entend un tas de langues différentes. Du russe, du romani, du somali… Mais à chaque fois, un petit mot de français : un merci, un bonjour. Parce qu’ici, les mercredis et samedis, la Croix- Rouge dispense aussi des cours de français. « On donne la base », prévient Patrick Choutet. Des rudiments pour comprendre un minimum. « On évalue les progrès quand quelqu’un qui parlait en regardant ses pieds, finit par dire quelques mots de français en nous regardant en face ! », dit-il en souriant. Au final, c’est dans ce petit immeuble de la rue Bretonneau que se trouve le cœur de la Croix-Rouge de Tours. « C’est une grosse structure, oui. » Une sorte de grande maison, où l’on va et vient.

Loin de ne faire que dans le secourisme, l’antenne régit quinze actions sociales. Par exemple, la distribution alimentaire à l’épicerie sociale. Si Joué-lès-Tours reçoit 70 familles par semaine, le chiffre est de… 200 à Tours. « C’est pour cela qu’on a besoin de bénévoles », martèle Patrick Choutet. Car il en faut beaucoup pour gérer tout cela. La vestiboutique notamment, où les vêtements sont vendus entre 0,50 € et 3 € à tous (« 1 € égale un repas pour la Croix- Rouge ! »), ou servent encore aux dons, aux maraudes… Il en faut aussi pour les actions en prison : la Croix-Rouge travaille main dans la main avec la maison d’arrêt de Tours. « Sur la base du volontariat, les mineurs peuvent venir à nos ateliers cuisine, où ils prépareront ce qu’ils veulent manger. C’est un lieu de ré-identité, de partage », raconte Patrick Choutet.

Autre action, la santé-prévention. Toujours rue Bretonneau, où la Croix-Rouge informe sur les lieux de dépistage des maladies sexuellement transmissibles (MST). Ce jour-là, Nouria attend dans la salle d’attente. Cachée dans un survêtement trop large, elle esquisse à peine un mot : « préservatif ». Un peu perdue, les yeux dans le vague. Un homme assis en face semble l’écouter. Nouria s’arrête net et se ferme. Mais l’antenne Tours plus l’aiguillera. Pas de soins à proprement parler, mais une main tendue, une nouvelle fois. Idem pour les actions de collecte, de secourisme (à Joué-lès-Tours), de microcrédit (prochainement) ou encore de visites aux personnes isolées et hospitalisées, où les bénévoles « voient beaucoup de personnes âgées et retraitées, contrairement au secourisme et au Samu social, où il y a de nombreux jeunes ».

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Le Samu social est, lui aussi, basé rue Bretonneau. C’est ce qu’on connaît plus communément sous le nom de « maraude ». Les bénévoles fabriquent eux-mêmes les sandwiches. « Il y en a environ une centaine à faire par tournée », indique Nathalie Fillon, la coordinatrice. Boissons chaudes, soupes, desserts, gâteaux : « la chance » pour eux est d’avoir eu certaines boulangeries de Tours qui ont accepté de jouer le jeu. « Ils nous offrent beaucoup de pâtisseries et de viennoiseries ! » Julien, croisé sur le chemin alors qu’il se rendait au local, confirme. À 24 ans, il dit tout de même avoir « un peu honte de devoir mendier un casse-croûte. Surtout à mon âge… » Comme lui, d’autres jeunes n’ont pas le choix et « sont parfois nombreux », confirme la coordinatrice. « Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ont des fins de mois difficiles et, depuis 2010, de plus en plus de personnes en précarité énergétique… » Chaque maraude voit venir une cinquantaine de demandeurs. « Parfois, ça peut monter jusqu’à soixante. » Une fois encore, pour la Croix- Rouge, il s’agit d’une mission de « lien social et d’écoute ». Et, toujours, sans jugement aucun. Patrick Choutet le rappelle : « Le symbole de la Croix-Rouge représente la protection et surtout la neutralité. »

 Aurélien Germain

ALLER PLUS LOIN
Adresse Antenne de Tours : 25, rue Bretonneau. Tél. 02 47 36 06 06. Du lundi au vendredi, 9 h-12 h et 14 h-17 h.
UNE APPLI
La Croix-Rouge française offre une séance de rattrapage pour enseigner les gestes qui sauvent et tester vos connaissances, grâce à une appli sur smartphone. L’appli qui sauve : Croix- Rouge, disponible sur Itunes et Google Play. Gratuit.
UN LIVRE
La Croix-Rouge française, 150 ans d’histoire (éditions Autrement). Un bel ouvrage signé Frédéric Pineau, Virginie Alauzet et Benjamin Lagrange. Il retrace l’histoire de l’association depuis sa création, avec une iconographie de grande qualité.
√ PRECISIONS
Dans la version papier de cet article, nous vous parlons du flashmob de la Croix-Rouge, organisé le 24 mai. Le midi, un pique-nique est organisé, mais pour précision, il est prévu uniquement pour les bénévoles, étudiants et salariés de la Croix-Rouge !

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