« Les projectionnistes sont des travailleurs de l’ombre »

Éric Besnier veille à la bonne diffusion des films aux Studio, depuis 37 ans. La révolution numérique a transformé son métier mais pas modifié sa passion pour le cinéma.

Les ordinateurs ont remplacé les bobines 35 mm. Et pourtant, lorsqu’on entre dans la salle de projection des cinémas Studio, « le cœur du réacteur », comme il dit, Eric Besnier, assis devant son écran, téléphone en main, baigne au milieu du passé.

Certes, les unités centrales informatiques gèrent la diffusion des films dans les sept salles, mais lorsqu’on jette un regard autour de lui, des vestiges du 7e Art l’entourent. Ici, un empilement de bobines vides. À côté, une vieille machine qui servait à découper les films et à les coller pour les enchaîner avec les pubs locales.

« Quand le numérique est arrivé, il y a douze ans, j’ai cru que j’allais perdre mon âme, confiet- il. Mais en six mois, je m’y suis fait. Et puis, il y a encore quelques réalisateurs qui tournent en argentique nous donnant l’occasion d’utiliser l’ancien matériel. »

Eric Besnier a 54 ans. Il se remémore avec passion ses débuts, à 17 ans, dans la salle polyvalente de Charentilly puis au Vox, « un cinéma qui était en haut de la Tranchée, à Tours » ; il raconte avec émotion sa rencontre, en 1981, avec Henri Fontaine, le fondateur des Studio (1963). « Je préparais l’école Louis-Lumière pour être projectionniste. Il m’a dit : ‘’Faites votre formation, je vous embauche en alternance.’’ Et c’était parti. »

Devenu un as de l’informatique

« Via une caméra, je vois s’il y a encore du monde qui fait la queue. Alors j’attends. Pas grave si on prend un peu de retard… » Travailleur de l’ombre, comme il aime à se dépeindre, Eric Besnier raconte l’avant et l’après de l’envers du décor. « De 1981 à 2007 environ, mon boulot a presque toujours été le même. Les distributeurs nous envoyaient les copies chaque semaine. Ça leur coûtait l’équivalent de 1 500 euros par film. Imaginez le prix de 40 ou 50 copies dans toute la France ! »

Un travailleur manuel devenu as de l’informatique Aujourd’hui, pas de collage de bande ni de risque de cassure de film. « Tout est immatériel et ultra protégé. Pour que je puisse avoir le film, il faut que j’entre un certain nombre de codes cryptés qui donnent accès à des clés informatiques. Je récupère alors le film dans une librairie numérique et le charge sur un disque dur. »

De travailleur manuel, le chef projectionniste est devenu un as de l’informatique. « Au début, ce qui m’a le plus manqué, c’est le bruit du film dans le projecteur. Il a quand même fallu que je fasse mon deuil. » Responsable d’une équipe de six projectionnistes travaillant de 9 h à 18 h ou du début d’après-midi jusqu’à minuit, il se définit comme un passionné de cinéma, mais pas un cinéphile. Son genre préféré ? Les péplums. Un titre ? Spartacus de Kubrick (1960). On est aux Studio, tout de même…

Textes et photos :  Thierry Mathiot